1990. Dans un mondiale italien bien décevant, la planète entière se passionne pour une équipe inattendue qui sera pourtant la révélation du tournoi : le Cameroun. La sélection des Lions Indomptables sème effectivement joie, enthousiasme et ivresse sur les pelouses et fait vibrer les foules. Plus globalement, l’épopée du Cameroun en 1990 est en fait le plus grand exploit de l’histoire du football africain en Coupe du Monde. Exploit qu’aucun autre pays du continent n’a jusqu’ici réussi à surpasser. Retour sur la fantastique aventure de cette équipe mythique et le parcours des joueurs d’exception qui la composaient, portés par un certain Roger Milla.
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Une préparation délicate loin de pousser à l’optimisme
Avant le début de la compétition, l’épopée du Cameroun semble improbable, encore moins jusqu’aux quarts de finale. Bien que vainqueur de la Coupe d’Afrique des Nations 1982 et 1988, il ne participe alors qu’à sa deuxième phase finale de Coupe du Monde. Il n’y a d’ailleurs, à l’époque, que deux places qualificatives dévolues aux pays africains qui sont les « petits poucets » du mondial. Avec les Lions Indomptables, les Pharaons égyptiens sont également présents en Italie.
Certes, le Maroc, lors de l’édition 1986, avait déjà créé l’exploit en devenant la première équipe africaine à se qualifier pour les huitièmes de finale. Mais pareille performance n’est pas réellement attendue en 1990 pour le Cameroun. Son sélectionneur, nommé en juillet 1988, est Valeri Nepomniachi. Soviétique, il ne parle pas un mot de français alors que c’est l’une des deux langues officielles du pays avec l’anglais. Puis la Coupe d’Afrique des Nations de janvier 1990 en Algérie est un désastre. Tenant du titre, le Cameroun est battu deux fois en poule et est piteusement éliminé dès le premier tour.
Pour le Mondiale, en juin, les Lions ont en plus été placés dans une poule constituée d’équipes redoutables. D’abord, l’URSS, vice-championne d’Europe en titre en 1988. Ensuite, la Roumanie, dont l’équipe est composée de nombreux joueurs du Steaua Bucarest vainqueur de la Coupe des Champions 1986. Enfin, surtout, l’Argentine de Maradona, championne du monde en titre. Argentine-Cameroun, c’est d’ailleurs l’affiche du match d’ouverture de la Coupe du Monde italienne. L’enfer est promis au Cameroun.
Avec la gifle de la CAN algérienne, la préparation au Mondiale est loin d’être idéale. C’est alors que le président camerounais lui-même, Paul Biya, décide d’user de son autorité de chef d’État auprès du sélectionneur Valeri Nepomniachi. Son objectif ? Rappeler un néo-retraité, jouant dans le club amateur de Saint-Pierre de la Réunion, pour venir prêter main-forte à l’équipe. Son nom : Roger Milla. Le président Biya utilise effectivement toute son influence pour que Milla, 38 ans et qui a déjà fêté son jubilé en 1988, soit convoqué.
Alors qu’il ne faisait sans doute pas partie des plans de Nepomniachi, le Ballon d’Or africain 1976 retrouve donc contre toute attente les Lions Indomptables. Non sans quelques doutes : « Ce dont j’avais un peu peur, c’était l’accueil que pouvaient me réserver les joueurs de la sélection » confiera-t-il plus tard. Certains craignent en effet au début que cette arrivée surprise ne remette en cause leur place de titulaires. De quoi fragiliser l’unité de l’équipe ?
C’est avec l’intronisation de cette ancienne star camerounaise que se lance la préparation des Lions pour le Mondiale. Celle-ci a lieu en ex-Yougoslavie. Il ne s’agit toutefois pas d’un stage de préparation mais d’un « stage commando » d’après l’ancien joueur André Kana-Biyik. La préparation y est extrêmement dense et rude, axée sur le travail physique. C’est l’armée, et les Lions souffrent ! En plus, les conditions d’hébergement sont indignes du standing d’une équipe qualifiée pour la Coupe du Monde. Peu de moyens ont été investis par la Fédération camerounaise et beaucoup de joueurs doivent s’entraîner avec leur équipement de club. Le gardien de l’équipe, Joseph-Antoine Bell, dénonce d’ailleurs publiquement ces conditions à un média français.
