La Copa América se déroule actuellement dans le pays où le football est synonyme d’ascension sociale, de trait de caractère immuable de la société, voire même de religion. Au Brésil, les footballeurs sont des icônes, parfois soutenues par le pouvoir politique, en témoigne la visite de Jair Bolsonaro au chevet de Neymar Jr. Avant ce dernier, des joueurs de couleur ont fait la renommée de la sélection auriverde. Nous pouvons citer, entre autres, les légendaires Pelé et Garrincha, ou plus récemment Ronaldinho. Cependant, le football brésilien ne fut pas toujours ouvert à tous et se montra même être le terreau d’un racisme endémique.
Le football arrive par les ports au Brésil entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Au départ, ce sport est accaparé par les élites blanches et lettrées. Le pays porte une histoire inégalitaire à la fois sociale et raciale. On peut par exemple rappeler qu’il est l’un des derniers pays au monde à abolir l’esclavage, cette abolition advenant le 13 mai 1888. Selon des statistiques de 2010, les métis représentent près de 45% de la population brésilienne, tandis que les noirs (ou Afro-brésiliens) en représentent près de 10%. Pourtant les présidents élus à travers l’histoire du pays ne représentent pas cette diversité. Ces exemples saisissants témoignent d’une situation particulière qui s’exprime aussi dans l’histoire du ballon rond.
Au début des années 1890, le football est à l’image de la société brésilienne : élitiste et raciste. Comme dit précédemment, l’esclavage a été tout récemment aboli. Les séquelles raciales subsistent alors logiquement dans la pratique des sports. Les noirs et métis, ainsi que les blancs défavorisés sont persona non grata dans les premiers championnats de Rio et de São Paulo. Le football est le jardin privé de la bourgeoisie brésilienne. Cette dernière est influencée par la culture britannique. Il est alors bon de boire du whisky durant les matchs et d’adopter des codes vestimentaires purement anglais.
Dans ce contexte, un football parallèle s’organise. En 1900, à Campinas, ville de l’Etat de São Paulo est fondée une équipe regroupant des travailleurs non-blancs. Cette équipe va réutiliser les codes raciaux à son avantage. Alors qu’elle est victime de cris de singes et autres actes racistes lors de ses déplacements, elle choisit un primate comme mascotte et adopte le surnom d’ « os macacas » (« les singes » en français). Les noirs sont interdits à la fois sur le terrain et dans les tribunes lors des matchs des grands clubs bourgeois. Le premier joueur métis, Carlos Alberto, à intégrer un grand club carioca – Fluminense en l’occurence – est obligé de se blanchir la peau avec de la poudre de riz.
Le cas le plus saisissant est celui d’Arthur Friedenreich. Fils d’une brésilienne noire et d’un riche allemand, ce joueur aux origines sociales élevées, mais à la peau non-blanche, est le principal artisan de la première victoire en Copa América du Brésil, en 1919.
Malgré ses succès avec la sélection auriverde, le joueur est victime de sa couleur sur les terrains. Les fautes qu’il subit sont nombreuses et sont bien souvent non signalées par les arbitres. Ce qui va le pousser à adopter un style particulier : l’esquive. Afin d’éviter les coups qui ne sont pas sanctionnés, il est de ceux qui participent à la naissance du dribble, du moins sous sa forme première. Un grand joueur de la sélection se retrouve à réinventer son jeu pour conserver son intégrité physique. Le football brésilien illustre les dominations sociales qui existent dans la société. Pour changer une telle situation, il faut le courage et les fortes convictions d’un club de Rio de Janeiro.
Vasco da Gama, club révolutionnaire
En 1923, un événement sans précédent se produit dans le football brésilien : le Club de Regatas Vasco da Gama remporte le championnat. Le club de Rio est un contre-exemple sportif, philosophique et racial de l’époque. Déjà, en 1904, dans une période encore plus difficile pour les personnes de couleur, le club portait à sa tête un président métis. Cette fois-ci le symbole est bien plus fort. Un club dont les couleurs représentent la mixité brésilienne – rouge, noire et blanche – et disposant d’une équipe composé de joueurs blancs, noirs et métis, s’impose sur le terrain. En 1924, Vasco remporte une nouvelle fois le championnat.
Peu à peu les barrières tombent dans le football de club et de sélection. Lors de la Coupe du Monde 1930 se déroulant en Uruguay, Fausto, joueur afro-brésilien éclabousse de son talent la compétition. Il est d’ailleurs surnommé la « merveille noire ». L’un des derniers tournants est la professionnalisation du football de club au début des années 1930. En effet, les éléments économiques prennent le pas sur les préoccupations raciales des grands clubs du Brésil. Fausto est par exemple recruté par Flamengo en 1936, alors que ce club était l’un des plus regardants sur la blancheur du football du pays.
Aujourd’hui, les plus grandes stars et icônes du football brésilien comme Pelé, Garrincha, Ronaldo, Kaká ou encore Dunga, représentent la diversité ethnique à la fois du football et de la société brésilienne. Cependant, on peut interroger la pertinence du rôle intégrateur du football au Brésil. En effet, Pelé serait-il devenu Ministre des Sports en 1995 sans son passé de grand champion ? Dans une autre vie, on peut légitimement se poser la question. Récemment, nombre de joueurs brésiliens apportèrent leur soutien au candidat puis président élu d’extrême-droite Jair Bolsonaro. Ce dernier, en 2011, à qui l’on demandait quelle serait sa réaction si son fils tombait amoureux d’une femme noire, déclarait pourtant : « Il n’y a aucune chance que ça arrive. Mes enfants sont bien éduqués. Ils n’habitent pas dans les mêmes endroits que vous ».
Sources :
- Mickaël Correia, Une histoire populaire du football, La Découverte, Paris, 2018
- Paul Dietschy, Histoire du football, Perrin, Paris, 2010
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