Le maillot du plus vieux club de France est ciel et marine, alors que le maillot le plus aimé fut probablement le vert de 1976. Les plus classiques sont bleus, blancs, rouges, jaunes. D’autres sont violets, tangos, grenats. Ils sont unis, rayés, à scapulaire, à damier et même à diagonale. Sur les épaules du joueur amateur à l’entraînement, du supporter en vacances ou sur celles du gamin qui jongle au city stade, il est plus qu’un vêtement pour celui qui le porte. Qu’il soit vintage ou moderne, il symbolise le club, il raconte son passé, ses racines, son histoire. Voyage aux origines des maillots de France et de Navarre.
Une ville, un maillot
Ancrage géographique oblige, beaucoup de clubs portent les couleurs historiques de leur ville. En s’inspirant des vieilles armoiries de la cité, le club s’inscrit dans l’histoire locale. Le maillot, héritage revisité de la bannière municipale, rallie à travers les siècles les joueurs et les chevaliers du Moyen Âge. En plus de la tunique, ils ont en commun de représenter le peuple (les supporters), de défendre les intérêts du seigneur (le président-propriétaire) et de se confronter à l’ennemi. Et, pour prolonger la métaphore médiévale, le footballeur, quand il s’agit de châtier l’adversaire, imite le guerrier et le découpe d’un tacle assassin.
Ce ruissellement historique est à l’origine des maillots rouges de Valenciennes et Nîmes, du bleu de Bastia, des rouges et blancs de Brest, Lille et Monaco. Et aussi du vert et rouge de Sedan. Idem pour Lyon dont le bleu-blanc-rouge émane des armes de la capitale des Gaules. Pour le maillot tricolore du PSG, même principe : le rouge et le bleu proviennent du drapeau bicolore de Paname et le blanc représente Saint-Germain-En-Laye.
Avec le recul, ces choix ont obéi à un honorable devoir de mémoire pour les uns et à un conformisme insipide pour les autres. Mais, ils n’ont pas empêché les clubs de développer autour de leur maillot une identité forte et contemporaine.
Félicitations à Daniel Hechter et Grace Kelly
Premier exemple : le Paris-Saint-Germain, qui, grâce à la patte de son président-couturier Daniel Hechter, s’enorgueillit depuis 1973 d’arborer une des plus belles casaques du football circus. En effet, le maillot bleu à bande centrale rouge bordée de deux liserés blancs est devenu iconique. Inspiré par le maillot à bande de l’Ajax Amsterdam des années 70, le maillot Hechter a traversé le temps.
En 1996, Raí, Djorkaeff et compagnie le portaient en finale de l’unique coupe d’Europe glanée par le club francilien. Le modèle Hechter reste LE maillot historique du PSG, n’en déplaise aux dirigeants qataris, qui lui tournent immanquablement le dos. Des infidélités qui font évidemment réagir les supporters et même Daniel Hechter en personne : « Le vrai maillot, c’est celui que j’ai dessiné ».
Sur le Rocher monégasque, avant 1960, les Asémistes avaient sur les épaules un jersey rayé rouge et blanc sans grande originalité, mais fidèle au blason des Grimaldi. Son altesse la Princesse Grace, devenue marraine du club peu après son mariage avec Rainier, redessine le maillot pour la saison 1960-1961 : toujours bicolore mais avec une césure diagonale de l’épaule droite à la hanche gauche qui sépare le rouge en haut et le blanc en bas. Paré de ce nouveau look, l’ASM gagne le championnat en 1961 et fait de sa nouvelle tenue un symbole de noblesse et de classe, très conforme au standing de la Principauté.
Bestiaire et tête de Maure
A Nîmes, Valenciennes et Sedan, si les couleurs de la ville sont classiquement reprises, c’est le bestiaire qui apporte une plus-value identitaire aux maillots : le croco nîmois, le cygne valenciennois et le sanglier sedanais ornent les poitrines des joueurs, comme des preuves supplémentaires du lien entre le club et les symboles ancestraux de sa ville. Avec une mention spéciale au CS Sedan Ardennes, qui, au-delà du maillot, poussa le bouchon jusqu’à faire des sangliers Dudule (1956), Dora (1961 et 1965) et Césarine (1999 et 2005) des mascottes de chair et d’os présentes à chacune des finales de Coupe de France disputées !
