Si certains opérateurs de paris promettent aujourd’hui de “Mettre la daronne à l’abri”, l’histoire des paris sur les matchs de football en France est finalement plus récente que l’on ne pourrait le penser. Des premiers jeux assez désordonnés des débuts aux paris ultrasophistiqués actuels, l’idée a connu plusieurs phases et plusieurs manières de fonctionner depuis ses débuts en France au milieu des années quatre-vingts. Au point de prendre trop d’importance ?
“Dominique Colonna gagne 2,34 millions de Francs au Loto Sportif.” La nouvelle fait la une des journaux en ce début octobre 1985. Ce jeu très récent et encore peu populaire se paie ainsi un joli coup de pub puisque son premier grand gagnant n’est autre qu’une grande figure du football : Dominique Colonna, ancien gardien de but champion de France avec l’OGC Nice et le Stade de Reims et troisième du mondial 1958. Dès le premier week-end, la formule fait mouche.
Parce qu’en 1985, parier légalement sur du sport est un phénomène tout nouveau. Jusqu’alors, les seuls paris disponibles sont ceux sur les courses de chevaux. Le turf est d’ailleurs tellement populaire à l’époque que les chaînes de télé diffusent souvent un court spot après le journal de vingt heures pour donner leurs pronostics sur le tiercé du lendemain.
De la formule basique avec tous les matchs aux paris combinés
Mais fin 1984, le gouvernement socialiste de Laurent Fabius décide d’autoriser enfin la création “de jeux faisant appel soit à la combinaison du hasard et des résultats d’événements sportifs, soit à des résultats d’événements sportifs.” Sauf qu’au milieu des années quatre-vingts, il n’y a que deux organismes autorisés à gérer des jeux d’argent hors casinos : le Pari Mutuel Urbain (ou PMU) spécialisé dans les courses de chevaux et France Loto (qui deviendra la Française des jeux dans les années 90) spécialisé dans les jeux de tirage et de grattage.
C’est cette dernière entreprise qui se jette à l’eau la première en créant donc le loto sportif. La formule est un peu illisible au début. Il faut parfois trouver le classement du grand-prix de Formule 1 du week-end, parfois des résultats de matchs de football, de rugby… Voyant que l’engouement peine à décoller, les créateurs rectifient alors le tir et misent tout sur le sport le plus médiatique : le football. Engouement facilité à l’époque par les exploits des Bleus de Platini, champions d’Europe en titre.
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La formule sera simple: seize matchs de championnat de France, dix de première division et six de deuxième, sur lesquels on parie avec la désormais légendaire grille 1-N-2. Soit, au choix, victoire du club recevant, match nul, victoire du club en déplacement. Avec la possibilité, moyennant un supplément de prix, de cocher plusieurs cases sur certains matchs. Le jeu simple et la mise peu élevée (cinq francs, soit 0,80€ environ) convainquent vite les amateurs. Et la victoire d’une personnalité du milieu dès le premier week-end offre un coup de pub inespéré qui sera même un temps soupçonné d’avoir été arrangé.
La révolution internet des années 2000
En 1988, la formule passe à treize matchs (dix de D1 et trois de D2). En 1989, est créée la formule match du jour, avec la possibilité de parier sur le score, et plus seulement le vainqueur, d’une rencontre proposée par l’opérateur. Et jusqu’en 2004 avec le passage aux listes de sept et quinze matchs, la formule ne varie plus, hormis quelques jeux spéciaux au moment des Coupes du monde. Le changement de nom de Loto Sportif en Loto Foot intervient en 1997.
Parallèlement, en 2003, la Française des jeux lance un nouveau jeu : cote et match. Sur le principe de ce qui se fait chez les bookmakers britanniques, le parieur choisit uniquement les matchs qui l’intéressent et la mise qu’il désire jouer. Et pour chaque résultat possible, l’opérateur fixe une cote. La formule est un succès immédiat. D’autant plus qu’elle permet de revenir à ce qui se faisait au tout début du loto sportif : parier sur plusieurs sports.
