McManaman et Fowler deux Scousers au talent brut qui ont marqué à leur manière la riche histoire du club au Liverbird. A Liverpool, malgré les soubresauts, ils n’ont jamais marché seul, et longtemps ensemble. Portrait de deux cracks, deux potes, pour un trait d’époque.
3 avril 1999
Ce jour-là, pour le compte de la 31e journée de Premier League, le Liverpool Football Club reçoit en son antre son meilleur ennemi : Everton. Il est 15h, l’ambiance est chaude à tout point de vue, que ce soit sur la pelouse ou en tribunes. Le soleil est bien là, il tape fort. Même les spectateurs à l’ombre du toit ou encore ceux munis de casquette sont éblouis.
Car il n’y a pas que le soleil qui tape fort. Des contacts rugueux jaillissent des étincelles. Des prouesses techniques aux quatre coins du rectangle vert leur parviennent des traits de lumière. Ce qui se déroule sur le terrain pendant 90 minutes en met plein les mirettes, échauffe les esprits et réchauffe les cœurs.
Dès la première minute du match, Oliver Dacourt ouvre la marque d’une demi-volée pleine lucarne depuis les vingt-cinq mètres du terrain. Quatorze minutes plus tard, Robbie Fowler remet les équipes à égalité en transformant un pénalty obtenu après une faute de Materazzi sur Paul Ince.
Vingtième minute, Owen vient de se faire sécher par derrière par un Dacourt au col et aux crampons relevés. A l’issue du coup-franc, Heggem hérite du cuir sur le flanc droit et repique au centre vers Redknapp. Jamie s’engouffre au milieu et trouve Ince devant lui. Ce dernier tente une passe brossée intérieure en cloche vers la gauche de la surface mais il ne trouve rien d’autre que la tête de Ball qui essaye de repousser le danger. Malheureusement pour lui et ses partenaires en bleu, le ballon revient dans les pieds du numéro sept des Reds.
Steve McManaman contrôle du gauche et arme une demi-volée du droit qui oblige Myhre à s’envoler pour claquer le ballon au-dessus de la barre transversale. Corner pour Liverpool. Le corner vient de la droite et est tiré tendu à mi-hauteur vers le coin droit du rectangle des six mètres. McManaman se démarque et prolonge la course du ballon en effectuant une tête vers l’arrière. Le ballon vole à présent au-dessus de cette ligne des six mètres, et semble passer au milieu de tout le monde. Mais s’était sans compter sur Robbie Fowler. Toujours bien placé, il se précipite et crucifie Myrhe d’une tête légèrement décroisée et parfaitement vicieuse, puisqu’elle rebondit sur la ligne de but entre Myrhe et son défenseur. Le stade explose.
Liverpool remporte ce match 3-2 après un but de Berger (82e minute) puis une réduction de l’écart par Jeffers pour les Toffees (84e minute). Pour la petite histoire, notez que ce jour-là, Steven Gerrard fait son entrée sur la pelouse à la 71e minute et dispute là son huitième match de Premier League de sa carrière. Quel casting pour cette grosse production.
Ce 3 avril 1999, n’est pas le dernier match que McManaman et Fowler disputent ensemble à Liverpool. Il s’agit par contre du dernier but offert par l’un, à l’autre, sous les couleurs entièrement rouge. Ce but n’est pas le plus esthétique, mais il est tellement symbolique, face au rival de surcroit.
Symbolique, premièrement car il est un pur étalage de leurs qualités propres. Pour Steve : l’audace, le flair, la technique. Pour Robbie : le placement, le timing, la finition précise. Deuxièmement car il est surtout la pure expression de leur entente. Ces deux-là sont connectés, ils se trouvent les yeux fermés.
Le kilomètre zéro
Steven « Steve » McManaman est né le 11 février 1972 dans le quartier de Bootle à Liverpool.
Robert « Robbie » Bernard Joseph Fowler est né le 9 avril 1975 dans le quartier de Toxteth à Liverpool.
Trois ans et un peu plus de neuf kilomètres les séparent seulement. Tous deux originaires des bords de la Mersey, ils ont d’abord préféré le bleu, avant de revêtir le rouge et de tout lui donner. Ils intègrent l’académie du Liverpool F.C. à l’adolescence : McMananam en 1988, Fowler en 1990. Ils signent leur premier contrat pro en 1990 pour Steve, en 1992 pour Robbie. Ils ont donc réduit l’écart kilométrique à zéro, et l’écart d’âge à 2 ans. Ils sont prêts à cheminer ensemble.
Les débuts professionnels
McMananam est le premier à débuter avec les pros, dès 1990 avec le numéro 17 et sous la houlette de Kenny Dalglish. Il fait sa première apparition avec les professionnels le 15 décembre 1990 en tant que remplaçant lors d’une victoire 2-0 contre Sheffield United à Anfield. Il inscrit son premier but sous le maillot des Reds le 21 août 1991 à Maine Road face à Manchester City (défaite 2-1).
Ce n’est qu’avec l’arrivée de Graeme Souness que McManaman commence à scorer régulièrement, ce qui lui permet de s’installer confortablement dans le groupe professionnel de Liverpool. Son premier titre avec Liverpool est la FA Cup 1991/1992 quand Liverpool bat Sheffield Wednesday sur le score de 2-0.
Son intégration au onze de départ est progressive. Il est l’auteur d’actions de classes dès ses premiers matchs. Sa vitesse, y compris balle au pied et sa capacité d’élimination en font déjà un ailier très prometteur, au même titre que Giggs à United. Il n’accumule pas encore les buts, mais déjà les louanges.
Fowler fait des apparitions dans le groupe et sur le banc dans la seconde moitié de la saison 1992/1993 avec Graeme Souness. Il arbore le numéro 23. Il foule plus régulièrement les pelouses de l’élite anglaises dès la saison suivante. Il fait ses débuts le 22 septembre 1993 à Craven Cottage contre Fulham en League Cup. Il gagne alors sa place en attaque aux côtés de la légende d’alors : Ian Rush. Les débuts de Fowler sont au minimum tonitruant, au minimum. Dès son premier match il marque un but pour une victoire tranquille de Liverpool 3-1. Les deux matchs d’après en championnat Liverpool ne marque pas. Puis c’est au tour de Fulham de se présenter à Anfield pour le match retour de League Cup. Liverpool gagne aisément ce match avec 5 buts marqués. Les buteurs se nomment : Fowler, Fowler, Fowler, Fowler et Fowler ! Cinq buts, trois du gauche, un du droit, et un de la tête. Il n’a alors que 18 ans et ne dispute là que son quatrième match en professionnel. Tonitruant, non ?
