Quel amoureux de football et de l’équipe de France n’a pas son cœur qui bondit lorsque l’on fait référence à l’année 1984 ? L’Euro 1984, c’est la magie, c’est le rêve. C’est aussi le basculement et l’entrée dans un monde nouveau. Le passage entre une France du football qui, par le passé, avait parfois réussi à bien jouer et même à finir placée dans une grande compétition, à une France qui se hisse au sommet. À une France qui gagne.
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Ce Championnat d’Europe des Nations 1984 organisé à domicile, c’est donc la première victoire de l’histoire du football français. Le triomphe d’une génération exceptionnelle de talents en tête desquels brille de mille feux le joyaux Platini durant cet été de football champagne et de spectacle. L’apogée d’une aventure exceptionnelle initiée dès 1976, sur un parcours jonché d’émotions pures et de dramatiques désillusions. C’est enfin la consécration de Michel Hidalgo, sélectionneur de légende qui a fait du jeu, et du beau jeu, la pierre angulaire de son projet. Pour le plus grand plaisir de millions de supporters français ivres de bonheur.
C’est indiscutable. La victoire française de l’Euro 1984 prend sa source en 1976. Plus précisément au 27 mars 1976. Ce jour-là, un nouveau sélectionneur fête son premier match à la tête de l’équipe de France. Son nom : Michel Hidalgo. Pour cette première, il a appelé plusieurs jeunes joueurs pour intégrer cette sélection qui est loin de faire partie des meilleures du continent. Pour dire : la France n’a plus participé à une grande compétition internationale depuis 10 ans, lors de la Coupe du Monde 1966 en Angleterre…
L’apprentissage avant la gloire
Parmi ces jeunes joueurs qui sont appelés pour la première fois à porter le maillot frappé du coq, l’un d’eux va particulièrement se mettre en évidence. Lui aussi s’appelle Michel. Platini et Hidalgo fêtent en effet ensemble leur premier match sous les couleurs de l’équipe de France. Et pour couronner le tout, face à la Tchécoslovaquie, future championne d’Europe, Platini marque. Déjà. Sur une merveille de coup franc. Déjà. C’était au Parc des Princes. Déjà. Pour ce match qui finit sur un score nul prometteur (2-2), c’est aussi la première sélection de Maxime Bossis et de Didier Six. Point de départ d’une fantastique épopée que personne n’aurait pu, à l’époque, deviner. Sauf peut-être Michel Hidalgo.
Car ce dernier donne un vrai style de jeu à l’équipe de France. Il construit celle-ci autour du talent brut de Michel Platini, inspirateur, créateur et finisseur. Mais un joueur ne fait pas une équipe. Autour de lui, ils font partie des meilleurs footballeurs français de l’histoire : Giresse, Tigana, Genghini, Fernandez, Rocheteau, Bossis, Trésor, Amoros, Six, Battiston, Bats, Lacombe… Au fil des années, les joueurs changeront parfois dans le onze, le schéma tactique évoluera, mais l’essence même du jeu prôné par Hidalgo restera : un jeu offensif, un jeu de création, un jeu d’attaque. Un jeu qui fait vibrer.
« La beauté est compatible avec l’efficacité. », Michel Hidalgo.
Et faire vibrer leurs supporters, les Bleus savent bien le faire. Après le Mondial 1978 en Argentine où la France fait bonne figure malgré son élimination précoce, vient le temps de la confirmation. En Espagne, pour la Coupe du Monde 1982, la France fait merveille. C’est surtout la qualité de son jeu et son carré magique qui impressionnent. À l’heure où les formations actuelles jouent bien souvent avec une ligne de milieux défensifs à peine créatifs, imaginez un peu. Pour gagner, il faut jouer, aurait pu dire Hidalgo. Au milieu de terrain, il n’aligne donc que des joueurs de ballon, que des numéros 10 créateurs et accélérateurs de jeu : Platini, bien sûr, mais aussi Giresse, Tigana et Genghini. Le fameux carré magique est né, portant l’équipe de France jusqu’à une demi-finale mythique face à l’Allemagne de l’Ouest.