Puis, juste avant le début de la compétition, un grave conflit au niveau des primes oppose encore joueurs et fédération. Un accord n’est finalement trouvé que la veille du match d’ouverture. La conséquence cruelle de toutes ces dissensions est que Bell se retrouve évincé du onze titulaire. Menacé d’être exclu du groupe, il reçoit le soutien de ses coéquipiers et reste malgré tout dans l’équipe. Il doit cependant laisser sa place dans les cages à un autre gardien d’exception, Thomas N’Kono. C’est dans cette atmosphère conflictuelle et tendue que la Coupe du Monde italienne s’ouvre pour le Cameroun.
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Le rugissement des Lions face à l’Argentine
8 juin 1990, match d’ouverture de la quatorzième Coupe du Monde de l’histoire. La grande Argentine face au petit Cameroun que tout le monde voit déjà être écrabouillé par le talent de Diego Maradona et consorts.
Mais, dès les premières minutes, les spectateurs du Stade de San Siro à Milan se rendent bien compte que ce n’est pas à ce scénario qu’ils vont assister. La partie, serrée et pauvre en occasions, se joue sur un rythme monocorde. Les Argentins misent tout sur le génie de Maradona pour créer du danger et déséquilibrer le bloc adverse. Sauf que le stage de préparation particulier et litigieux vécu par les Camerounais a eu sur eux deux effets bénéfiques. D’abord, cela a renforcé les liens de solidarité du groupe. Ensuite, physiquement, ils sont prêts. On ne verra pas Maradona du match, cadenassé par le jeu rugueux des Lions. Trop rugueux ? En effet, à la 62e minute, André Kana-Biyik est expulsé pour une grosse faute sur Caniggia. À 10, ces Camerounais qu’on n’attendait pas résister si longtemps à l’Argentine vont sans doute enfin céder ?
C’est tout le contraire qui se passe. Quatre minutes plus tard, coup franc excentré pour les Lions Indomptables. Le ballon, détourné par Makanaky, monte haut dans les airs dans la surface argentine. C’est le moment que choisit François Omam-Biyik pour s’élever. Un bond d’extraterrestre à 2,96 m du sol ! Sensini, le défenseur argentin, trop attentiste, se fait manger. Pourtant, le ballon arrive assez lentement et la reprise de la tête d’Omam-Biyik n’est pas fulgurante. Par contre, la bévue du portier de l’Albiceleste l’est. Pumpido, sur sa ligne, laisse en effet échapper la balle qui rentre ! Les Lions viennent de rugir : 1-0 pour le Cameroun !
L’Argentine tente alors par tous les moyens de revenir dans la partie. À la 88e minute, le Cameroun écope d’un deuxième carton rouge. Les champions du monde terminent donc le match à onze contre neuf. Mais rien n’y fait. Coup de tonnerre à San Siro : Maradona et les siens sont battus d’entrée par des Camerounais organisés et solidaires !
La renaissance du vieux lion : la légende Roger Milla
La fête organisée à l’hôtel des joueurs du Cameroun est à la hauteur de l’exploit immense qu’ils viennent de réaliser. Aucun d’eux ne sait alors qu’ils n’ont, en réalité, fait que poser la première pierre d’une formidable épopée. En effet, ce qui ne paraît être qu’une performance sans lendemain se transforme, lors du deuxième match face à la Roumanie, en véritable magie. Une renaissance merveilleuse et totalement inattendue. Comme face à l’Argentine, Roger Milla commence le match sur le banc. Lorsqu’il entre en jeu à la 59e minute de jeu, le score est encore de 0-0. Et il ne faut que vingt minutes au vétéran camerounais pour mettre tout le monde d’accord.
