À l’hiver 1999, la principauté connaît une inhabituelle agitation. Après une campagne européenne 1997/1998 particulièrement réussie, le club monégasque ne répond pas, la saison suivante aux attentes suscitées. Après le départ de Thierry Henry au mercato hivernal, Jean Tigana claque la porte en Janvier 1999 sans donner la moindre explication. Le président Jean-Louis Campora confie l’intérim à Claude Puel, fidèle au club depuis 1977. L’intérimaire finira finalement la saison, mais les instances dirigeantes s’agacent et le prince Albert déclare “Je ne peux me satisfaire de l’image que renvoie l’AS Monaco, nous n’avons personne en place qui dégage le charisme nécessaire”. Jean-Louis Campora s’active donc pour ramener Monaco sur le devant de la scène et cherche activement un entraîneur de renom. Pourtant, c’est bien Claude Puel qui fait de l’AS Monaco 1999/2000 une équipe générationnelle.
L’entraîneur n’arrivera jamais et Claude Puel débute bien la saison sur le banc monégasque. Avec les arrivées de Marcelo Gallardo, Rafael Marquez, Pablo Contreras ou Marco Simone, l’ASM fait figure de prétendant sérieux au titre. Un mercato séduisant, mais plein de paris, Marquez (20 ans) et Contreras (21 ans) découvrent l’Europe, des doutes subsistent sur les capacités physiques de Gallardo et Marco Simone n’a pas vraiment confirmé les attentes que la direction parisienne avait placées en lui.
Mais comme les deux dernières éditions, disputées jusqu’au dernier match, la compétition s’annonce ouverte. Bordeaux, Paris l’OM et l’OL ne semblent rien n’avoir à envier à l’ASM, sans oublier l’AJ Auxerre ou le RC Lens capables de créer la surprise. Jean-Michel Aulas compte bien faire de l’OL le nouveau boss du foot français en recrutant Sonny Anderson pour 120 millions de francs, record de l’époque en France.
L’effectif de Claude Puel est extrêmement jeune et à 30 ans, Marco Simone est, de loin, le doyen de l’effectif. Un groupe expérimenté cependant qui compte deux champions du monde (Fabien Barthez, David Trezeguet) et surtout une dose phénoménale de talent. Désireux d’honorer la confiance que lui a accordé le prince Albert, Puel doit rapidement trouver le moyen de tirer le meilleur de cet effectif pléthorique sous peine de voir Jean-Louis Campora décrocher le téléphone. Malgré un début de championnat douteux avec un nul à domicile et une défaite, Puel trouve rapidement son schéma, son organisation et son animation. Monaco évolue toute la saison dans un 4-4-2 très classique.
Barthez garde les buts, devant lui Marquez et Christanval, 21 ans tous les deux, composent la défense centrale (avec Martin Djetou aussi), Léonard et Sagnol occupent les flancs. Lamouchi recule et est associé à Costinha au milieu, un replacement qui fera de Sabri Lamouchi la rampe de lancement et le percuteur des attaques monégasques tout au long de la saison. Sur les ailes, Gallardo s’installe à gauche, mais repique continuellement dans l’axe afin de se retrouver en situation préférentielle pour abreuver les attaquants alors que Ludovic Giuly répète les accélérations sur son côté droit. Enfin, devant, un duo implacable émerge: Marco Simone et David Trezeguet. En établissant un cadre tactique permet à ses joueurs de mieux exercer leur talent et leur permet de faire ressortir une créativité qu’ils étalent tout au long de la saison.
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Après deux premiers matchs décevants, l’ASM se remet vite à l’endroit porté, déjà, par son duo d’attaque. La complémentarité de Simone et Trezeguet sautent vite aux yeux, les deux attaquants appellent constamment le ballon et si Trezeguet est le joueur le plus dangereux de Division 1 dans la surface de réparation, Marco Simone, plus polyvalent, marque régulièrement de l’extérieur de la surface, élimine et se révèle être un excellent passeur. Rapidement, Monaco se place dans la course au titre. Les attentes sont confirmées dès la 8ème journée à l’occasion d’un match contre le PSG.
Les deux équipes à égalité veulent tirer leur épingle du jeu. Les rouges et blancs éparpillent les parisiens 3-0 et effraient déjà la concurrence. Après Paris, Monaco enchaîne contre Lyon alors leader. Mais Monaco a quelque chose de paradoxal, capable du meilleur, mais aussi de relâchements et de fébrilité défensive comme contre Bordeaux lors de la 13ème journée où l’ASM sombre à Lescure (3-2). Une équipe à réaction aussi pleine de caractère malgré son jeune âge, après chaque faiblesse, les monégasques se ressaisissent irrémédiablement pour pratiquer le football qu’ils connaissent.
