La semaine dernière nous avons retracé les parcours de joueurs ayant foulé, aux côtés de Diego Maradona, les terrains d’Italie et d’Europe entre 1984 et 1991, remportant la plupart des trophées les plus prestigieux de l’histoire du Napoli. Après le chaleureux Giuseppe Bruscolotti, le puissant Ciro Ferrara et le discret Alessandro Renica, voici les profils et les histoires d’autres joueurs qui ont marqué l’histoire du club parthénopéen par leur apport sur et en dehors du terrain.
Francesco ROMANO
Dans la première partie de cet article, nous avions expliqué le rôle crucial joué par le dirigeant sportif Italo Allodi dans l’amélioration de l’effectif napolitain entre 1985 et 1987 (il avait notamment signé Alessandro Renica). L’arrivée de Francesco Romano au Napoli, c’est au bras droit d’Allodi, Pierpaolo Madino (sa carrière, commencée au Napoli, est encore en cours à l’Udinese), qu’on la doit. Romano signe au Napoli à l’été 1986. Le milieu de terrain est originaire de Naples, mais a effectué son début de carrière dans le Nord de l’Italie, à l’AC Reggiana, au Milan AC et à l’US Triestina. Son arrivée au sein de l’effectif napolitain est décisive : il est champion d’Italie dès sa première saison au club ( alors qu’il a fallu trois saisons à Diego Maradona). Sur le terrain, il est une pièce maîtresse de l’équipe : véritable métronome, il organise le jeu grâce à ses passes millimétrées et à son sens de l’anticipation. Romano joue pour ses coéquipiers, bien conscient du génie de certains d’entre eux. Maradona avait beaucoup d’affection pour Francesco Romano. Il le surnommait, en Italie, « la Tota », surnom qu’il donnait en Argentine à sa propre mère, Dalma Salvadora Franco, dite « Doña Tota ».
Francesco Romano ne joue au Napoli que jusqu’à la fin de l’exercice 1988-1989, où il gagne avec le club la Coupe de l’UEFA. La suite de sa carrière est moins heureuse : il est violemment blessé lors de cette même coupe UEFA, et ne recouvre jamais son excellent niveau. Cela lui vaudra, d’abord, d’être transféré au Torino, puis dans d’autres clubs inférieurs par la suite. Il met fin à sa carrière de joueur en 1995. Au Napoli, « Ciccio » Romano a disputé 65 parties et inscrit 5 buts.
Giovanni FRANCINI
Giovanni Francini rejoint le club à l’été 1987, juste après l’obtention du premier scudetto. Il y reste sept saisons jusqu’en 1994, évoluant au poste de latéral gauche, avant de glisser en défense centrale avec l’âge. Si Ciro Ferrara, à droite, apporte la rigueur et la solidité défensive, Francini à gauche présente un profil plus offensif. Son explosivité, sa technique et son physique lui permettent de prendre part aux attaques de l’équipe, où il fait valoir son jeu de tête et ses insertions entre les lignes adverses. Son principal fait d’arme ? Il le réalise face au Real Madrid, lors du premier tour de la Coupe d’Europe des clubs champions (ancêtre de l’actuelle Ligue des champions, qui se jouait à l’époque en tours à élimination directe sur le format aller et retour). Le 16 septembre, les Napolitains se déplacent à Madrid et sont défaits 2 à 0. Le match retour promet d’être bouillant, et les co-équipiers de Maradona croient en la possibilité d’un exploit. Le 30 septembre, le San Paolo se blinde de monde (plus de 83 000 personnes) pour assister au match retour. Le public et les joueurs savent que pour espérer se qualifier, il faut enflammer la partie en marquant très vite. Francini prend directement ses responsabilités, puisque après 9 minutes dominées par le Napoli, un long ballon atteint Careca dans la surface de réparation, en deux temps, celui-ci le remet de la tête au défenseur qui s’était positionné au second poteau. Ce dernier frappe d’une tête piquée et si puissante, que le gardien madrilène Buyo peut repousser mais n’arrive pas à contrôler. Le ballon revient dans les pieds du numéro 3, qui fusille les filets à bout portant. 1-0 pour le Napoli, et les espoirs renaissent. Espoirs qui durent tout le match, où les Madrilènes sont maintenus dans la course par les arrêts décisifs et répétés de Buyo. En fin de match, le mexicain du Real, Sánchez, lance Butragueño en profondeur, qui s’en va lober le gardien napolitain pour faire 1-1. Fin cruelle d’un match qui aurait pu devenir mythique, et que Francini regrette encore. Lors de la saison 2016-17, les deux équipes se rencontraient à nouveau dans le cadre de la Ligue des champions, ce qui fut une occasion pour le joueur de rappeler la déception ressentie à l’époque, tant l’exploit semblait possible. Cette double rencontre montrait néanmoins que ce Napoli, pour la première fois de son histoire, pouvait faire face à un très grand d’Europe comme le Real Madrid, même en sortant avec les honneurs.