Ensemble sur le Liverpool way
La carrière de McManaman à Liverpool s’étale donc de la saison 1990/1991 à la saison 1998/1999. Pendant ces neuf saisons Steve affiche un total de 66 buts et 86 assists pour 364 matchs. Une régularité de présence, mais surtout un apport décisif régulier.
Ses qualités de percussion et d’élimination l’ont naturellement placé le long de la ligne de touche. Mais sa créativité, son volume et son intelligence de jeu en faisaient également un joueur capable d’être au cœur du dispositif, en soutien de ses attaquants (voire plus bas comme il a pu l’être parfois plus tard au Real Madrid). Un joueur précieux, qui maitrisait le rythme d’un match, alternant sang-froid et fulgurances dévastatrices. Les caresses dont il usait pour amener le ballon où il le voulait pouvaient déstabiliser brutalement une rencontre. Un leadership qui ne passait pas inaperçu aux yeux de tacticiens avisés tels que Ferguson. Le manager de United le ciblait régulièrement lors de ses briefings d’avant match, mettant en place des stratégies pour contenir son rayonnement. Le postulat était le suivant : si vous conteniez McManaman, vous teniez le Liverpool de Roy Evans…
Balle au pied, il exerçait une attirance magnétique certaine sur ses adversaires, obnubilés par l’idée de le maitriser. Mais s’il déjouait vos plans, alors la sanction était souvent au rendez-vous, comme lorsqu’à l’issue de cette chevauchée face à Newcastle, il trouvait Fowler en position idéale pour marquer un doublé.
McManaman a apporté bien plus que ce que laissent entendre ses statistiques ou même son palmarès : « seulement » une FA Cup 1992, et une League Cup 1995. L’empreinte qu’il laisse alors sur ce dernier trophée est nette : c’est lui qui marque les deux buts de Liverpool face à Bolton pour un match gagné 2-1.
McManaman marque son premier à la minute 3’17, le second à la minute 6’53 de cette vidéo. Une performance solide, deux actions de classes, très McManamesques. Il est élu homme du match.
Les statistiques de Fowler, elles, ne cessent d’affoler les compteurs pour ses quatre premières saisons professionnelles. C’est une machine, et elle est lancée à toute allure.
Sur cette période, Robbie affiche un total ahurissant de 116 buts et 26 assists en 188 matchs toutes compétitions confondues, dont trois saisons consécutives au cours desquelles il a marqué plus de 30 buts ! C’est monstrueux, c’est colossal, et il n’a alors que 22 ans.
Fowler était un finisseur hors pair, l’un des meilleurs de sa génération, capable de marquer n’importe quel type de but sous n’importe quel angle. Un buteur, un vrai. Son pied fort était le gauche, mais il savait tout faire, il marquait même souvent de la tête du haut de ses 1m73. Il faut dire qu’il était doté d’une véritable intelligence de jeu ainsi que d’une grande habilité technique. Autant de qualités tournées vers un seul objectif : marquer. Un flair de limier, un sens du timing et du placement incroyable, une précision folle. Il était de la race des tueurs, extrêmement efficace, mais il n’oubliait pas pour autant la touche de spectaculaire ou d’esthétisme.
Ce focus initial sur sa carrière à Liverpool se borne à ses quatre premières saisons en professionnel, car la saison 1997/1998 constitue LE tournant de sa carrière. Durant cette période, il dispute 28 matchs toutes compétitions confondues pour 13 buts et 4 passes décisives. Mais sa saison se termine le 23 février 1998, face… à l’incontournable rival Everton !
Fowler se blesse gravement au genou droit après un contact rugueux avec le gardien Thomas Myhre dans les dernières minutes du match. Il faisait déjà face à une fragilité ligamentaire parfois gênante, mais cette fois-ci le traumatisme est important et la blessure est sérieuse : une rupture des ligaments croisés. Cette blessure nécessite une cicatrisation qui le tiendra éloigné des terrains pour une durée de sept mois. A 22 ans, alors en pleine ascension, c’est un véritable coup d’arrêt, et à plusieurs égards.
« C’est un coup terrible pour moi. Manquer également la Coupe du Monde est un désastre absolu ».
Premièrement, la blessure le prive d’une participation à la Coupe du Monde 98 chez le voisin français. Deuxièmement, cette grave blessure ne cicatrisera jamais totalement et fera le lit d’une gêne plus récurrente et importante qu’auparavant. Une gêne qui va le priver d’un retour au même niveau que ses quatre saisons initiales. Pour finir, cette blessure coïncide également au moment où une autre comète entame sa course vers les sommets du foot : le futur Ballon d’Or Michael Owen. Une occasion qu’Owen ne laisse pas passer. Le rookie de 18 ans marque cette Coupe du Monde 98 par son talent précoce et passe même à la postérité de la plus grande compétition internationale grâce à son but marqué contre l’Argentine en huitième de finale. Un but qui est élu le plus beau de la compétition.
Une terrible blessure, au plus mauvais moment. Lors de la saison suivante 1998/1999, la dernière en commun avec Steve en Red, il marque encore 18 buts, délivre 3 passes décisives pour 35 matchs. Une présence et des statistiques effectivement sur le déclin.
Mais ses quatre premières années suffiront à établir des records et accumuler les distinctions :
- Ces 28 buts en Premier League 1995/1996 restent le plus grand nombre de buts marqués par un Anglais pour Liverpool en une seule saison.
- En août 1994 il claque un triplé en l’espace de quatre minutes et trente-trois secondes face à Arsenal ! Un record qui tiendra jusqu’au 16 mai 2015, lorsque Sadio Mané, alors à Southampton marque un triplé en deux minutes et cinquante-six secondes face à Aston Villa.
- Il a été élu deux fois de suite joueur du mois en Premier League, en décembre 1995 puis en janvier 1996 pour ce qui est sa saison professionnelle la plus aboutie.
A noter que malgré ses statistiques hallucinantes, Fowler ne terminera au mieux que deuxième meilleur buteur derrière son ainé : l’inusable Alan Shearer en 1994/1995 et 1995/1996. Il sera troisième en 1996/1997 derrière… Shearer, et Wright.
Ces affolantes statistiques ainsi que son indélébile empreinte sur les soirées de Premier League des 90’s, lui valent aujourd’hui d’être nominé pour intégrer son Hall of Fame. Un honneur également réservé à d’autres Scousers historiques que sont Steven Gerrard et Mickael Owen, c’est dire.
Pour finir, il reste encore à l’heure actuelle le meilleur buteur de Liverpool en Premier League avec ses 128 unités mais également le huitième meilleur buteur de l’histoire de la Premier League, avec 163 buts pour Liverpool, Leeds, Manchester City et Blackburn.
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Au total McManaman et Fowler accumulent plus de 700 apparitions pour Liverpool. A cinq matchs près (en faveur de Fowler) ils ont joué le même nombre de rencontres avec le maillot frappé du Liverbird (364 contre 369). Ils ont marqué près de 250 buts et délivré un peu plus de 130 passes décisives.
