En ce jour du 5 juillet 2014, la Belgique se fait éliminer du mondial brésilien par l’Argentine de Lionel Messi. Un but de Gonzalo Higuain en début de match qui permet aux Argentins d’accéder au dernier carré de la compétition. La Belgique est éliminée mais fière d’avoir pu retrouver une sélection au plus haut niveau international. Le commentateur vedette de la RTBF, Rodrigo Beenkens, déclare après le match : « On ne peut pas tout oublier. Aujourd’hui les Belges sont à nouveau respectés et craints dans le football mondial. Et ça j’ai pu m’en apercevoir au Brésil ». En rajoutant également une allusion à l’épopée mexicaine de 1986 : « Les anciens en 1986 nous avaient bien dit de profiter parce que nous ne reverrons sans doute plus jamais ça… ».
En effet malgré les deux dernières très belles campagnes de 2014 et de 2018, Mexico 1986 reste pour le plat pays la première grande épopée du football belge en Coupe du monde. Retour sur l’aventure mexicaine des Diables Rouges en 1986.
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Un début de mondial mexicain cauchemardesque pour les Diables
Si 1986 est resté dans les mémoires collectives des Belges, la campagne mexicaine fut loin d’être reposante pour les hommes entrainés par Guy Thys. Dans un premier temps les Belges ne se sont pas baladés lors de la campagne qualificative. Dans un groupe composé de l’Albanie, de la Pologne et de la Grèce, les Diables finissent deuxièmes du groupe et doivent participer à un match de barrage contre les Pays-Bas, le rival historique. Une double rencontre où la sélection belge ressortira qualifiée pour le Mexique. Au mondial, les Diables rouges héritent du Mexique, du Paraguay et de l’Irak. Un groupe qui pourrait paraitre abordable. Le Paraguay n’est pas encore la sélection qu’elle deviendra par la suite dans les années 1990 et 2000 et l’Irak reste un petit pays de football sur le plan international.
De son côté, la sélection belge est plus que prometteuse et regorge de nombreux talents. Les années 1980 sont une période faste pour le football belge. Durant cette décennie les Diables rouges restent sur une finale d’Euro en 1980, en Italie, mais aussi sur une campagne plus que respectable lors du Mundial 1982, en Espagne, quatre années plus tôt. La Belgique avait notamment battu l’Argentine de Maradona lors du match d’ouverture au Camp Nou et avait fini première de son groupe. Un exploit historique puisque la sélection n’avait alors jamais passé un premier tour en Coupe du monde. L’aventure espagnole s’arrête au second tour contre la Pologne et l’URSS mais laisse toutefois envisager un bel avenir à cette sélection.
Quatre années plus tard c’est une équipe encore plus compétitive qui se présente au Mexique. Le sélectionneur, Guy Thys, peut compter sur un groupe en partie composé de joueurs d’Anderlecht, du Standard et du Club Bruges, les trois grands clubs du pays. Nous sommes à une époque antérieure à l’arrêt Bosman et seulement deux joueurs évoluent à l’étranger, le milieu de terrain Eric Gerets ainsi que le gardien de but Jean-Marie Pfaff qui appartiennent respectivement au PSV Eindhoven et au Bayern Munich. Comme pour beaucoup de championnats, l’arrêt Bosman marque un tournant dramatique. Avant cette décision, les clubs belges sont très performants en Coupe d’Europe. Anderlecht connait ses premiers succès européens dans les années 1970, le Club Bruges parvient à se hisser en finale de la Coupe des Champions en 1978. Si le Club ne parviendra pas à gagner une Coupe d’Europe, les Mauves eux glaneront deux Coupes des coupes en 1976 et en 1978 ainsi qu’une Coupe de l’UEFA en 1983.