Ce match de légende, c’est un condensé de toutes les émotions que peut vivre un être humain dans sa vie : espoir, angoisse, fureur, joie, liesse, tristesse, désespoir. Car après avoir frôlé la victoire, les Français sont finalement éliminés aux tirs-au-but. Mais pour gagner, il faut avoir goûté à la défaite avant. Et plus elle fait mal, moins on a envie de la revivre. C’est indubitable : s’il n’y a pas cette désillusion si cruelle de Séville en 1982, il n’y a pas de victoire à l’Euro 1984.
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L’Euro 1984 : des Français dans la peau des favoris
Alors que se profile le Championnat d’Europe des Nations 1984, le statut de l’équipe de France a bien changé. Parce que ce n’est plus le petit poucet de 1978. Ni l’équipe surprise sympathique qu’on n’attendait pas de 1982. En 1984, c’est une autre pression qui s’impose d’elle-même sur les épaules des Bleus.
D’abord, parce qu’après leurs exploits de 1982, l’attente populaire est énorme dans l’Hexagone. Une grande compétition organisée à domicile, ça peut être un vrai cadeau ou un véritable fardeau pour la nation qui reçoit. Et après être passé si près de la finale mondiale, c’est tout le peuple français qui rêve du sacre en 1984.
Ensuite, parce qu’étant en place depuis 1976, c’est l’heure des résultats pour Michel Hidalgo. Il n’est plus le jeune sélectionneur à peine intronisé de ses débuts. « Il faut maîtriser le ballon pour maîtriser le jeu » dit-il, parlant de son système du carré magique. Mais sa philosophie de jeu, si attrayante soit-elle, doit payer. Doit permettre aux Tricolores d’aller au bout.
Enfin, parce que le collectif français, après s’être aguerri aux joutes mondiales de 1978 puis 1982, est rôdé. Est obligé de performer. Mais combien sont les équipes qui ont le talent pour gagner et qui pourtant ne le font pas ? De plus, tous les meilleurs joueurs de l’histoire n’ont pas forcément réussi à remporter de trophées internationaux… Cruyff, Puskas, Di Stefano… la liste est longue !
Michel Platini fait partie de ces légendes. Et, depuis 1982, son statut a beaucoup changé aussi. Il n’est plus ce joueur prometteur qui était sur le point de découvrir le Calcio avec la Juventus où il venait de s’engager. En 1984, il est devenu le maître à jouer de cette équipe bianconera qui est l’une des meilleure du monde. En 1983, il a même remporté le premier de ses trois Ballons d’Or, ce qui en fait l’un des tous meilleurs footballeurs de la planète. Lorsqu’arrive le Championnat d’Europe en France, il est donc LE joueur qui doit faire briller les Bleus. Car les vrais grands joueurs sont ceux qui répondent présents lors des grands rendez-vous. Platini sera-t-il de ceux-là ?
La France qui gagne… et avec la manière
Le 12 juin 1984, l’Euro s’ouvre officiellement au Parc des Princes. L’affiche inaugurale : France-Danemark. Les Bleus ne doivent faire qu’une bouchée des Scandinaves ? Il n’en est rien. Rentrer dans un grand tournoi, encore plus à domicile, n’est jamais une chose aisée. Et les Danois, futurs demi-finalistes de l’épreuve, ne sont pas des faire-valoir. Les Français sont crispés et il faut attendre les dernières minutes du match pour que Platini, sur une frappe déviée par une tête adverse, délivre les Bleus (1-0).
La suite, c’est un véritable récital de beau football et de joie de jouer. Dans un Stade de la Beaujoire flambant neuf, sous un soleil radieux, les Français donnent la leçon aux Belges pour leur deuxième match. Le public qui a envahi les gradins nantais est aux anges devant cette magnifique prestation offensive. Pourtant, les Belges sont historiquement des adversaires qui ne réussissent pas forcément aux Bleus. Et, en 1984, ils sont quand même les vice-champions d’Europe en titre. Ce 16 juin, ils explosent néanmoins littéralement face à la maestria française. Avec sa « lanterne magique » Platini, comme l’appelait Hidalgo, les Tricolores l’emportent 5-0.