Ils ont joué six saisons ensemble, de la saison 1993/1994 à la saison 1998/1999, soit 264 fois dans la même équipe. Ce sont les statistiques des saisons 1994/1995 et 1995/1996 qui illustrent à merveille pourquoi notre Paire d’As méritait cette distinction. Ils sont alors au sommet de leur art et de son expression en duo.
Pour la saison 1994/1995 Steve inscrit 9 buts et délivre 15 passes décisives, quant à Fowler il marque à 31 reprises et réalise 11 passes décisives, toutes compétitions confondues ! La saison d’après (1995/1996) Steve marque 10 buts et adresse 20 (vingt !) passes décisives, quand Fowler inscrit 36 buts et réalise 6 passes décisives, toutes compétitions confondues !
Des chiffres impressionnants, écrasants même. Mais, étonnamment, cette domination ne se traduit pas particulièrement sur les résultats de l’équipe : Liverpool termine respectivement quatrième puis troisième de Premier League, mais agrémente malgré tout son palmarès d’une League Cup 1995.
Pendant ces six saisons communes, McManaman et Fowler se sont offerts 24 buts l’un à l’autre. Cette statistique leur permet de se classer (en 2018) au quatrième rang des duos les plus prolifiques de l’histoire de la Premier League, derrière les duos Drogba/Lampard (36), Henry/Pires (29) et Sheringham/Anderton (27). Avec une très nette répartition des rôles, puisque Steve a offert 20 passes décisives à Fowler, quand Robbie en a délivré 4 à McMananam.
Une paire d’astre qui aime la lumière
Dire qu’ils sont extrêmement appréciés des Scousers à leur sommet serait un euphémisme. Cette paire n’aura pas seulement marqué les esprits à travers ses performances techniques. Car au-delà de leur talent immense et précoce, leur authenticité séduit le Kop et va façonner sur et en dehors des terrains, leur image à l’un et l’autre.
Plusieurs éléments de contexte permettent d’appréhender la façon dont leur image va se construire. Le premier d’entre eux, le système dans lequel ils évoluent : la Premier League.
Avec sa création en 1992, le football anglais prend un virage marketing assumé, à travers une ligue indépendante qui possède un statut de société en commandite par action lui permettant de négocier ses propres droits télévisés et contrats de sponsoring.
Une mutation qui touche inévitablement le traitement médiatique de la compétition et qui se propage à ses principaux organes : les joueurs, et en particulier ses wonderkids. Et à ce jeu-là, notre Paire d’As n’est pas en queue de peloton. Car McManaman et Fowler sont les deux membres les plus connus de ceux que les journaux désignaient alors sous le nom de Spice Boys au milieu des années 90.
Un sobriquet so british qui faisait référence au phénomène de société qu’étaient les Spice Girls alors en pleine gloire. Ce surnom viendrait du Daily Mail, alors qu’une rumeur envoyait Fowler dans les bras de la Baby Spice Emma Bunton. Au fil des mois, les Spice Boys désignaient plus largement Fowler, McManaman, James, McAteer et Redknapp, parfois aussi Collymore et Ince. Ces joueurs-là s’entendaient bien et maitrisaient les codes médiatiques de l’époque. Le surnom Spice Boys renvoyait inévitablement à ce versant assumé de leur carrière et leur goût certain pour le « bling-bling » : looks de popstar, coupes de cheveux à la mode voire contrats d’égérie de marques comme par exemple Jason McAteer pour Head & Shoulders ou encore David James pour Armani.
L’illustration la plus reprise est celle qui s’est déroulée le 11 mai 1996. Liverpool s’apprête à disputer la finale de la FA Cup face à l’autre rival, le United de Cantona, Giggs et compagnie. Nos Spice Boys, eux, s’apprêtent avec un costume de couleur crème plutôt « tape-à-l’œil » pour effectuer la reconnaissance du terrain, quand les joueurs de Manchester United eux se présentent dans une tenue sombre et sobre. Un costume de créateur de la marque Armani dont, on le rappelle, James était le nouveau visage, et des chaussures Gucci. Un épisode vécu comme une nouvelle excentricité aux yeux des suiveurs, et qui renvoie une nouvelle fois à leur côté bling-bling et marketing. Au final, Liverpool en est quitte pour une double dose de frustration car ce sont les Red Devils qui s’emparent du trophée. United l’emporte grâce à un but de Cantona à la 85e minute.
Des illustrations de ce type il y en a d’autres. Et elles ne tardent pas. Quelques semaines plus tard, juste avant le début de l’Euro 96 qui doit se dérouler chez elle, l’Angleterre effectue une tournée en Asie. Un soir, certains joueurs décident de sortir et de profiter des bars de Hong Kong pour fêter l’anniversaire de Paul « Gazza » Gascoigne. La soirée sera très arrosée. Très rapidement des clichés et des témoignages fuitent et viennent confirmer l’orgie hongkongaise. L’anecdote qui traverse le temps est celle où des joueurs, dont Gazza, s’étaient installés sur une chaise, tête en arrière et bouche ouverte, comme chez le dentiste, afin que leurs camarades de fortune les aspergent de tous les alcools à portée de main. Le scandale de la « chaise du dentiste » est en marche. La presse demande la mise à l’écart de Gazza, et vilipende les joueurs et particulièrement Walker, Sheringham, Anderton, Ince et … McManaman méconnaissables mais malgré tout identifiés sur les clichés qui circulent.
Cette histoire va inévitablement alimenter la réputation « légère » (pour rester poli) de ces protagonistes. Mais elle va aussi être à l’origine de la célébration de but la plus iconique de l’Euro 96. Alors que Gazza redonne l’avantage à sa sélection face à l’Ecosse d’un but absolument somptueux, il le célèbre en se jetant au sol. Puis il tend les bras et ouvre grand sa bouche. Ses coéquipiers comprennent la référence. Shearer, McManaman et Redknapp se saisissent d’une gourde pour en asperger le contenu directement dans la bouche de Gazza. Rien de mieux que de chambrer la presse anglaise et ses sulfureux tabloïds pour asseoir sa réputation de fêtard outre-Manche…
Le type de démonstration comme celle de la finale de FA Cup 96, donne inévitablement une impression générale de superficialité. Une mauvaise impression, qui se mue en image sulfureuse au gré des frasques éthyliques comme celle de la « dentist chair » ou d’autres dont la véracité est plus ou moins étayée. Une image sulfureuse qui charrie le traitement médiatique qui va avec. Un cercle vicieux en somme. Une image dont il est assez difficile de se défaire. Une image bien ancrée dans les têtes car elle constitue LA critique parfaite. Celle qui explique, qui comble la frustration générée par l’absence de trophée majeur. Une sorte de rationalisation de la « sous-performance » supposée de ce groupe pétri de talent.