D’abord en n’hésitant pas à aller au contact avec son défenseur pour sortir victorieux de son duel. Seul face au portier, son sang froid fait la différence : 1-0. Puis en faisant parler sa vélocité et son aisance technique pour claquer un doublé en moins de 10 minutes ! 2-0 pour les Lions Indomptables. Image mythique, celle de Roger Milla partant droit au poteau de corner, explosant de joie en esquissant quelques pas de danse. À 38 ans, « le vieux Lion » devient le plus vieux buteur de l’histoire de la Coupe du Monde ! Et fort de deux victoires en deux matchs, le Cameroun réalise l’exploit de se qualifier pour les huitièmes de finale. Malgré une large défaite 4-0 contre l’URSS dans son dernier match, il termine même premier de sa poule.
Et ce qui est exploit bascule ensuite dans la légende. Car en huitième, c’est la talentueuse Colombie de Valderrama et du portier Higuita qui se dresse devant le Cameroun. Le match est équilibré et, encore une fois, c’est la rentrée de Milla qui va tout faire basculer. Extraordinaire histoire que ce semi-retraité devenu le « supersub » d’une équipe transformée en coqueluche du Mondiale. Le sourire charmeur et la cuisse légère malgré le poids des ans, Milla multiplie les déhanchements et les percussions ravageuses. C’est le cas lorsque, en pleine prolongation, il efface deux défenseurs après un subtil contrôle orienté et une fulgurante accélération. Higuita ne peut rien faire sur sa belle frappe du gauche : 1-0 pour les Lions Indomptables ! Et c’est tout le Cameroun qui se met, avec lui, à danser le Makossa devant ce poteau de corner.
Le Cameroun va-t-il vraiment se qualifier pour les quarts de finale de la Coupe du Monde ? La Colombie pousse pour revenir. Mais la légende devient mythe. Après un dégagement camerounais, Higuita vient récupérer la balle au milieu du terrain pour relancer rapidement. Milla vient à sa rencontre pour le presser et le gardien colombien tente de le dribbler.
« On ne dribble pas Milla. C’est moi qui suis payé pour passer le ballon sous le ventre des gardiens », Roger Milla.
La suite est l’une des images mythiques de l’histoire de la Coupe du Monde. Milla qui récupère le ballon dans les pieds emmêlés d’Higuita. Puis Milla qui fonce vers le but vide, tous les Lions rugissant de bonheur derrière lui. Aucun Colombien ne le rattrapera. 2-0. Malgré la réduction du score de Redin, l’affaire est pliée. Le Cameroun se qualifie pour les quarts de finale du Muffndiale ! En quatre matchs, Milla, N’Kono, Omam-Biyik et les autres ont placé le Cameroun et l’Afrique sur la carte du monde du football. Ont rempli de fierté le cœur de tout un continent.
« Cette victoire face à la Colombie démontre au monde entier que ces petits Africains, là, qui ont l’habitude d’être ridicules, à partir d’aujourd’hui, il faudra les prendre au sérieux », André Kana-Biyik.
L’apothéose d’une épopée d’anthologie face à l’Angleterre
Alors, le monde se prend à rêver, enthousiasmé par cette formidable équipe et les performances de classe de son symbole, l’éternel Milla. Le Cameroun peut-il aller encore plus loin ? À Naples, c’est l’Angleterre de Gary Lineker, Chris Waddle et Paul Gascoigne qui se dresse devant lui. Cette partie, c’est « le match des Lions » : Three Lions contre Lions Indomptables. Ce sera tout simplement le plus beau match de la Coupe du Monde 1990.
Et le Cameroun domine les Anglais. Omam-Biyik, dès la 12e minute, est tout près d’ouvrir le score mais Shilton sort une parade décisive. Contre le cours du jeu, sur leur seule occasion de la première mi-temps, ce sont alors les joueurs de la Rose qui prennent les devants. La tête de Platt trouve en effet la faille : à la pause une Angleterre bousculée mène néanmoins 1-0.
Nepomniachi n’attend pas plus longtemps pour faire rentrer son supersub, son sorcier. Celui qui a claqué deux doublés en deux matchs en sortant du banc. Milla est dans l’arène dès la 46e minute. Et tout change. Le Cameroun reprend la direction du jeu. À la 61e, le vieux Lion réalise un appel en profondeur et il est idéalement servi dans la surface par Omam-Biyik. Gascoigne n’a plus qu’une solution : sécher le lion avant qu’il ne rugisse. Pénalty !! Kunde ne se fait pas prier pour le transformer : 1-1 entre les deux formations, grâce à l’apport de Milla qui dynamise l’attaque camerounaise.