« C’est le match parfait. Tout est simple, tout est facile, il y a du plaisir, il y a du jeu. Tout s’enchaîne d’une façon totalement huilée. » Alain Giresse
Giresse et Fernandez, qui a remplacé Genghini au cœur du carré magique bleu, marquent chacun une fois. Le reste, c’est Platini qui s’en charge, avec un remarquable triplé : un but du droit, un but du gauche et un but de la tête. La grande classe.
Et ce n’est pas fini. Car si, avec cette deuxième victoire, la France est déjà qualifiée pour les demi-finales de la compétition, il reste un match avant d’y accéder. En face, la Yougoslavie mène même à la pause (1-0) dans le chaudron de Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne. Mais Platini retrouve là la pelouse où il avait jadis brillé sous la tunique des Verts. En deuxième mi-temps, il réédite alors sa formidable prestation de la Belgique, avec un coup du chapeau magistral, dont un coup-franc magique. À nouveau, il marque un but du droit, du gauche et de la tête pour une victoire 3-2. Platini au sommet de son art, en pleine possession de ses moyens, vient de claquer 7 buts en 3 matchs. Il plane sur l’Euro et la France fonce en demi-finale.
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1984, un triomphe collectif
« Lorsqu’on partage, on ne s’appauvrit pas, on s’enrichit » Michel Hidalgo
Il serait facile, pour parler de cet Euro 1984, de ne retenir que la prestation hors-norme de Michel Platini. Car cette légende des Bleus ajoutera ensuite 2 nouveaux buts dans son escarcelle, pour atteindre le total irréel de 9 buts en 5 matchs (à découvrir et regarder ici). C’est un record qui ne sera sans doute jamais égalé pour le meilleur buteur et joueur de ce championnat d’Europe des Nations.
Durant l’Euro 1984, Platini marche évidemment sur l’eau. Mais sans jamais tirer la couverture à lui. À ses côtés, Tigana, Giresse et consorts sont aussi des top joueurs, des patrons. Et chacun joue en respectant le jeu. Tel que leur a enseigné Michel Hidalgo. L’équipe de France, c’est une formidable force collective. Une formation qui s’apprête à affronter le Portugal en demi-finale dans un Stade Vélodrome gagné par la fièvre. Pour une nouvelle partie de folie. Et de légende.
Et quand on parle de victoire collective, quel meilleur symbole que celui de Jean-François Domergue ? Alors que la France a obtenu un coup franc bien placé à la 24e minute, ce n’est pas Platini mais l’arrière des Bleus qui frappe, catapultant le ballon en pleine lucarne. 1-0 ! Toutefois, ce match étouffant n’a pas livré toutes ses surprises. À un quart d’heure du terme, Jordao égalise et pousse la France en prolongation, comme en 1982. Séville ? À la 98e minute, sur une reprise de volée piquée, le Portugais récidive. 2-1 pour les siens. Séville ?… Le sort et la réputation de superbes losers des Bleus les ont-ils rattrapés ?
« C’est le plus beau match de la campagne. Au niveau émotion, sensation, suspense, tout était réuni. C’est un match avec un Oscar à la fin. » Bruno Bellone
Il ne reste que 6 minutes à jouer et le Portugal mène toujours. La furia française se déchaîne devant les cages adverses. Le Vélodrome pousse, gronde. Puis explose lorsque, après un cafouillage dans la surface, Domergue jaillit et égalise ! Ce sont les deux seuls buts que l’arrière latéral marquera en Bleu. 2-2, la France est revenue à hauteur. Et la séance de tirs-au-but pointe le bout de son nez. Comme en 1982. Séville ?