Il y a d’autres éléments de contexte à prendre à compte, et non des moindres. Car à l’entame des années 90 le rapport au football anglais est singulier, en particulier sur les bords de la Mersey. Les derniers titres ne sont pas si loin, et pourtant un mal-être est bien palpable dans la ville de Liverpool et au sein de son club en rouge.
Une authentique douleur même, profonde, lancinante et complexe, secondaire à des blessures aux temps et aux portées divers.
D’abord un contexte social toujours pesant dans cette ville historiquement ouvrière, même en période post-Dame de fer. Un climat marqué par la dureté d’une politique anti-ouvrière assumée et encore en proie aux conflits qu’elle a engendré.
Mais aussi le deuil et le poids de la culpabilité. Ceux du drame du Heysel sont encore vifs, mais s’y rajoute encore la récente catastrophe de Hillsborough du 15 avril 1989. Les supporters de Liverpool, qualifiés de « honte de l’Angleterre » par Mme Thatcher alors encore en exercice en 1985, se voient quatre ans plus tard, de nouveau pointés du doigt. Une véritable propagande de culpabilisation, de calomnies, mais aussi de faux témoignages est menée par la presse (le Sun en tête), les instances dirigeantes et même… la police. Une douleur renforcée par un profond sentiment d’injustice.
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Une ville meurtrie, un club honni, et tout un environnement qui au final renforce le sentiment d’appartenance à une certaine identité : « we’re not English, we’re Scousers » comme ils aiment parfois à préciser, ou encore le Liverpool Way comme façon d’appréhender le football dans son entièreté. Ceci ne débouchant pas, comme d’ordinaire, sur le rejet de « l’autre », mais bien au renforcement de cette solidarité envers les siens. Des blessures qui poussent à la fois une ville mais aussi le Liverpool F.C. (ses dirigeants, ses fans), à une introspection profonde, intime, pour se réinventer, mais sans se renier.
Alors, quand un motif de fierté issu du sérail perce ces nuages, il transcende ce mal-être, et suscite un amour déraisonné.
C’est pourquoi, malgré l’absence de trophée majeur, les frasques de notre Paire d’As arrivent encore à amuser localement. Car pour les fans de Liverpool l’essentiel est ailleurs : McManaman et Fowler sont authentiques. Une authenticité qui s’exprime tout au long de leur carrière, sur et en dehors des terrains, et qui suscite beaucoup d’amour… mais aussi des attentes.
Le 20 mars 1997, les Reds affrontent le club Norvégien du SK Brann Bergen en match retour de quart de finale de la Coupe des vainqueurs de Coupes. A l’époque, voilà 545 jours (depuis le 25 septembre 1995), que les dockers de la ville de Liverpool ont entamé une grève illimitée après le licenciement de près de 500 dockers par la Mersey Docks and Harbour Company pour des revendications salariales. Enfants de Liverpool, et plus particulièrement d’un quartier historiquement prolétaire pour Fowler (le Toxteth), ils profitent de l’exposition médiatique d’une telle rencontre pour afficher leur soutien. Ils ne devaient enlever leur maillot qu’à la fin du match mais finalement Fowler décide de dévoiler son t-shirt après son doublé à la 77e minute. Il s’agit en fait d’un t-shirt rouge de la marque Calvin Klein, grimé autour du « CK » de la marque pour donner « 500 doCKers de Liverpool licenciés depuis septembre 1995 ». L’UEFA considère ce geste comme « politique » et décide donc de le sanctionner. L’affaire fait grand bruit au Royaume-Uni mais à Liverpool le duo (et en particulier Robbie Fowler) est plus populaire que jamais.
Ils reviennent sur ce geste pour So Foot en 2011.
« J’ai été sanctionné par la fédé, mais je n’ai aucun regret, raconte Fowler. Ça n’a peut-être pas aidé les dockers sur le long terme, mais ça a mis un gros coup de projecteur sur leurs problèmes. Le retentissement a été extraordinaire, ça a fait du bruit au niveau mondial, alors que jusqu’alors, ils avaient du mal à se faire entendre ne serait-ce qu’à Liverpool. À mon avis, quand on a, comme footballeur, la chance d’être exposé médiatiquement, c’est un peu notre rôle de donner ce genre de coup de pouce. »
« Tout ce qu’on voulait, c’était donner un coup de main aux personnes qu’on connaît et qui ne reçoivent aucune paie, avoue McManaman. Robbie et moi avons offert notre soutien aux dockers, mais nous ne sommes pas assez arrogants pour croire que porter un t-shirt ferait la différence. »
Seulement quatre jours après cette affaire, un autre événement marque les esprits. Le 24 mars 1997 Liverpool se rend à Highbury. Les Reds mène déjà 1 à 0 quand Fowler déboule seul face à Seaman. Le Gunner se précipite vers Robbie et se couche devant lui à l’entrée de la surface. Fowler pousse trop son ballon et évite les bras du portier en effectuant un saut de cabri. L’arbitre siffle immédiatement pénalty. Spontanément, lorsqu’il se relève, Fowler fait « non » de la main en direction de l’arbitre pour lui signifier que Seaman ne l’avait pas touché. Mais l’arbitre Mr Ashby ne revient pas sur sa décision malgré les protestations des joueurs d’Arsenal et l’aveu de Robbie. Fowler rate son pénalty, mais son coéquipier McAteer suit et marque. Fowler confirmera plus tard qu’il n’a pas poussé le fair-play jusqu’à rater intentionnellement son tir, mais malgré tout son attitude initiale sera saluée par l’UEFA… En l’espace de quatre jours seulement, ce joueur hors norme s’attire les foudres puis les louanges de l’instance européenne.
C’est un fait : l’indifférence n’est pas une option avec Robbie Fowler. Et surtout pas pour les fans de Liverpool, très attachés à lui. Il a d’ailleurs ses propres surnoms. Le principal est sans équivoque : « God ». Il trouve très certainement son origine dans tous les records de précocité qu’il a battu, mais pas seulement. Robbie Fowler entretient un vrai lien de proximité avec le public d’Anfield. Car c’est un joueur spontané. Mais il est aussi le « Toxteth Terror » car espiègle voire diabolique dans son comportement. Et s’il est généralement inoffensif il lui arrive de dépasser la limite comme avec Graeme Le Saux, le joueur de Chelsea.