Le sélectionneur Guy Thys peut compter sur un groupe de vingt-deux joueurs de grand talent. Parmi eux, Jean-Marie Pfaff, Jacky Munaron, Gilbert Bodart, Eric Gerets, Michel Renquin, Enzo Scifo, Philippe Desmet, ou encore Daniel Veyt. Le premier match des Diables rouges se joue à Mexico contre le Mexique le 3 juin dans le mythique Stadio Azteca qui a vu Pelé soulever la Coupe du monde en 1970. Les 115 000 supportes mexicains en auront pour leur prix puisque leur sélection nationale domine et ne fait qu’une bouchée d’une bien pale équipe de Belgique. La Tri mène au score au bout de quarante minutes de jeu avant qu’Erwin Vanderbergh ne réduise l’écart avant la mi-temps. Le score en restera là. Quelques jours après les hommes de Guy Thys sont dans l’obligation de s’imposer contre la modeste équipe d’Irak. Loin d’être dominants, les Diables rouges s’imposent sur le score de 2-1 grâce à des buts de Nico Claesen et d’Enzo Scifo. Le troisième et dernier match n’est pas plus rassurant puisque les Belges finissent par faire match nul contre le Paraguay (2-2).
Ces résultats suffisent à la Belgique pour se qualifier, cette dernière finissant parmi les quatre meilleurs troisièmes. Après ce premier tour plus que laborieux, les observateurs envisagent une élimination dès les huitièmes de finale. En plus des difficultés sur le plan sportif, les Belges sont aussi confrontés à des tensions internes entre certains joueurs. En particulier entre deux camps : celui des Anderlechtois et celui des Brugeois. A l’époque le football belge est dominé par Anderlecht et le Club Bruges qui font partie des principaux fournisseurs des Diables rouges. Cette rivalité qui s’est notamment renforcée suite au match d’appui pour le titre de champion de Belgique qui a eu lieu entre Anderlecht et Bruges quelques semaines plus tôt. Arrivés au Mexique, les Brugeois n’ont pas digéré leur défaite face à leurs coéquipiers anderlechtois alors au somment de leur art. Une vérité qui l’est particulièrement pour Enzo Scifo le petit prodige et idole du Parc Astrid. Les Brugeois en sont jaloux et acceptent mal les différents passes droits accordés au petit prince du Tivoli. Le sélectionneur Guy Thys règle les différends et évite une sorte de « Knysna belge » (terme quelque peu anachronique) avant le début de la phase à élimination directe.
La révolte contre l’URSS, le plus grand exploit du football belge
Face aux tensions, Guy Thys a su sévir et remettre de l’ordre dans son groupe avant d’affronter la grande URSS de Valery Lobanovski en huitième de finale. Sur le papier c’est un des huitièmes les plus alléchants de ce mondial mexicain mais paradoxalement celui qui semble le plus déséquilibré. Après un premier tour de grande qualité, les Soviétiques, en pleine apogée footballistique, apparaissent comme un des grands favoris de cette Coupe du monde.
Sur son banc, l’URSS peut compter sur Valery Lobanovski, tout juste vainqueur la même année avec le Dynamo Kiev de la Coupe des Coupes contre l’Atlético de Madrid. Le technicien accumule alors le poste d’entraineur de Kiev et de sélectionneur de l’URSS. Le football proposé par le tacticien ukrainien est spectaculaire et symbolise une sorte de symbiose collective rappelant les plus belles heures du football socialiste ou du Danube des années 1950. La République socialiste soviétique d’Ukraine souvent présentée comme le « grenier à blé » de l’URSS était aussi un important fournisseur en matière de footballeurs talentueux. Une grande partie de la sélection soviétique est ainsi composée d’éléments du Dynamo Kiev avec parmi eux notamment un certain Igor Belanov qui remportera le Ballon d’or à la fin de l’année.
Le huitième de finale a lieu le 15 juin à Léon devant 32 277 personnes. Malgré onze très alléchant, les Belges ne peuvent résister dans un premier temps à la tornade soviétique. L’incontournable Igor Belanov ouvre la marque au bout d’à peine trente minute de jeu. Comme ce qui était attendu, les Sovétiques dominent leurs adversaires. Le cours du match s’inverse en début de seconde période avec l’égalisation du petit prince du Tivoli, Enzo Scifo à la 56ème minute qui fait étalage de sa panoplie technique. Les hommes de Valery Lobanovski croient tenir leur qualification à la 70ème minute de jeu grâce à un second but d’Igor Belanov.