De Séville, Jean Tigana n’en veux pas. « Hé les gars, on va pas refaire 82, hein ? Moi, je vais pas aux penaltys » lance-t-il à ses coéquipiers tandis qu’il revient dans le rond central après l’égalisation. Jean Tigana est survolté. Jean Tigana est un géant. À la dernière minute, au bout d’un match de feu, il trouve l’énergie pour lancer une nouvelle accélération dévastatrice. Pénètre dans la surface en éliminant deux défenseurs. Puis, sert impeccablement Platini, aux six mètres. Alors, tout le Vélodrome, la France entière devant son téléviseur arrête de respirer. Regarde le capitaine des Bleus prendre le temps de contrôler. Puis d’armer. On joue la dernière seconde de la prolongation. Et Platini frappe, faisant exulter tout un pays. 3-2. Au bout d’un incroyable suspense, les Bleus l’emportent sur le Portugal et la malédiction. Adieu Séville. Vive Marseille ! La France est en finale.
Une finale, ça se gagne
Le 27 juin 1984, c’est l’Espagne qui se dresse devant les Bleus en finale. Victorieuse de la RFA en poule puis du Danemark en demi, c’est un adversaire redoutable. Avant de rentrer sur le terrain, le capitaine Platini n’a qu’une seule consigne pour ses coéquipiers. Il leur demande de ne faire qu’une unique chose pendant les hymnes : ne pas quitter le trophée Henri Delaunay des yeux. Fixer cette coupe qu’ils désirent tant soulever. « On va aller la chercher ! » lance-t-il, plus motivé que jamais, transmettant aux siens cette leçon italienne : la gagne, il n’y a que ça qui compte.
Mais le match est serré, crispé. Les Français n’avaient, jusqu’alors, jamais atteint la finale d’une grande compétition. Et pour gagner ce genre de match, c’est bien connu, il faut parfois un peu de chance. Celle-ci survient à la 57e minute. Lacombe vient d’obtenir un bon coup franc. Platini enroule sa balle sur le côté droit du mur. Le gardien espagnol, Arconada, plonge et s’empare du ballon au pied du poteau… avant de le laisser finalement filer entre ses bras ! Impuissant, le portier ibère ne peut que constater l’irréparable : lentement, la balle vient de franchir la ligne. Et la France mène 1-0.
Platini vient de marquer le dernier de ses 9 buts magiques. Derrière, avec Bossis en patron, la défense française est solide. L’Espagne ne reviendra pas. En fin de match, Battiston se permet même de feindre une blessure pour permettre à Manuel Amoros de rentrer en jeu et de participer à la fête ! C’est ça le football : un moment de partage entre copains. Puis, à l’ultime minute, Tigana lance le jeune Bellone en profondeur. Ce dernier attend le dernier moment avant de piquer son ballon au-dessus d’Arconada. 2-0. C’est fini. La France est championne d’Europe. L’extase.
Apothéose de légende pour toute une génération de joueurs d’exception, il ne reste plus à Platini qu’à aller soulever le trophée dans les tribunes. En juin 1984, tout un pays découvre, enchanté, ébloui par un tel jeu léché, un tel esprit d’équipe, que la France est capable de gagner. Grâce à l’architecte Michel Hidalgo, grâce à son carré magique (Platini-Giresse-Tigana-Fernandez) et à une vraie force collective, la France est allée au bout. Enfin. En 1984, la victoire était en eux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Bleus de 1998, pour la Coupe du Monde, adopteront le même maillot fétiche que leurs aînés. À jamais, ces derniers resteront les premiers.
Sources :
- « Euro 1984, les grands Bleus », sofoot.com.
- Christophe Bérard, « Il était une fois le fol été des Bleus : Euro 1984, le chef-d’œuvre de Platini », leparisien.fr, 2020.
- Margaux Lannuzel, « 5-0 à l’Euro 1984 : quand les Bleus infligeaient leur plus lourde défaite aux Belges », europe1.fr, 2018.
- « Les bons mots de Michel Hidalgo », fifa.com, 2020.
- Calendrier et résultats de l’Euro 1984, lequipe.fr.
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