Le 27 février 1999, Liverpool se déplace à Stamford Bridge. Chelsea remporte le match 2-1. Mais ce match au demeurant plaisant est néanmoins marqué par une altercation entre l’avant-centre des Reds et le latéral gauche des Blues. Fowler se rend coupable d’un tacle vigoureux sur Le Saux. Ce dernier reste au sol, ce qui agace davantage Fowler, qui invective son partenaire de sélection d’un « lève-toi pédé ». Mais la provocation ne s’arrête pas là : « Je m’apprêtais à tirer le coup franc. J’ai jeté un œil vers Robbie, il s’est penché en me montrant son cul. Il me regardait par-dessus son épaule d’un air satisfait : « Ramène toi et prends moi par derrière. » »
S’ensuit un échange verbal dont la teneur diverge selon les versions des deux protagonistes. Pour Fowler ça ressemblait presque à une bonne vanne : « Mais je suis marié. » – « Elton John l’était aussi, mon pote. » Mais selon Le Saux les propos s’enfoncent encore un peu plus dans la honte : « Ma famille est dans les tribunes. » – « Je m’en bats les couilles de ta famille. »
Non, cette fois il ne s’agit pas d’une bonne vanne déjantée et provocatrice, et ça n’a rien d’inoffensif. D’autant plus que cela fait des années que Le Saux subit ce harcèlement. Il est marié, père de famille et se défend d’être gay, mais la rumeur est tenace depuis ses débuts en professionnel. Un été, il avait passé une partie de ses vacances à camper en compagnie de copains. Il avait alors commis « l’erreur » de partager cette information et le fait qu’il avait apprécié ce moment, avec le vestiaire. Par ailleurs, Le Saux passe pour un marginal auprès du microcosme où il évolue. Les reproches en question ? Préférer se rendre dans des magasins d’antiquité ou de lire le Guardian – quotidien « intello » de gauche – plutôt que d’aller boire une bière ou de jouer au billard. Autant de raisons, pour un monde aussi obtus que la grande famille virile du foot (anglais), pour l’estampiller « homosexuel ». C’est ainsi que les tribunes anglaises, encouragées par les adversaires du joueur, se rendent régulièrement coupables de lancer des brimades et d’entonner des chants homophobes sans être inquiété par les instances dirigeantes.
Au final, ce soir-là Le Saux craque et envoie un coup de coude à Fowler. Les deux joueurs finissent la rencontre avec chacun un carton jaune. Mais les projecteurs sont enfin braqués sur le problème. Quelques années plus tard, Fowler présentera ses excuses pour ce comportement qu’il ne voulait pas blessant mais qui l’était pourtant.
Un peu plus d’un mois après, Fowler est de nouveau sur le devant de la scène. Avant février 1998 et sa grave blessure il faisait plus souvent les gros titres pour ses exploits que pour ses frasques. Après cette blessure, on note une rupture, en plus de celle de ses ligaments croisés, car le rapport médiatique s’inverse, ses performances sur le terrain étant moins régulières. En avril 1999, la fin de saison approche. Pour son retour, le constat n’est pas à l’échec, mais il avait habitué à tellement mieux… Il marque, mais moins : « seulement » 16 buts en 31 matchs disputés (sur 38 possibles) toutes compétitions confondues. Ce n’est pas suffisant pour occuper l’espace, alors les journaux se répondent en écho sur une nouvelle rumeur : Robbie Fowler s’enfilerait des rails de coke comme il enfilait les buts auparavant. Une rumeur dont le point de départ serait… Everton !
Alors, quand les Toffees se présentent à Anfield Road en ce fameux 3 avril 1999, Fowler est un brin revanchard et c’est Everton qui va le payer. Mais pas que. Comme évoqué en introduction de cet article, Fowler se fend d’un doublé. Ce match déjà particulier à bien des égards, va rester dans la mémoire collective comme LE souvenir de la carrière de Robbie Fowler. Même le profane en Fowlerisme en a entendu parler : lorsqu’il transforme son pénalty, Fowler se précipite vers la ligne de but face au kop bleu et fait semblant de sniffer un rail de coke, à deux reprises, puis lève les bras bien haut toujours face aux fans d’Everton. Une célébration iconique, l’une des plus connues à travers le monde et l’histoire du football, qui marquera à jamais l’image de Fowler et de la Premier League. Provocateur, hilarant : diabolique.
Ces images resteront gravées à jamais dans la mémoire collective des fans des Reds. Un geste qui crispe un peu plus ses détracteurs et une nouvelle « polémique » qui lui vaudra encore une sanction. Une démonstration qui au final renforce encore l’idylle entre God et son public.
Inéluctables séparations
« Une rencontre n’est que le commencement d’une séparation », comme dit ce proverbe japonais. Car ce qui devait arriver, arriva, inéluctablement : la séparation.
Une séparation à divers égards : leur carrière empreinte une trajectoire différente, mais leur cote de popularité aussi. Ils ont fait mentir l’adage qui veut que toutes les histoires d’amour finissent mal. Pas toutes.
Une fois n’est pas coutume c’est Steve McManaman qui tire le premier. Il quitte Liverpool et Fowler à l’issue de cette saison 1998/1999.
Les conditions de son départ trouvent leurs origines quelques années auparavant. L’adoption de l’arrêt Bosman le 15 décembre 1995 par la Cour de Justice des Communautés européennes oblige l’UEFA à abolir les quotas de joueurs étrangers (mais communautaires) pour la saison 1996/1997, le tout dans une Premier League au virage marketing assumé.
A présent, les relations joueurs-dirigeants sont elles aussi envisagées sous un angle de profit. L’arrêt Bosman lève un des moyens de régulation du marché des transferts, et on constate alors rapidement une hausse des transactions que ce soit via leur nombre mais aussi leurs montants. Mais cet arrêt Bosman a aussi pour effet de donner plus de liberté aux joueurs. C’est donc un vrai tournant qui amène à appréhender différemment les contrats et les évolutions de carrière, que ce soit du point de vue des clubs mais aussi des joueurs. Alors il y a des tâtonnements et des incompréhensions. Et Steve McManaman en sera l’une des plus belles illustrations.
Dès la saison 1997, une première mésentente fait jour entre Steve et ses dirigeants. Liverpool doit repousser une offre conséquente pour l’époque, de douze millions de livres sterling de la part du F.C. Barcelone. Le club était prêt à accepter cette offre alléchante mais le joueur s’était montré réticent. Le second acte a lieu lorsque McManaman signifie au club qu’il ne prolongera pas son contrat et compte aller à son terme afin de partir libre et mener sa carrière comme il l’entend. Un jeu de dupe bien connu depuis. D’un côté, un club qui fait valoir l’intérêt collectif en recherchant à obtenir une indemnité de transfert, et de l’autre côté un joueur désireux de garder son destin entre ses mains. Mais, à l’époque, personne ne semblait y croire réellement. Ce serait la première fois qu’en Angleterre un joueur d’envergure ne rapporte aucune indemnité au club qui l’a porté au haut niveau. Liverpool se défend et fait savoir qu’elle aurait proposé des conditions similaires à l’accord de 50 000 livres sterling par semaine que McManaman avait finalement accepté du Real Madrid. Las, sa décision était prise. L’incompréhension monte d’un cran, et l’opinion publique, bien aidée par les dirigeants d’alors, reproche alors à Steve son égoïsme et sa supposée soif « d’argent ».