Francini fut l’un des joueurs clés de l’équipe en 1989-90, lorsque celle-ci fut championne d’Italie pour la deuxième fois de son histoire. A la fin de sa carrière professionnelle, il continue de jouer au football au niveau amateur jusqu’à presque cinquante ans. Le défenseur napolitain avait encore de l’énergie à revendre…
LIRE AUSSI – Les autres joueurs du Napoli de Maradona (1/2)
Ricardo Rogério de Brito « ALEMÃO »
Nous n’avons présenté jusque là que des joueurs italiens. C’est normal, le Napoli des années 1980-1990 s’inscrit dans le contexte pré-arrêt Bosman, où les équipes n’avaient droit qu’à trois joueurs extra-communautaires. Pour ces trois joueurs non-italiens, le club est allé piocher en Amérique du Sud, et quelle bonne idée ce fut. Diego Maradona, évidemment, fut le premier de ceux-ci. Après l’Argentin, c’est vers le Brésil, quelques années plus tard, que le Napoli s’est tourné, en recrutant Alemão. Le milieu défensif débute sa carrière à Botafogo, au Brésil, entre 1980 et 1987. Il n’y gagne rien mais est nommé bola de prata (ballon d’argent) brésilien, trophée décerné chaque année au meilleur joueur du championnat. Il s’envole ensuite pour l’Europe, mais passe d’abord par l’Espagne, à l’Atlético Madrid, où il joue une saison pleine : 35 matchs et 6 buts inscrits, avec le trophée personnel de meilleur joueur extra-communautaire de La Liga en prime. Le Napoli le recrute alors, et le Brésilien reste au club de 1988 à 1992, disputant 93 matchs au cours desquels il marque 9 buts. Son profil est atypique pour un Brésilien de l’époque : pas technique, Alemão est puissant. Il réalise de longues et rapides foulées qui lui permettent de très vite récupérer les ballons lors les phases défensives. Son endurance est son meilleur atout, il passe des matchs entiers à harceler les milieux adverses et à gratter des ballons avant de les remettre à ses coéquipiers, grâce à son toucher de balle rapide et à la qualité de son jeu de passe. Un profil assez « européen » en somme, qui collait bien avec le personnage. Son surnom Alemão signifie « l’Allemand ». On lui donnait en raison de sa chevelure blonde et de sa peau plutôt claire pour un Brésilien. Alemão arrive après la victoire du premier scudetto, mais contribue grandement à l’obtention de la Coupe UEFA, du second scudetto et de la Supercoupe d’Italie. Sa hargne et sa générosité sur le terrain sont encore très présents dans le cœur des supporters napolitains. Ces dernières années, les exploits d’Allan au sein du Napoli lui ont souvent valu d’être comparé à Alemão. Les deux sont Brésiliens, jouent au milieu de terrain et sont des gratteurs de ballons énergiques et déterminés. On ne peut souhaiter qu’un succès similaire à Allan au cours de sa carrière, avec le Napoli comme avec la sélection brésilienne. Alemão a honoré 39 sélections avec les Auriverdes entre 1984 et 1992, et marqué 6 buts. Il a notamment disputé pleinement la Coupe du monde de 1986 au Mexique, où le Brésil perd en quart de finale contre la France lors d’une séance de tirs au but et que Diego Maradona s’en va gagner avec son Argentine contre l’Allemagne de l’Ouest. La boucle est bouclée.
