Sans faire une analyse de la mise en œuvre du soft power qatari par le football, on retrouve des trajectoires identiques en football et en politique. Comme en politique, une traversée du désert peut offrir rajeunissement et rafraîchissement. Surnommé le pélican pour sa propension à ouvrir son clapet, son autorité et ses punchlines, Louis van Gaal aurait assurément fait un politicien redoutable.
Après avoir marché sur l’Europe avec son Ajax et conquis deux championnats et une coupe d’Espagne en trois ans, Aloysius Paulus Maria van Gaal dit “Louis” se trouve à un carrefour de sa carrière. À la fin de la saison 2000, le vestiaire est miné par un conflit lancinant entre van Gaal et les joueurs catalans. Alors que le Deportivo la Corogne s’adjuge le titre, van Gaal, en conflit ouvert avec la presse catalane, quitte ses fonctions. Il ne deviendra jamais l’égal de son meilleur ennemi Johan Cruyff en Catalogne mais la Tulipe de Fer n’est pas du genre à se soucier des “on-dit”. Le Pélican et sa fierté volent vers le nid. L’autoritaire Néerlandais est toujours promis aux sommets. Et en tant que sélectionneur des Pays-Bas, il entend évidemment s’adjuger le titre mondial.
La sélection Oranje, le péché originel
À son arrivée, en 2000, van Gaal dispose d’un effectif pléthorique : Kluivert, Davids, Van der Sar, Stam, Seedorf, Van Bommel pour ne citer qu’eux. Après des échecs sévères en demi-finale de Coupe du Monde et à l’Euro, il apparaît comme l’homme de la situation, capable de capitaliser sur les échecs précédents. Surtout que cette génération, van Gaal l’a faite éclore lui-même avec l’Ajax. L’enthousiasme est de mise à l’orée des qualifications pour la Coupe du Monde 2002, les Pays Bas héritent d’un groupe a priori sans difficulté hormis le Portugal (Estonie, Irlande, Chypre, Andorre).
Pourtant, d’entrée, les hommes de LVG déchantent. L’Irlande mène 2-0 et les doutes enflent dans la nuit amstellodamoise. Le match nul finalement arraché ne rassure personne. Si les Hollandais assurent contre les adversaires plus faibles, les rencontres contre l’Irlande ou le Portugal posent systématiquement problème. Dès la troisième journée, le management du Pélican laisse entrevoir des failles et il assiste, la mine déconfite, à la défaite contre le Portugal à domicile (0-2).
Le 1er septembre 2001, c’est un match décisif qui se profile à Dublin. Toujours arrogant, van Gaal n’hésite pas à provoquer les coéquipiers de Roy Keane en déclarant que son équipe étant tellement talentueuse que même les Irlandais devraient la supporter. C’était mal connaître le tempérament irlandais, puisque les Oranje traversent le match comme des fantômes et s’inclinent 1-0. Une victoire irlandaise qui confirme le superbe parcours réalisé jusque-là. Les Pays-Bas ratent l’occasion d’être maîtres de leur destin et sont condamnés à un sans faute dans l’espoir d’un essoufflement irlandais. Il n’en sera rien. L’arrogance de van Gaal a eu raison de ses rêves de Coupe du Monde et lui inflige une humiliante troisième place. Malgré l’une des plus belles générations de son histoire, la sélection Oranje ne voit pas le mondial asiatique.
Une occasion ratée de rentrer dans la légende qui entame sérieusement son pedigree. Pourtant, après avoir présenté sa démission en janvier 2002, van Gaal reste une cible privilégiée. Les rumeurs circulent et on affirme même qu’il est appelé à succéder à Sir Alex Ferguson à la tête des Red Devils. La retraite du manager écossais interviendra un peu plus d’une décennie plus tard et van Gaal entraînera bien Manchester United, mais c’est une autre histoire. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est finalement un ex qui veut rapatrier le Hollandais.
Le FC Barcelone, dans une impasse sportive et sans succès majeur depuis le départ de la Tulipe de Fer, joue son va-tout. Après tout, le club catalan abrite une colonie néerlandaise (cinq joueurs) et van Gaal conserve une réputation de formateur capable de faire éclore une génération. Et le Barça est une véritable pépinière de talents, locaux ou importés. Riquelme, Saviola, Iniesta, Thiago Motta, Valdes… Sans compter les futurs cadres barcelonais comme Puyol ou Xavi, que van Gaal a fait débuter lors de son premier passage.