Les derniers mois sont difficiles pour tout le monde. Un climat hostile, des performances moins clinquantes. Il quitte effectivement les Reds, gratuitement, pour le Real Madrid à l’été 1999, initiant alors la politique des « Galactiques » de Florentino Perez, et cristallisant alors encore un peu ce sentiment de délaisser le « football vrai » au profit de sa version « Business et Entertainment » …
« En fait, je voulais juste partir, je voulais aller jouer à l’étranger. J’avais besoin d’y aller, j’avais l’impression que je ne voulais plus jouer en Premier League, je ne voulais pas non plus jouer pour quelqu’un d’autre que Liverpool. À l’époque, je n’avais jamais joué en Ligue des champions. J’aurais tellement aimé le faire à Liverpool, ça aurait été énorme mais à l’époque vous deviez être champions pour jouer en Ligue des champions. J’avais besoin de me tester ».
S’il avait peut-être un appétit pour l’argent, il avait très certainement une grande soif « d’argenterie ». Et le futur lui donna raison.
Pendant son séjour à l’étranger, il remporte deux Liga, deux Ligue des champions, une Supercoupe d’Europe et une Supercopa de España. Ce qui fait alors de lui l’Anglais le plus décoré à l’étranger. Jusqu’ici dans l’histoire de la Coupe d’Europe, seuls trois autres Anglais avaient participé à une finale – Keegan, Waddle et Laurie Cunningham – et parmi ceux-ci, aucun n’a été en mesure de remporter un trophée. Depuis lors, seul Gareth Bale, parmi les Britanniques expatriés, a joué et remporté plus de finales de Coupe d’Europe que McManaman, le Gallois soulevant le trophée quatre fois.
Son passage à Madrid n’est pas seulement marqué par cette prolifique moisson de trophées. Il en profite également pour donner son nom à un geste technique : une reprise de volée inédite, devenue éponyme : « à la McManaman ». Un geste de Kung Fu effectué comme une bicyclette, mais « à l’endroit », en extension, et sans appui. Une première réalisée face au FC Valence de Canizares, en finale de Ligue des Champions 2000. Ce soir-là, après une longue touche effectuée par Roberto Carlos et repoussée de la tête par un défenseur de Valence, il reprend donc de volée ce ballon en cloche depuis l’extérieur de la surface. Il surprend et émerveille spectateurs et téléspectateurs, mais aussi le pauvre gardien valencien, par la spontanéité de cette reprise.
Il retente le coup, toujours sur une offrande de Roberto Carlos, pour un geste encore plus spectaculaire qui finit en lucarne contre Oviedo en championnat d’Espagne en janvier 2001.
On ne peut pas s’y tromper : de telles marques de fabrique sont l’apanage des joueurs de classe.
Le départ de McManaman est à l’origine d’un double sentiment de frustration. La première frustration vient probablement de ses neufs saisons passées à Liverpool : il était le rouage essentiel d’une équipe qui suscitait des attentes bien supérieures aux résultats obtenus : moins de titres (FA Cup 1992 et la League Cup 1995) que de polémiques. La deuxième est venue des conditions de son départ sur fond d’incompréhension. On peut aussi rajouter une troisième dose de frustration après ses pérégrinations espagnoles. Et si cette moisson de trophées hors-les-murs renforçait un peu plus les griefs des Scousers envers McManaman ? Dans un certain sens c’est possible, dans un autre ça lui donnait raison de vouloir « grandir » ailleurs.
Une triple frustration à l’origine d’une certaine sélectivité de la mémoire quant aux souvenirs de McManaman en rouge. Mais en laissant l’affect de côté (si tant est que cela soit possible avec le football), il est difficile d’oublier ces coups d’éclats dont sa carrière est régulièrement jalonnée. Quand, cheveux au vent il déboulait balle au pied, offrant ci et là des situations de buts à ses coéquipiers, quand il ne se servait pas lui-même à travers des buts d’anthologies.
Pour Fowler l’émotion est encore plus vive, plus douloureuse.
La Paire d’As est réellement proche sur et en dehors du terrain. Lorsque Fowler s’est souvenu de la vague d’émotions au moment où son ami l’informe de son départ, il eut ces mots :
« Je me souviens quand tu m’as dit que tu partais, nous étions dehors pour boire un verre tranquille, et je me souviens d’avoir été vidé, a expliqué Fowler. J’étais tiraillé entre joie et tristesse. La joie de savoir que tu allais dans une grande équipe et le désir de te voir y réussir. La tristesse de perdre un grand compagnon, mais aussi un grand joueur. Je comprenais les raisons de ce départ. Je m’en souviens tellement. Je pense que j’ai presque pleuré ».
Voilà Robbie Fowler séparé de son as de cœur. Et si c’était le prélude à un éloignement de l’amour filial, comme l’exige la loi des séries ?
L’été de sa convalescence post-rupture des ligaments croisés, un nouvel entraîneur est intronisé.
Il est d’abord co-entraîneur, associé à Roy Evans, avant que ce dernier ne soit écarté dès novembre 1998. Il s’agit de Gérard Houllier. Cet ancien enseignant-chercheur, puis professeur d’anglais, devient très vite un entraineur « avant-gardiste » dans son approche du football. A son arrivée il semble avoir une idée très claire de ce qu’il veut faire, et c’est Patrice Bergues, son fidèle adjoint qui l’évoque :
« il a fallu convaincre les joueurs de beaucoup de choses. Sur le plan de l’entraînement, de la diététique, des soins, il a fallu une bonne année pour nettoyer le club ».
Nettoyer le club… La tendance annoncée est plutôt claire : il va y avoir un « nouveau maitre à bord ». De fait, la coexistence avec un « Dieu » semble déjà vouée à l’échec. Question de leadership. Par ailleurs, la réputation de Robbie le précède : forme physique fragile, hygiène de vie douteuse, récentes controverses avec Le Saux ou Everton… Sur le papier il y a clairement une incompatibilité d’humeur qui s’annonce. Pour finir, l’éclosion d’un nouveau Golden Boy en la personne de Michael Owen ne joue définitivement pas en la faveur de Fowler. L’ensemble finit de convaincre le Français qu’il pourrait avoir une fenêtre de tir pour se débarrasser du God.
Pour les autres Spice Boys, c’est bien l’option du nettoyage par le vide qui est retenue, leurs rangs vont diminuer rapidement. James et Ince à l’été 1999, McAteer six mois plus tard, et Redknapp à l’été 2002 vont quitter Liverpool successivement.