Au SC Bastia, le maillot reprend le bleu des armoiries de la ville sans fioriture… jusqu’à ce qu’apparaisse la tête de Maure. On est en 1977, deux ans après la révolte des autonomistes corses réprimée par le gouvernement Chirac et un an après la création du FLN. Le climat politique pousse les dirigeants à afficher leur fibre nationaliste en plaçant la testa mora sur la liquette. Un choix lourd de sens pour le capitaine du Sporting, Charles Orlanducci : « Avec ce maillot, on était le porte-drapeau de la Corse, on avait l’obligation de ne pas se manquer. Ça nous transcendait. » Ainsi vêtus, Claude Papi et sa bande font des miracles jusqu’en finale de la Coupe UEFA 1978, qu’ils perdent face au PSV Eindhoven, mais après avoir scalpé le Grasshopper Zurich, le Torino, Newcastle et le Sporting Portugal.
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Le maillot, étendard régional
Autres lieux, autres choix, deux mastodontes du championnat ont un maillot qui illustre leur enracinement régional plutôt que municipal. A l’est, le FC Sochaux et les automobiles Peugeot, aux destins liés, portent l’or et l’azur de la Franche-Comté et arborent sa figure, le lion. A l’ouest, les Girondins de Bordeaux exhibent fièrement leur scapulaire, apparu pour la première fois en 1939. Il représenterait le V formé par la confluence des fleuves Dordogne et Garonne pour former l’estuaire de la Gironde. Mais l’emploi du conditionnel est de rigueur car certains avancent qu’il orne le maillot bleu marine uniquement « parce que ça fait joli ». Alors que d’autres y voient une référence au vêtement des moines dont la vertu serait d’abréger les peines du purgatoire. Ce qui sera bien utile aux Girondins la saison prochaine en Ligue 2.
Cambridge, Oxford, Coubertin : hommages aux modèles
Et l’originalité dans tout ça ? Effectivement, s’inspirer d’une bannière locale, c’est honorable, mais c’est banal et convenu. Heureusement pour les amateurs d’anecdotes et de petites histoires, certains ont fait preuve de plus d’inventivité au moment de choisir leur identité visuelle.
Commençons par l’histoire bien connue du club doyen, Le Havre AC. Il est créé en 1872 par des Anglais qui ont traversé la Manche et ont amené le football dans leurs valises. En 1884, une querelle agite le board havrais : d’un côté certains veulent un maillot bleu ciel en souvenir de leur ancienne université de Cambridge, alors qu’en face, les ex-étudiants d’Oxford militent pour le bleu marine. « P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non… », les Normands, après plusieurs années de palabres, finissent par accoucher d’un équitable compromis : le maillot sera mi-ciel et mi-marine.
A la même époque, le Racing Club de France opte pour un magnifique maillot ciel et blanc, en hommage, encore elle, à l’université de Cambridge. Les pingouins, surnom donné par les rugbymen du Racing, séduisent par leur jeu offensif et leur inconstance pleine de charme.
Club « tendance », le RCF fait figure d’exemple. Au point que les Strasbourgeois de Neudorf FC choisissent en 1919 de se renommer Racing Club de Strasbourg et de porter un maillot bleu et blanc, comme leur modèle parisien. L’objectif de ce changement de nom et de couleurs ? S’affranchir de sa germanité car, la Grande Guerre achevée, l’Alsace redevient française et l’époque est à la « débochisation » de la région. Un siècle plus tard, l’Alsace est restée française malgré le Troisième Reich et les couleurs du Racing club de France sont toujours de rigueur à la Meinau.
A Marseille, le premier président de l’Olympique, Monsieur René Dufaure de Montmirail, impose d’emblée des maillots blancs. Il imite Pierre de Coubertin qui imposa la tenue immaculée, symbole de pureté, aux athlètes des JO de 1896. Dans le même temps, le président accole la devise « Droit au but » au destin du club phocéen. Légende ou pas, il aurait emprunté cette maxime à sa dulcinée, une certaine Marguerite au « caractère fonceur », évidemment propice à diverses interprétations. Mais cela ne nous regarde pas…
Catholique VS anticlérical
Autre source d’inspiration des fondateurs de clubs : la religion. Dès 1905, l’Abbé Deschamps d’Auxerre teinte son AJA de bleu et de blanc, couleurs de la vierge Marie. A Guingamp, le club catholique Saint Charles choisit le même maillot, pour la même raison. Par opposition, l’En Avant Guingamp, club rival, porte une tunique noire et rouge, empruntée au mouvement anticlérical et social breton du début du vingtième siècle. Ironie du temps, alors que l’histoire de l’EAG repose sur une tradition progressiste et militante, son plus illustre dirigeant, Noël Le Graët, mène actuellement à la tête de la FFF une politique conformiste.