Louis van Gaal, au cœur de la tempête
Dès son arrivée, le Hollandais crée de l’agitation et Rivaldo décide alors de s’exiler en Italie. Condamné par le coach à évoluer sur le côté gauche, le champion du monde doute du génie du Pélican. Il ne se cache d’ailleurs pas pour cibler van Gaal comme la cause de son départ: « Van Gaal est la principale raison de mon départ. Je ne l’aime pas et je suis sûr que lui non plus ne m’aime pas ». Sous la houlette du Pélican, Victor Valdes et Andres Iniesta font leurs grands débuts sous les couleurs barcelonaises. Pourtant, malgré un œil toujours affûté pour repérer les talents, le club de la capitale catalane piétine. Riquelme fait lui aussi les frais de l’entêtement du Batave. Le schéma de van Gaal déporte l’Argentin sur le côté droit au mépris des qualités intrinsèques du joueur.
À la mi-saison, c’en est trop, le Barça est humilié, douzième, à trois points du premier relégable et à vingt du leader ! Un problème de caractère ? Un manque de temps ? Sûrement un peu des deux mais l’intransigeance et la tyrannie de LVG exaspèrent. Car le Pélican ne se remet pas en question, son estime personnelle le lui interdit, et même lorsqu’il est prié de quitter le Barça pour la deuxième fois, il trouve tout de même le moyen d’affirmer : “Je suis le meilleur entraîneur possible pour ce club”.
Pas totalement faux quand on sait que le Barça ne retrouve le succès que grâce à la maturation de sa génération dorée et l’arrivée du prodigieux Ronaldinho. Or, cette colonne vertébrale c’est LVG qui l’a lancée et lui a fait confiance le premier. L’intransigeance de van Gaal est footballistique. Ce dernier se refuse à penser en fonction des individualités et assume : “Je ne choisis pas les onze meilleurs, je choisis le meilleur onze. »
Pour un homme habitué à brandir son CV et son palmarès, enchaîner les échecs n’est pas permis. Heureusement, le souvenir des exploits de LVG n’a pas fané partout. Malgré une cote de popularité en berne, le club ajacide rappelle l’homme à l’origine de ses dernières heures de gloire. Mais pas en tant qu’entraîneur, non, Ronald Koeman, son ancien adjoint, occupe la place. Louis sera directeur technique, une sorte de manager général.
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Mais, une fois de plus, le caractère du Batave fait des émules. Recruté par le directoire de l’Ajax dans le dos de Johan Cruyff, dont on peut parier qu’il se serait opposé à sa venue, l’autoritarisme du Pélican dérange. Son caractère tempétueux lui attire rapidement les foudres de l’ensemble de l’organigramme ajacide.
Dans le fond, van Gaal se plaint surtout de l’ère dans laquelle rentre le football néerlandais. L’ère du football globalisé dans laquelle l’Ajax n’est plus un mastodonte européen, mais bien davantage un vivier pour les autres cadors européens ou un excellent tremplin pour les Sud-Américains ou les Scandinaves. Évidemment, tout se finit en une inévitable embrouille avec Ronald Koeman. L’origine de la brouille ? Le rôle de Zlatan Ibrahimovic, dont van Gaal se passerait bien. Une nouvelle fois, le Pélican abandonne le navire déclarant : « Ma démission est dans le meilleur intérêt du club, ça n’a rien à voir avec les mauvais résultats du club ».
Reculer pour mieux sauter, le pari de l’AZ Alkmaar
En 2004 donc, la Tulipe de Fer a pris un coup de vieux et celui qui mettait l’Europe à ses pieds il y a encore quelques années est devenu indésirable. Dans la difficulté, le Pélican revient encore aux sources. Direction Alkmaar où, en 1986, il avait débuté dans le métier en tant qu’entraîneur adjoint/ joueur. Ambitieux, le fortuné Dirk Sheringa veut rivaliser avec les cadors nationaux (Ajax, PSV, Feyenoord).
Remonté en Eredivisie en 1998, à l’atterrissage du Pélican en 2005, l’AZ est en plein développement. Dans un environnement peu médiatique et acquis à sa cause, il s’agit sans doute de la meilleure chance du Batave pour prouver qu’il n’est pas has been. Avec une qualification obtenue la saison précédente pour la Coupe de l’UEFA, le club de la petite ville de Hollande septentrionale entend bien s’incruster en Ligue des Champions. Si l’Ajax n’est plus au mieux depuis le départ de Zlatan Ibrahimovic, le PSV Eindhoven, champion en titre, tourne à plein régime, emmené par Gomes, Alex, Affelay, Farfan ou encore Vennegoor of Hesselink.