Avec le statut d’intouchable (divinité) de Fowler, l’objectif est plus difficile à atteindre. La planche doit d’abord être savonnée : les journalistes auraient été invités à écrire des articles critiques, des photos auraient même été mises en scène pour suggérer la désobéissance dans une campagne de diffamation…
La saison 1999/2000 est catastrophique pour le Toxteth Terror. Son physique ne lui permet de disputer que 14 matchs toutes compétitions confondues (pour 3 buts). À son retour, Emile Heskey est venu renforcer l’équipe et le voilà relégué à la place de troisième choix dans la hiérarchie des attaquants. Il est poussé vers la sortie, et les dirigeants acceptent deux offres d’Aston Villa et Chelsea. Mais Fowler refuse et s’accroche.
La saison suivante est historique pour le LFC. Liverpool réalise un incroyable triplé : League Cup, FA Cup et Coupe de l’UEFA. Et même un quintuplé sur l’année civile 2001 après avoir remporté le Charity Shield et la Supercoupe d’Europe en août 2001. Du côté de Fowler, il n’y a pas de longue indisponibilité à déplorer. Il dispute 48 matchs, marque à 17 reprises, et délivre 6 passes décisives. Il joue régulièrement, mais n’est titulaire que la moitié du temps, pour un temps de jeu moyen de 60 minutes par match. Des statistiques mitigées à titre personnel, pour une récolte collective inédite. Liverpool gagne, toujours pas le championnat, mais gagne.
Néanmoins, ces succès portent un minimum le sceau de l’enfant terrible. En particulier celui en League Cup. Il dispute cinq matchs sur les six de la compétition. Il délivre 6 passes décisives, et empile 6 buts dont le but décisif en finale avant la victoire aux tirs au but. Il réalise la même performance en finale de Coupe de l’UEFA, en inscrivant le but décisif avant la victoire aux tirs au but. Enfin lors de la dernière journée de championnat il inscrit un doublé pour une large victoire des Reds face à Charlton. Une victoire synonyme de troisième place et de qualification pour la Ligue des Champions l’année d’après. De quoi rester encore légèrement intouchable, ou difficile à abattre à tout le moins.
Au début de la saison 2001/2002, Fowler est écarté plusieurs jours, non pas en raison d’une blessure, mais d’un problème de discipline. Lors de la préparation d’avant saison, Fowler enfreint les règles très strictes mises en place par le staff. Alors qu’ils n’ont pas le droit de toucher les ballons à ce moment de l’entrainement, Fowler s’en saisit d’un, le frappe et l’envoie non loin de la tête de l’un des adjoints de Houllier : Phil Thompson. L’entraîneur adjoint est hors de lui et demande au coupable de se désigner. S’ensuit des mots entre les deux hommes, qui finira par un « fuck off big nose ». Houllier, informé de l’incident, décide d’écarter Fowler tant qu’il n’aura présenter ses excuses au staff et en particulier à Thompson. Déjà en conflit larvé avec son encadrement, il s’y refuse. La punition dure trois semaines. Pendant cette période, Fowler manque le match du Charity Shield face au rival United. Un événement très douloureux pour Robbie. Thompson revient sur cet épisode il y a un an pour un média anglais : « Fowler a raté la victoire du Charity Shield contre Manchester United et il a été vidé ».
La rupture est consommée. Il joue 17 matchs en rouge puis quitte Liverpool pour rejoindre Leeds fin novembre 2001, sans un adieu : « Quitter Liverpool, ce fut un cauchemar. Je voulais rester là-bas toute ma vie », regrettera Fowler.
Pour les supporters, le coup est rude également. Leur enfant terrible, leur Dieu va les quitter, et pour un autre club anglais. Des larmes ont coulé. Pire, ce départ est vécu comme une trahison pour un grand nombre de fans. Il n’était plus l’attaquant flamboyant, mais restait l’un des leurs. Et ce sentiment de trahison n’est pas dirigé contre lui, mais contre celui/ceux qui auraient orchestré son départ : les dirigeants, Houllier en tête. Quelques années après, certains leur en veulent encore pour cette fin en eau de boudin.
La vie après la séparation
Loin de leur club formateur, la courbe de leurs performances semble s’inverser. McManaman accumule les trophées et les matchs prestigieux avec le Real Madrid (dont le mythique United – Real de 2003). Il fait son retour en Premier League en 2003/2004 à Manchester City. Il y effectue deux saisons et met un terme à sa carrière professionnelle à l’issue de la saison 2004/2005 où il ne joue que 14 matchs toutes compétitions confondues.
Fowler joue pour Leeds de l’hiver 2001 à l’hiver 2002, puis signe à Manchester City où il reste jusqu’à janvier 2006… Un mois qui fait date pour God et ses disciples.
Du côté de Liverpool on a fait banc neuf. Houllier n’a pas été conservé à l’issue de la saison 2003/2004. C’est Rafa Benitez à présent. Un entraîneur bien dans ses basquettes puisqu’il était à la manœuvre lors du « miracle d’Istanbul ».
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Fowler aussi y était. En fan évidemment. Toujours Scouser, toujours espiègle, toujours lui-même… l’anecdote veut qu’il ait croisé Benitez lors de l’after des vainqueurs et lui aurait demandé sur le ton de la plaisanterie de le faire revenir à la maison…
Sept mois plus tard son vœu est exaucé. Pardon, le vœu de toute une ville est exaucé, du moins la partie qui se pare de rouge. A la recherche d’un attaquant supplémentaire, mais limité dans ses dépenses, Liverpool envisage de se faire céder gratuitement Fowler par City. Ce qui fut fait. A la surprise générale, le 27 janvier 2006, l’accord est trouvé. Qu’importe la durée, qu’importe le salaire, il est de retour, chez lui, après en avoir été « chassé ». L’officialisation de la nouvelle, comme un frisson irrépressible, parcours la ville. Pour certains il s’agirait d’une émotion aussi intense que lors de la récente finale de Ligue des Champions de 2005. God est de retour. Rien que ça. Il effectue son retour contre Birmingham, à domicile, le 31 janvier 2006, et rentre en jeu à la 63e minute pour une ovation tonitruante.
Il quitte de nouveau Liverpool à l’issue de la saison 2006/2007. Sur cette période de 18 moins environ, il entre dans la rotation des attaquants, mais est clairement en queue de hiérarchie. Il joue finalement 39 rencontres, avec un temps de jeu moyen de 48 minutes par match environ. Il en aura profité pour marquer 12 buts et délivrer 5 passes décisives, soit l’un des meilleurs ratios du club. Moins tonique, moins véloce, mais toujours précis. Marquer des buts c’était son métier, son art. Il dispute son dernier match tout de rouge vêtu, face à Charlton à domicile le 13 mai 2007. Cinq ans et demi plus tôt, le 1er décembre 2001, face à Sunderland, il était sorti à la mi-temps, dans l’ignorance, dans l’ombre. Personne ne savait alors que c’était son dernier match à Anfield. Une immense frustration pour lui et ses fans. En ce 13 mai 2007, cette nouvelle chance, ce nouveau rendez-vous ne sera pas manqué. Tout le monde sait. Il sort à la 88e minute du match pour une ovation de tout un stade, debout. Comme ses coéquipiers à la fin du match il effectue un tour de terrain au son du « You’ll Never Walk Alone », entouré de ses enfants, flanqué du maillot rouge et du « neuf ». Cette fois personne n’a volé à Robbie et ses fans leurs Adieux.