Le maillot du patron
Après les maillots « géographiques » qui représentent la ville ou la région, les maillots « hommage » comme ceux du HAC et du RCF, le maillot « olympisme » de l’OM, les maillots « religieux » (AJA) ou « anti-religieux » (EAG), passons aux maillots « entreprise ». Depuis toujours et encore plus depuis qu’ils sont professionnels, les clubs de foot appartiennent à des patrons fortunés en quête de notoriété, parfois habités par la passion du ballon rond, parfois guidés par l’opportunisme et l’ambition. Certains ont une telle emprise sur leur club qu’ils en définissent les couleurs.
Quand Pierre Guichard prend les rênes de l’AS Saint Etienne au début des années 30, il impose un maillot vert bien pétant. Pourquoi ? Car c’est la couleur de Casino, son groupement d’épiceries, fondé par son père, Geoffroy Guichard, à la fin du dix-neuvième siècle. Ce dernier a choisi cette teinte car… les rideaux de son bureau étaient verts. L’histoire d’un maillot tient parfois à peu de choses.
Exsangue financièrement dans les années 60, l’AS Nancy devient professionnelle en 1967 grâce à l’appui financier de Total. Donnant-donnant, les couleurs du groupe pétrochimique sont reprises par le club au chardon : le maillot est blanc-rouge et le short est bleu. Mais le bleu disparait en 1972 quand la firme pétrolière quitte le club lorrain. Ce qui fut un bien mauvais choix stratégique compte-tenu des belles années qu’allait vivre la bande à Platini.
Autre grand groupe, Danone achète le club savoyard d’Evian-Thonon-Gaillard en 2009 et le hisse rapidement en L1 et même en finale de la Coupe de France 2013. Mais les succès de l’ETG laissent un héritage difficile à assumer. D’abord, ils ont révélé le fielleux Pascal Dupraz, devenu un personnage du foot français. Ensuite, ils ont fait subir à nos pupilles ses atypiques mais surtout horribles maillots roses, blancs et bleus, aux couleurs de la bouteille d’Evian, produit phare du groupe agro-alimentaire.
Des histoires de cheval, de pull, de fleurs…
Aux antipodes du foot-business et de la stratégie, d’autres clubs français portent des maillots conçus sur une inspiration saugrenue, une idée originale, une lubie personnelle.
Ainsi, le FC Nantes doit son maillot au cheval de course de Jean Le Guillou, dirigeant à la création du club en 1943. Le canasson était monté par un jockey à la casaque jaune et verte et il empilait les victoires : pourquoi se priver de ces couleurs porte-bonheur ?
A Lorient, c’est en regardant Charlotte Cuissard, la sœur du président, que l’histoire se joue. Son pull à damiers tango et noir est joli, en tout cas il plaît au point d’être reproduit comme maillot des Merlus.
A Toulouse, c’est tardivement, en 1979, que le Téfécé devient violet, au moment où le club prend un virage ambitieux avec une nouvelle équipe dirigeante. Pour faire table rase du passé, les couleurs rouge et jaune sont abandonnées pour le mauve, en référence à la violette toulousaine, spécialité florale qui fit la renommée de la ville rose au dix-neuvième siècle. Elémentaire non ?
Autre originalité : la genèse du maillot sang et or du RC Lens. En 1924, c’est en visitant une église en ruines, vestige de la domination espagnole du dix-septième siècle, que le président Pierre Moglia relooke son Racing aux couleurs du drapeau espagnol.
Les maillots mystère
Tous les exemples donnés ci-dessus le montrent, la plupart des clubs ont bâti leur identité visuelle sur un fondement, qu’il soit historique, géographique, économique, politique, religieux ou anecdotique. Mais, d’autres équipes sont parées de couleurs d’origine indéterminée, sans que l’on puisse élucider le mystère de leur élaboration. Ainsi, le SM Caen arbore ses rayures rouges et bleus à la barcelonaise, sans que l’on sache pourquoi. Idem pour le paletot rouge et noir du Stade Rennais, où les recherches n’aboutissent qu’à des hypothèses improuvables. La tunique grenat du FC Metz, originale et esthétique, serait le résultat d’une fusion entre un club au maillot bleu et un club au maillot rouge, mais sans autre explication. Le maillot tango de Laval fait aussi partie des best of du foot français mais sa conception reste occulte.