Et il ne s’arrête pas là. L’exploit est proche. Tout le monde le sent, tout le monde le perçoit, tout le monde l’espère. Tous les Camerounais espèrent d’autant plus lorsque, cinq minutes plus tard, Milla offre une merveille de passe en profondeur à Ekeke. Ce dernier n’a plus qu’à ajuster Shilton, venu à sa rencontre, d’une magnifique balle piquée : 2-1 ! C’est de la folie, Milla et les siens dansent à l’unisson sur la pelouse. C’est la fête du football dans ce Mondiale italien. Enfin.
Mais le Cameroun n’est plus la même équipe qu’au début de la compétition. Face à l’Argentine, il avait fermé le jeu. Contre l’Angleterre, il a gagné en conviction et est peut-être gagné aussi par la fièvre d’un nouvel exploit si proche. Il continue d’attaquer. Cela laisse des espaces aux Anglais qui profitent d’un pénalty de Lineker à la 83e pour revenir miraculeusement à la marque. 2-2. Encore une fois, il faut jouer les prolongations. Et le Cameroun continue de dominer. Brillant et inspiré, il faut un Shilton vigilant pour sauver les siens. Qui peuvent également compter sur un Gary Lineker aux nerfs d’acier. Lancé par Gascoigne et bousculé par N’Kono, il ne tremble pas pour inscrire un nouveau pénalty. 3-2 pour l’Angleterre à la 105e minute de jeu.
Cette fois-ci, malgré leurs efforts, les Lions Indomptables ne reviendront pas. La fin d’une magnifique fête et d’une divine surprise. Milla et les siens méritent amplement le tour d’honneur qu’ils réalisent ensuite sous les vivats de la foule et les félicitations des Anglais. En effet, comme l’écrit L’Equipe par la suite : « L’Angleterre jouera les demi-finales, mais c’est le Cameroun qui mérite les applaudissements. »
Que reste-t-il aujourd’hui de cette formidable épopée du Cameroun en 1990 ? À tout jamais, les Lions Indomptables resteront les premiers africains à avoir rallié les quarts de finale de la Coupe du Monde. Exploit que sont seulement parvenus à égaler le Sénégal en 2002 puis le Ghana en 2010. Mais que personne n’a jamais surpassé. D’ailleurs, le Cameroun n’a depuis jamais réussi à passer le premier tour d’une Coupe du Monde.
Reste cette éclatante aventure italienne qui a illuminé d’enthousiasme une compétition bien terne. À leur retour au pays, l’accueil réservé aux Lions Indomptables est incroyable. Une réception au palais présidentiel est organisée et des jours fériés sont décrétés dans tout le pays gagné par une intense ferveur. Quant à Roger Milla, élevé au rang de légende, il sera une nouvelle fois élu Joueur Africain de l’année en 1990 après son titre de 1976. En 1994, lors de la World Cup américaine, il bat même son propre record en marquant un but en Coupe du Monde à 42 ans. À jamais, le nom du « vieux Lion » restera gravé dans l’histoire du football.
Sources :
- Alexis Billebault, Simon Butel et Florian Cadu, « Il y a trente ans, le Cameroun hissait l’Afrique en quarts de finale du mondial », sofoot.com, 2020.
- Chérif Ghemmour, « Cameroun-Angleterre, 1990 : la nuit des Lions ! », sofoot.com, 2021.
- Vincent Bregevin et Maxime Dupuis, « Italia 90, la pire Coupe du monde de l’histoire ? 10 raisons de l’aimer quand même », eurosport.fr, 2020.
- Ludovic Lagasse, « Il y a trente ans, Omam-Biyik s’envolait », LaNouvelleRépublique.fr, 2020.
- « L’histoire derrière les records : Roger Milla », FIFA.com, 2017.
- Olivier Margot (sous la direction de), L’Equipe, la Coupe du Monde 1974-1998 (Livre II), édité par L’Équipe, 1997.
- Gérard Ejnès et Pierre-Marie Descamps, 100 rois pour un siècle, Editions Solar, 1999.
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