Souvent porté par un duo offensif ultra efficace, Claude Puel met tout en œuvre pour faire briller ses buteurs. Monaco est une équipe adaptable, dangereuse en possession notamment grâce à Marquez et Christanval à l’aise balle au pied comme en transition où la vitesse et la précision de Giuly font souvent mouche. Replacé en relayeur, Lamouchi excelle. Il participe parfaitement à l’animation du couloir droit avec Sagnol et Giuly, son rôle lui permet aussi de partir de plus loin et de casser des lignes par la passe ou le dribble. Le style de jeu simple, instinctif et esthétique pratiqué par Monaco convient particulièrement à la recrue estivale, Marcelo Gallardo.
Marcelo Gallardo, sensation argentine
L’Europe attend avec émerveillement les débuts du énième “nouveau Maradona”. À 24 ans et après avoir eu des contacts avancés en Italie et avec le PSG, Marcelo va finalement faire le bonheur de Monaco. Bien que sollicité en Europe, Henri Biancheri, alors directeur sportif de l’AS Monaco, raconte que ce sont bien les doutes sur les capacités physiques de Gallardo qui refroidissent les ardeurs italiennes. L’enfant de River Plate se lie directement avec David Trezeguet qui lui confie son admiration pour le club résidant du Monumental. Arrivé sans préparation, Gallardo commence directement la saison et ne tarde pas à rendre heureux Jean-Louis Campora. Aligné à gauche, Gallardo n’est pas du genre à coller la ligne et Claude Puel le sait, son système lui offre la liberté nécessaire pour s’exprimer. Il profite de ses qualités pour éliminer et repiquer dans l’axe, position dans laquelle il aime trouver Trezeguet ou Simone dans la profondeur. Mais l’Argentin innove sans cesse, le toucher de balle d’ El Muneco éblouit la ligue 1 et séduit les observateurs. Alors que le poste de 10 tend à disparaître, Gallardo essaye de raviver la flamme. Marcelo Gallardo fait directement l’unanimité et gratifie le public d’un spectacle malheureusement trop inhabituel.
Un football tout en technique, en grâce et en élégance. Dès les premières journées, Gallardo écrit son nom au Panthéon des esthètes de Division 1. Cette palette technique le rend absolument imprévisible, insaisissable. L’Argentin plante à huit reprises en championnat, sur coup franc direct, frappe à l’entrée de la surface ou par un lob génial, peu importe, l’Argentin aimante constamment les regards et les ballons. C’est son talent qui rend, cette saison monégasque si particulière, il est cet élément instable qui permet de sublimer le quatuor offensif de l’AS Monaco. En plus de cela, Gallardo est déjà à l’époque une star en Argentine, il a du caractère et il l’assume comme l’illustre cette déclaration de la fin de l’année 1999.
« Un vrai chef, c’est celui qui demande la balle pour faire jouer l’équipe. Et il n’a pas à être désigné, il doit se voir sur le terrain. C’est le rôle qui fait le patron. »
Les qualités du jeune Argentin ne passent pas inaperçus dans l’hexagone au point qu’à la trêve Monaco, leader, semble intouchable. A la faveur d’une défaite du dauphin lyonnais à Bastia, lors de la 17ème journée, le club princier creuse l’écart en s’imposant 4-1 au Havre. Une prise de pouvoir presque trop facile, car les Monégasques comptent certes cinq points d’avance sur Lyon et six sur le PSG, mais leur maîtrise technique et tactique empêche les autres équipes de croire réellement à un retour. Avec 38 buts inscrits en 17 matchs (18 de plus que l’OL), l’AS Monaco détonne dans un championnat peu prolifique depuis quelques années.
Durant le troisième quart de la saison, Monaco confirme ces observations en déroulant un football flamboyant. Pour le compte de la 24ème journée, Monaco reçoit le PSG et tue le suspens en l’emportant par la plus petite des marges, sans forcer. Avec dix points d’avance à dix journées du terme, l’affaire semble entendue et les journalistes comme supporters s’enthousiasment ou se désolent de l’émergence de ce qui semble être le nouveau club phare du foot français. Un succès acquis grâce à la qualité de la formation monégasque, qui n’a désormais plus rien à envier à ceux de l’AJ Auxerre ou du FC Nantes, couplée à des recrutements intelligents. La seule ombre découle du politique davantage que du sportif.
Les relations entre Jean-Louis Campora et le Prince Albert sont déplorables et le Prince s’inquiète de l’influence grandissante du Président de l’AS Monaco et Président du Conseil National. Une opposition de style entre le notable Campora, habitué de la discrétion et des ambiances mondaines, et le jeune Prince Albert qui se rêve en héros monégasque, désireux de faire de l’ASM la vitrine d’une principauté moderne, ouverte sur le monde et les investissements étrangers.