Au total, toutes compétitions confondues, Robbie Fowler inscrit 183 buts avec les Reds, ce qui le place au sixième rang des meilleurs buteurs de l’histoire du Liverpool FC.
« He was one of us, a local lad with an immense talent. Someone who never forgot his roots or his cheek. A Scouser, an Icon, a Legend. God. » This Is Anfield.
Il part pour Cardiff puis Blackburn avant de se rendre en Australie et jouer pour North Queensland Fury et Perth Glory, puis en Thaïlande au Muangthong United où il raccroche les crampons après seulement deux matchs en septembre 2011.
A ce moment-là, un peu plus de 9000 km et 6 ans séparent McManaman et Fowler.
Scousers avant d’être Anglais
En sélection, les deux ont parfois fait la paire avec les Three Lions, mais pas d’as. Entre blessures et réputations peu avantageuses, McManaman et Fowler s’en tirent pour un bilan peu reluisant pour des joyaux d’un tel éclat. McManaman accumule moins de 40 sélections pour 3 buts entre 1994 et 2001, et Fowler compte moins de 30 sélections pour 7 buts entre 1996 et 2002. Pire, ils n’ont disputé l’un avec l’autre que 15 rencontres pour leur pays. Le bilan est légèrement plus élevé si on compte les convocations. Malchanceux ? Boudés ? En tout cas un constat surprenant. Les fans de Liverpool, eux, y voient là la marque qu’ils sont avant tout des Scousers, ce qui n’est évidemment pas pour leur déplaire.
Une amitié qui perdure
McManaman et Fowler c’est aussi une complicité, une affection qui se prolongent aussi en dehors des terrains. Plusieurs anecdotes en témoignent.
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Lors de sa mémorable célébration du 3 avril 1999 face à Everton, c’est McManaman qui, le premier, va relever son ami. Le premier à le célébrer. Mais peut-être aussi le premier, qui par son geste, vient signifier à son ami que son attitude annonce une nouvelle tempête. Lui conseille-t-il de ne pas en rajouter ? Lui signifie-t-il qu’il sera là avec lui pour l’affronter ? Inutile de fantasmer. Mais que cette image est belle.
Le 22 juin 2003, alors que Fowler est en vacances, il rend visite à Steve à Madrid. Le Real Madrid de son ami s’apprête à disputer la dernière et décisive journée de championnat d’Espagne, face à l’Athlétic Bilbao pour l’obtention du titre. Les Madrilènes l’emportent 3-1 et sont sacrés champions d’Espagne. Quelques minutes plus tard McManaman et ses coéquipiers déclenchent les festivités. Fowler est invité par son ami à les rejoindre. Le voilà avec eux sur le toit d’un bus à parader dans toute la ville, vêtit lui aussi du t-shirt commémoratif. Il s’en fallait de peu pour apercevoir Fowler à la Fuente de Cibeles, mais il s’y refusa au dernier moment.
Plusieurs années plus tard, en 2020, lorsque le média This Is Anfield publie sur Twitter le lien vers un article à propos de la carrière « sous-cotée » de Steve à Liverpool, Fowler tweet des applaudissements, juste en dessous.
👏🏼👏🏼👏🏼👏🏼
— Robbie Fowler (@Robbie9Fowler) May 6, 2020
Le genre de petites attentions qui entretient une amitié hors-pair.
Steve McManaman et Robbie Fowler ont fait souffler un vent de fraicheur sur la ville et le club qui les ont vus éclore. Deux formidables partenaires de jeux, deux amis, à qui il n’aura peut-être manqué qu’un titre majeur en Red pour tisser le fil d’une histoire parfaite. Mais rien n’est parfait. Surtout au cœur des années 90, et encore plus dans un club qui se retrouve à la croisée des chemins. Entre ses propres démons dont il peine à se défaire : un climat social toujours pesant dans une ville à l’anachronique passé ouvrier ainsi qu’un deuil, perturbé, qui n’en finit plus. Et un football qui fonce bras ouverts vers les siens, accélérant sa mutation vers une logique d’insatiable profit. Deux joueurs emportés par le tourbillon des paradoxes de leur époque, les projetant dans de grandioses carrières imparfaites.
Une histoire, à deux, tellement bien ancrée dans son époque, que les revoir dans les bras l’un de l’autre, a le même effet que cette madeleine mouillée de Proust, et nous ramène illico vers des sensations et des souvenirs longtemps enfouis.
« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Cette image c’était celle de ses soirées du dimanche soir tard, quand alors en pyjama, je retardais l’heure du coucher fatidique, fuyant le moment où je devais faire un bisou et dire bonne nuit, je suspendais le temps en me faisant une place sur le canapé à côté de mon père, hypnotisé que j’étais par l’Equipe du Dimanche, la voix de Gilardi, les chevauchées de McManaman, les innombrables buts de Fowler et les cris de joie d’Anfield. Tout est revenu. »
Merci à vous deux.
Pour ceux qui veulent encore prolonger le plaisir, voici une compilation d’une partie des nombreux buts de Fowler pour Liverpool. Un must-see.
Sources :
- Aaron Cutler, « Liverpool Cult Hero: Robbie Fowler », www.thisisanfield.com.
- Jack Lusby, « Steve McManaman: Appreciating the genius who left after giving everything for Liverpool », www.thisisanfield.com.
- Oncle Fredo, « 25 mars 1997: Robbie Fowler affiche son soutien aux dockers de Liverpool », Dialectik Football.
- Joffrey Pointlane, « ANGLETERRE – ECOSSE 96 : PAUL GASCOIGNE, BUT MYTHIQUE, CÉLÉBRATION LÉGENDAIRE », www.eurosport.fr.
- Equipe Liverpool France, « Hillsborough », www.liverpoolfrance.com.
- Florian Lefèvre, « LE SAUX DE LA DIFFÉRENCE », www.sofoot.com.
- Phil Thompson, « PHIL THOMPSON: ROBBIE FOWLER TOLD ME ‘F**K OFF BIG NOSE’ AND GOT BANNED FOR THREE WEEKS », paddypower.com.
- https://www.premierleague.com/
- https://www.lfchistory.net/
Crédits photos : Icon Sport