Pour tirer son épingle du jeu, l’AZ mise sur un football offensif et collectif, le Pélican contrôle tout et s’accompagne de joueurs de devoir plutôt que d’individualités. Directement, LVG cherche à allier jeunes talents et joueurs expérimentés. Une recette qui fonctionne, l’AZ réalise un excellent début de saison et ne sort jamais du podium. Avec une attaque de feu (78 buts marqués), Alkmaar s’adjuge la seconde place, dix points derrière un intouchable PSV. Malgré une saison encourageante, l’AZ échoue dans le tournoi qualificatif pour la Ligue des champions et est reversé en UEFA.
Fidèle à ses principes, le Pélican fait signer les espoirs belges Moussa Dembélé et Maarten Martens. Attentive, la Tulipe de Fer mise aussi sur une génération néerlandaise victorieuse, à l’été 2006, de l’Euro espoirs. Stijn Schaars et Demy De Zeeuw sont rejoints par Ryan Donk, lui aussi membre de la promotion 2006. Devant, le duo offensif Shota Arveladze / Danny Koevermans fonctionne à merveille, l’AZ empile les buts et démarre la saison en trombe.
Leader et invaincu, van Gaal sent déjà ses chevilles qui enflent. Rien de mieux que l’un de ses rivaux pour le faire redescendre. Le PSV de Ronald Koeman rappelle son statut de champion en titre en venant s’imposer 3-1 à Alkmaar. À nouveau, malgré une attaque toujours aussi prolifique, la Tulipe de Fer échoue, à trois points du PSV cette fois. Une saison tragique pour l’AZ, battu par l’Ajax dans le barrage pour la Ligue des champions et en finale de Coupe des Pays-Bas.
Malgré les recrutements de Sergio Romero ou Graziano Pellè, l’effet van Gaal s’étiole et, pour la saison 2007/2008, l’AZ sombre. Si l’endurance manquait aux joueurs de van Gaal pour conquérir le championnat néerlandais, cette fois-ci Alkmaar réalise un début de saison catastrophique. Après avoir fait planer un vent de révolution sur l’Eredivisie, l’AZ termine à une piteuse onzième place. Touché dans son orgueil, le Batave donne sa démission.
Mais, chose rare, le vestiaire se mutine… pour le faire rester. Kew Jaliens, vice-capitaine, et ses coéquipiers, rejettent la désertion du Pélican : « Nous nous sommes sentis insultés en apprenant le départ de Louis van Gaal, toute l’équipe était convaincue qu’il était le seul à pouvoir faire passer un cap à ce club ». Plus surprenant encore, la révolution de palais abouti et van Gaal défait ses bagages.
Malgré un début de saison 2008/2009 raté, l’AZ s’installe en tête à partir de la fin novembre, et n’en bougera pas. Sans véritable tête d’affiche, l’AZ de van Gaal réalise un exploit et devient le premier club hors top 3 à remporter le championnat depuis 1981. Une leçon de football collectif, rendue possible par un excellent milieu de terrain (De Zeeuw, Martens, Schaars), à l’issue de laquelle l’AZ affiche une insolente avance de onze points sur son dauphin. Ce titre, c’est celui de la persévérance, une véritable victoire morale pour van Gaal qui ,grâce à la liberté offerte par l’AZ, a été capable de renverser la vieille dynastie du football néerlandais.
Son aplomb retrouvé, van Gaal redevient une figure de choix pour les clubs européens, les portes du gotha se rouvrent à lui. Le Bayern Munich ne tarde pas à s’attacher ses services pour la saison suivante. Toujours aussi clivant, LVG fait éclore une nouvelle génération qui, elle aussi, fait trembler l’Europe.
Sources :
- Bill Munday, How Van Gaal took an unfinanced AA Alkmaar to the pinacle of Dutch football, These football times
- Karan Tejwani, The redemption of Louis Van Gaal at AZ Alkmaar, Breaking the lines
- Steven Oliveira, Louis Van Gaal en dix dates, So foot
- Rob Draper, “Louis van Gaal turned things around at AZ Alkmaar to win the Eredivisie title… but can he do the same at Manchester United?” Daily Mail
- World cup teams that never were: Netherlands 2002, The Welsh Gull
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