Malgré ces énigmes, dans ces clubs comme dans les autres, les supporters aiment leur maillot et ils y tiennent. Essayons de comprendre cet attachement.
L’amour du maillot
« Que reste-t-il de nos amours ? Que reste-t-il de nos vieux jours ? … ». Ces vers de Charles Trenet s’adressent aux amoureux nostalgiques. Mais, en extrapolant un peu (beaucoup), ils interrogent aussi le supporter de foot. Saisons après saisons, le fan suit son club, à l’affût de la dernière info, de la moindre rumeur. Dans la difficulté, il le soutient, le protège, le défend. S’il est déçu, il le critique, voire il se fâche. Au pire, trop écœuré, il le délaisse temporairement ou il le trompe pour un voisin, plus sexy, plus winner, ou plus « je ne sais quoi d’autre ». Avant de revenir la queue entre les jambes, pour de nouveau aimer son club de toujours. Le supporter est fidèle et cette citation d’Eduardo Galeano le confirme : « Dans sa vie, un homme peut changer de femme, de parti politique ou de religion, mais il ne change pas de club de football ».
Mais, au fond, après des années de supportérisme naïf et aveugle, ce club, son club, celui qu’il a aimé « dès le début », le reconnait-il ? Se reconnait-il en lui ? Passée dans la lessiveuse de la mondialisation, puis dans l’essoreuse de la gentrification, que reste-t-il de son club ? Son identité, oui, mais, concrètement, sur quoi repose-t-elle ?
Pas sur les joueurs, qui furètent de villes en villes au rythme des mercatos biannuels. Pas sur le coach, arrivé fraîchement et qui sera limogé plus vite que son ombre par un Lucky Luke du résultat à court terme. Pas sur les dirigeants, capitaines d’industrie à l’anglicisme facile, entre trading, business model et soft power, mais pas motivés pour rester à la barre quand le navire tangue. Parfois, l’identité d’un club, c’est son stade, quand il est vieux et authentique. Mais c’est de moins en moins le cas, tant les enceintes modernes sont impersonnelles. Souvent surdimensionnées et construites dans des zones commerciales périphériques, elles sont même régulièrement affublées d’un naming de compagnie d’assurance ou d’opérateur téléphonique.
Non, joueurs, entraîneurs, dirigeants et stades ne sont plus les gardiens du temple. L’identité d’un club, ce qui lui reste quoiqu’il arrive, ce sont ses supporters et ses couleurs. Ils sont intimement liés. Des liens durables imprégnés de passion, d’émotions, de sentiments : le fameux « amour du maillot ».
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Le supporter, garant d’authenticité
Ce maillot tant aimé, il faut en être digne. Le supporter y veille. Il exige des joueurs qu’ils le mouillent et se dévouent pour lui. Et il impose aux dirigeants de l’honorer. Comment ? Par le respect des codes qui ont fait son histoire. Les changements trop radicaux de couleurs, de design, de logo sont systématiquement mal vécus car ils insultent le passé et, par ricochet, ils insultent le supporter lui-même. Sans parler des maillots third et away aux couleurs criardes et « hors sol », hérésies marketing conçues pour élargir la clientèle, au mépris de la base.
Chaque nouveau maillot est un petit évènement pour le supporter, qui n’a rien contre une version innovante, à condition de s’y reconnaitre et de se l’approprier. Le maillot de foot a une fonction de repaire identitaire, il constitue un élément rassurant, qui contrebalance notre société mercantile, mondialisée, qui fait la part belle aux influenceurs et à l’éphémère.
De ville en ville, les maillots dévoilent leurs histoires, futiles à première vue, mais finalement essentielles. Essentielles car elles légitiment l’attachement des supporters à leurs couleurs. De génération en génération, ils se regroupent autour d’elles pour vibrer au gré des succès et des échecs de leur équipe. Vivre des émotions ensemble, c’est ce que nous apporte le football et le maillot y contribue.
Sources :
- L’histoire des maillots, So Foot
- Couleur, Le Footichiste
- Sites internets des clubs français
Crédits photos : Icon Sport