Après l’égalisation d’un Anderlechtois, c’est au tour de d’un Brugeois de raviver la flamme. En effet, Jan Ceulemans égalise à la 77ème minute de jeu d’un superbe enchainement contrôle poitrine et frappe derrière à la limite du hors-jeu. La Belgique parvient à emmener la grande Union soviétique en prolongations ; déjà un exploit pour les hommes de Guy Thys. Les Diables rouges ne veulent pas s’arrêter en si bon chemin et dominent largement leurs adversaires en inscrivant deux buts dans les prolongations.
Dans un premier temps par l’intermédiaire de Stéphane Demol sur un coup de tête à la 102ème minute de jeu puis dans un second temps grâce à Nico Claesen à la 110ème minute. La réduction du score d’Igor Belanov ne changera rien. La Belgique l’emporte 4-3 et se qualifie pour les ¼ de finale de la Coupe du monde 1986. Le lendemain au journal télévisé, le présentateur de la RTBF évoque l’exploit des Diables de la manière suivante : « Il ne faut pas avoir peur des superlatifs. La Belgique vient sans doute de conquérir la victoire la plus prestigieuse de son histoire ». Le spécialiste du football belge et élu bruxellois, Alain Courtois, avait déclaré peu avant le mondial 2018 : « Quand on a battu l’URSS, c’était un peu Lourdes et Fatima le même jour. Personne ne s’y attendait, on sortait des poules et on avait mal joué. Mais les miracles, ça existe en football ».
Une épopée inscrite dans les mémoires collectives
Cette qualification contre l’URSS reste parmi les plus beaux exploits de l’histoire du football belge. De par la victoire acquise contre une des meilleures sélections de l’époque mais aussi pour le côté historique puisque pour la première fois les Diables rouges vont jouer un ¼ de finale de Coupe du monde. Alors oui, il y a bien eu 1982 et la qualification au second tour mais la formule n’était pas tout à fait la même que celle de Mexico 1986. Pour ce match historique c’est l’Espagne vice-championne d’Europe en titre qui va défier la Belgique. Une Roja très ambitieuse dans ce mondial et qui fait peur avec notamment des éléments comme Andoni Zubizaretta, Juan Antonio Camacho, Emilio Butragueno ou encore l’élégant milieu de terrain du Real Madrid, Michel. Le sélectionneur espagnol Miguel Munoz peut s’appuyer sur l’ossature du Real Madrid tout juste vainqueur de la Coupe UEFA. Tombeur de l’URSS, la Belgique se présente à Puebla en ce 22 Juin 1986 avec le même onze que le match précédent.
Les Diables ouvrent la marque à la 35ème minute de jeu grâce à Jan Ceulemans qui réceptionne un centre de Vercauteren. La Belgique doit tenir et c’est au tour du show Jean-Marie Pfaff de commencer. Le gardien du Bayern Munich multiplie les parades exceptionnelles avant de malheureusement s’incliner à cinq minutes du terme. Les Diables sont une nouvelle fois contraints de jouer les prolongations. Cette fois-ci pas de but durant cette demi-heure supplémentaire de jeu entre l’Espagne et la Belgique. Les deux sélections vont devoir se départager aux tirs au but. Alors que Guy Thys peut compter sur un Jean-Marie Pfaff d’un grand soir, ce n’est pas le cas des deux vedettes Ceulemans et Gerets qui refusent de tirer. Jean-Marie Pfaff parvient à sortir la tentative d’Eloy avant que les autres tireurs espagnols ne réussissent à marquer les quatre autres tirs. Côté Diables rouges c’est un sans-faute. Le dernier tireur belge, Léo Van Der Elst, peut donc donner la qualification aux siens en inscrivant le cinquième et dernier penalty belge. Le commentateur de la RTBF, Roger Laboureur, dit dans son micro : « Marque nous cela Léo…. » avant de s’exclamer quand le ballon arrive au fond des filets : « Nous sommes en demi-finale ». La Belgique est en demi-finale. Un exploit retentissant pour les coéquipiers d’Enzo Scifo.