Antônio de Oliveira Filho « CARECA »
Le dernier joueur du « Napoli de Maradona » dont nous allons parler est probablement le plus connu de l’équipe après l’Argentin. Véritable révélation lors de la Coupe du monde 1986, où il finit deuxième meilleur buteur derrière Lineker malgré l’élimination de son Brésil en quarts de finale, Careca est un buteur né. Plein de sang-froid, de puissance et de vitesse, il est toujours dans les bons coups, que ce soit pour marquer des buts de « renard des surfaces », ou pour faire des offrandes de passes décisives à ses coéquipiers. Très bon de la tête et des deux pieds, il est l’attaquant parfait à associer à un joueur tel que Maradona. Il quitte son São Paulo FC en 1987 pour rejoindre le Napoli, où il dispute 164 matchs pour 73 buts ; statistique impressionnante dans une Serie A alors connue pour la qualité de ses défenses. Avec Diego Maradona, Careca est la star du club. Les deux hommes sont complémentaires, Careca expliquait même lors d’une interview : « J’ai avant tout signé à Naples pour Maradona. Je l’ai rencontré en 1986, à la fin de la Coupe du monde lors du dîner de remise de la coupe à Paris. C’est là qu’est né mon amour pour lui, et mon envie de jouer au Napoli. Je rêvais de jouer à ses côtés. Durant ces années nous avons beaucoup fait la fête, peut-être trop, mais c’est parce que nous étions une équipe forte. Pendant quatre ans, on a formé un tandem de choc, on s’est bien amusés. Le ballon était un divertissement, jamais un travail. » Le tandem de choc dont parle Careca était souvent complété par un troisième attaquant en la personne de Bruno Giordano. Ce trident offensif est resté légendaire à Naples, et est surnommé « MaGiCa », empruntant le Ma de Maradona, le Gi de Giordano et le Ca de Careca (qui pouvait également devenir le Ca d’Andrea Carnevale lorsque celui-ci remplaçait l’un des trois attaquants). C’est avec un tel trio que le Napoli a glané ses plus grands titres et exploits.
La légendaire Coupe du monde de 1990, tenue en Italie, oppose Careca à Maradona. Le Brésil rencontre l’Argentine dès les huitièmes de finale à Turin, et c’est Diego et son équipe qui sortent vainqueurs de cette rencontre, sur le score d’un à zéro. Beaucoup au Brésil, avaient alors tenu des propos sans fondement, comme quoi le buteur brésilien, par amour envers son coéquipier du Napoli, n’aurait pas joué le match à fond. Propos qui furent vite dissipés et qui n’eurent pas d’impact sur la carrière internationale de Careca, qui disputa 60 matchs avec la Seleção entre 1982 et 1993. La suite de cette Coupe du monde fut particulière pour Maradona et les Napolitains, notamment avec cette légendaire demi-finale entre l’Argentine et l’Italie jouée au San Paolo, où des tifosi confus ont vu leur idole sportive absolue éliminer leur propre pays. L’Argentine perdra finalement en finale, contre une Allemagne de l’Ouest revancharde.
Careca reste à ce jour un des meilleurs buteurs ayant porté les couleurs de Naples, ville à laquelle il est resté attaché, presque autant qu’à Diego Maradona.
Exalter le rôle de Diego Armando Maradona au sein du Napoli triomphant des années 1980 et 1990 est quelque chose de normal. Le Pibe de Oro a projeté l’équipe dans une dimension sportive jamais atteinte, a porté le club à des sommets et a offert à des millions de supporters les plus beaux titres de leur palmarès. Cependant, glorifier le seul rôle de l’Argentin dans ces exploits, c’est prôner l’individualisme dans un sport dont l’essence même est définie par le collectif. C’est ignorer un travail de l’ombre, un apport discret mais indispensable à une mécanique de jeu, à une organisation offensive et défensive nécessaire à l’accomplissement de telles victoires. Si le talent pur et le génie d’un joueur doivent être soulignés, ils ne doivent pas effacer ceux des autres, certes plus modestes, mais ô combien précieux. Raconter les exploits de Maradona en ignorant les récupérations hautes d’Alemão, la rigoureuse défense de Ciro Ferrara, les passes millimétrées de Renica, c’est n’observer les exploits récents d’un Real Madrid triple champion d’Europe qu’à travers les innombrables buts de Cristiano Ronaldo, sans regarder le jeu de passe d’un Modric, les dribbles de Marcelo ou les arrêts spectaculaires de Navas. C’est glorifier Messi pour le jeu brillant qu’il propose à Barcelone, en oubliant le rôle joué par le discret Busquets, le vif Jordi Alba ou les différents attaquants de grande classe avec lesquels il a été associé (toutes proportions gardées, évidemment).
Des génies, il y en aura toujours dans le football. Néanmoins, lorsque ces joueurs que tout semble favoriser, sont entourés de coéquipiers prêts à faire tous les sacrifices pour les mettre en valeur, alors la magie opère. Ce fut le cas du « Napoli de Maradona », équipe légendaire d’un club qui rêve encore des exploits réalisés par ce groupe de joueurs qui, sans être le plus connu de l’histoire du sport, laisse un souvenir affectueux à chaque supporter du Napoli dans le monde.