Mais à l’échelle mondiale, le monde du pari sportif se structure et prend de l’ampleur autour de gros opérateurs comme Betclic, Bet and Win… Et surtout, ces opérateurs offrent l’avantage de pouvoir jouer en ligne et de parier sur divers aspects du matchs : les cartons, les buteurs… Le gouvernement français, soucieux de taxer fortement les paris sportifs, bloque vite les accès internet de ces nouveaux venus, mais comprend aussi qu’il ne va pas pouvoir résister longtemps.
Du divertissement marginal à un inquiétant phénomène de société
Et en avril 2010, ce qui devait arriver arriva, le parlement vote l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent (le poker en ligne est aussi concerné). Les entreprises souhaitant se lancer devant solliciter un accord de l’autorité de régulation des jeux en ligne (ou ARJEL, devenue depuis l’autorité nationale des jeux, ANJ) et sont taxées selon le même barème que le PMU ou la Française des jeux.
De plus, une nouvelle révolution va encore bouleverser la donne à cette époque, la généralisation du smartphone, créé en 2007 avec le premier IPhone d’Apple. La possibilité est offerte, via une application, de parier non seulement n’importe quand, mais aussi de n’importe où. L’effet ne se fait pas attendre. Le chiffre d’affaires du pari sportif en France quadruple entre 2011 et 2017, dont presque 60% pour le seul football. En 2021, le chiffre monte à 1,4 milliard avec 445 millions d’euros de mise pour le seul Euro 2020.
Mais cette croissance ne va pas sans heurt. Les opérateurs de paris sont accusés de draguer ouvertement les mineurs (auxquels les jeux d’argents sont interdits), particulièrement dans les quartiers populaires. Ils n’hésitent pas non plus à offrir régulièrement des ménages à certains journalistes sportifs en vue afin d’attirer toujours plus de joueurs. Les témoignages souvent anonymes de mineurs jouant chez des buralistes trop complaisants (et hors la loi) ou avec des comptes sur smartphones créés par des adultes se multiplient. De même que ceux de personnes qui ont tout perdu à cause d’une addiction aux paris. Dans un communiqué paru peu après le dernier Euro, l’ANJ s’est même indignée qu’une “ligne jaune aie été franchie en termes de pression publicitaire” pendant la compétition.
Les clubs, par ailleurs, ont largement profité de la manne puisque de nombreux clubs professionnels sont sponsorisés (pas forcément sur le maillot) par des opérateurs de jeux en ligne. Le PSG ayant même signé cette saison, uniquement pour le marché asiatique, un partenariat avec l’opérateur 1XBet, pourtant interdit sur le territoire Français.
De fait, la question se pose aujourd’hui: peut-on réduire le marché du pari sportif vu les dangers qu’il présente, ou a minima essayer d’enrayer sa croissance ? Car il ne faut pas oublier qu’avec la fiscalité sévère imposée aux opérateurs, c’est encore l’État qui en est le premier bénéficiaire. De même que les droits télés, la manne des opérateurs de jeu semble être aujourd’hui devenue particulièrement addictive pour le monde du football. Trop ?
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Sources :
- Rencontre avec Dominique Colonna, premier vainqueur du Loto foot, L’Equipe, 10 août 2020
- Légalisation des paris en ligne, c’est parti Le Figaro, 13 mai 2010.
- Histoire du loto foot, Site officiel du loto foot.
- Site officiel de l’autorité nationale des jeux.
- Réglementation des paris sportifs en France, Jurisportiva.fr.
- Les paris sportifs ciblent la jeunesse de banlieue, Arrêts sur image, 14 novembre 2019;
- Journalisme de sport, journalisme à sponsors, Arrêts sur image, 24 juin 2019.
- Accros aux paris sportifs, ils ont vu leur vie basculer Huffington Post, 7 août 2021.