Le plat pays est en liesse et profite de ce moment si rare et unique à l’époque pour le football mais aussi pour le sport belge de manière générale. L’Argentine d’un Diego Maradona au sommet de son art attend la bande à Scifo en 1/2 finale. Le meneur de jeu napolitain vient de réaliser un récital contre l’Angleterre en inscrivant un doublé, la main de Dieu et le but du siècle. Les Argentins, beaucoup trop forts, ne laissent aucune miette à leurs adversaires du 25 juin 1986 à Mexico. Maradona réalise un autre chef d’œuvre avec de nouveau un doublé qui restera gravé dans les annales de la Coupe du monde. L’Argentine prend sa revanche après la défaite en ouverture contre les Belges quatre ans plus tôt à Barcelone.
L’épopée des Diables rouges s’arrêtent dans le dernier carré. Mais l’essentiel est déjà acquis, la Belgique vient de réaliser son plus beau parcours lors d’un mondial. Il restera ce match pour la troisième place contre la France de Michel Platini perdu 4-2 après prolongations. Un match spectaculaire mais anecdotique si ce n’est la présence de Jean-Pierre Papin côté Bleus qui retrouve ainsi ses coéquipiers du Club Bruges. L’épopée mexicaine est restée dans les mémoires collectives en Belgique, elle représente surtout l’apothéose de l’âge d’or du football belge qui se sera étalé des années 1970 aux années 1980.
La Coupe du monde 1986 aura été aussi l’occasion de voir Enzo Scifo confirmer au plus haut niveau international. Après un Euro 1984 plus que décevant, le petit prince du Tivoli avait enfin montré l’étendue de son talent avec la sélection belge. Une compétition plus qu’aboutie pour le meneur de jeu d’Anderlecht qui lui ouvrira les portes de la prestigieuse Serie A et de l’Inter Milan. Un talent particulièrement apprécié par Michel Platini qui déclarera à son sujet : « C’est le seul joueur européen qui peut se prévaloir d’être mon héritier ».
Le mondial de 1986 au Mexique a aussi symbolisé une épopée fantastique qui a failli virer au drame après un premier tour laborieux. Les tensions entre joueur des Mauves et du Club ainsi que la jalousie envers Enzo Scifo de certains de ses coéquipiers ont amené Guy Thys a faire des choix forts pour éviter la déroute totale. A leur retour de Belgique, la Grand Place de Bruxelles est noire de monde. Le peuple belge accueille ses héros comme il se doit, conscient du moment unique qu’il est en train de vivre. Comme disaient certains en 1986 : « Profitez bien car vous et vos enfants ne reverrez surement jamais une chose pareille ». En effet il faudra attendre trente-deux années pour que la fabuleuse génération des Diables d’Hazard, De Bruyne et de Courtois ramènent la Belgique dans le dernier carré de la Coupe du monde.
Sources :
Articles :
- Mondial : la Belgique en demi-finales, le souvenir intact de 1986, Article AFP, Juillet 2018
- Rouquet Sylvain, Bayet Gregory, 1986, l’épopée fantastique des Diables au Mexique, RTBF, Mai 2018
- Rouquet Sylvain, Bruges-Anderlecht, Histoire d’un duel, RTBF, Novembre 2014
- Montagu Camille, Enzo Scifo, Numéro 10 dans l’ombre, Ultimo Diez, Avril 2020
Sources audiovisuelles :
- Histoires de Coupe du monde : URSS-Belgique 1986, les Diables Rouges évitent l’enfer, Europe 1, 2018
Crédits photos : Icon Sport