Violence et illusions perdues
Étonnamment, les ennuis viendront du terrain, malgré quelques relâchements, l’AS Monaco est tranquillement sacrée champion de France à 4 journées de la fin du championnat. Deux matchs vont totalement démobiliser Marcelo Gallardo et créer une fracture durable au sein du vestiaire monégasque. Le premier, à Lyon, pour le compte de la 25ème journée, tourne rapidement au pugilat. Distancés au classement, les Lyonnais, avides de se distinguer des esthètes monégasques, réservent un traitement spécial à Marcelo Gallardo. Habitué à être chahuté, en France comme en Argentine, El Muneco aime le contact et sait pertinemment qu’il est quasiment impossible de lui prendre la balle, il en joue et nargue allègrement ses adversaires, une désinvolture souvent interprétée comme une insulte ou de l’irrespect.
Sauf que ce 6 février 2000, Gallardo ne passe pas 5 minutes consécutives sans se faire découper, au point qu’il sort sur civière à l’heure de jeu. Un acharnement qui a tout du coup de pression en provenance des défenseurs humiliés de division 1, comme le confirme le défenseur Rhodanien Serge Blanc: « Gallardo devait finir par payer et je dis même qu’il va encore payer ! Même si c’est un joueur d’exception, en provoquant ainsi et en manquant autant de respect pour les autres, il n’a pas sa place dans le championnat de France ». Pourtant, la réception lyonnaise est loin de provoquer une remise en question chez Gallardo, habitué aux ambiances argentines et qui compte bien continuer dans la provocation et dans l’humiliation des défenses françaises.
À l’occasion du déplacement à Marseille, les coéquipiers de Marcelo Gallardo avertissent ce dernier de la bellicosité des supporters et des joueurs marseillais. Une tension exacerbée par la triste saison du club marseillais, obligé de se battre pour le maintien alors que que les espoirs de titre en début de saison étaient bien réels. Conscient des intentions marseillaises, Claude Puel lance une bouteille à la mer au micro de Canal + juste avant le coup d’envoi en déclarant que le plus important n’est pas le titre, que Monaco peut acquérir en cas de victoire, mais bien que le match se déroule dans “un bon esprit”. Raté, Gallardo subit une première faute après sept secondes de jeu. Le matraquage s’étend sur toute la rencontre, enfin toute la première mi-temps plutôt. Dans le tunnel pour retourner au vestiaire, un commando attend Gallardo pour lui faire regretter ses provocations. La sécurité du stade organise ce guet-apens, Gallardo se retrouve soudain isolé et se fait lyncher par des membres du staff (Christophe Galtier), des joueurs (Peter Luccin, Christophe Blondeau) et la sécurité. Un traquenard prémédité, puisque la sécurité du Vélodrome empêche les caméras de pénétrer dans le tunnel durant la mi-temps.
Juste après l’altercation, Marcelo Gallardo est expulsé par un arbitre visiblement étranger à l’obligation de protection des joueurs qui lui incombe. En sang, Gallardo regagne le vestiaire monégasque furieux. Si le staff est tétanisé et ne sait comment réagir, les partenaires d’El Muneco semblent relativement indifférents. Fabien Barthez, ex marseillais, légèrement jaloux de la place prise par Marcelo Gallardo, est directement accusé de connivence avec les Marseillais par l’Argentin et Claude Puel. Outré par ces accusations le départ de Fabien Barthez ne fait plus de doute. De son côté, si Gallardo est familier de l’intimidation, il ne comprend absolument pas le manque de soutien voire même l’hostilité dont il fait l’objet. Jean-Louis Campora réagit vivement dans les premiers jours, mais souhaite rapidement enterrer l’affaire. Président consensuel, adepte de la discrétion, il est hors de question que l’AS Monaco s’engage dans un conflit ouvert avec l’OM pour réclamer les sanctions les plus lourdes comme le voulait Claude Puel. Cette triste rencontre illustre une fin de saison amère pour les Monégasques défait quelques jours auparavant en demi-finale de coupe de France et éliminé en C3.
La fin de saison brise la dynamique monégasque, cette équipe fantastique que l’on voyait régner sur la France pour les cinq années à venir se délite lors du mercato. Malgré cela, le club princier achève une saison hors norme, porté par un duo stratosphérique peu commun en France puisque Trezeguet plante 22 fois, Simone 20 fois, mais décroche le titre de meilleur passeur. La saison de la confirmation pour Willy Sagnol qui cédera aux sirènes du Bayern durant l’été, pour Giuly également qui accède à l’équipe de France, mais aussi pour Trezeguet recruté par la Vieille Dame et qui s’impose désormais comme un buteur majeur du vieux continent. La saison de la révélation pour Christanval, Rafael Marquez ou Riise. Monaco 2000 est sans doute l’un des plus beaux champions de l’histoire du championnat de France et son effectif attire la convoitise de toute l’Europe et, dans le football post-Bosman, le caractère éphémère de ce type de succès semble inéluctable.
Sources:
- Florent Torchut, Marcello Gallardo: « Les marseillais avaient préparé leur coup », So Foot
- Chris Diamantaire, Marcello Gallardo, dernier esthète du siècle, So Foot
- Chris Diamantaire, « L’équipe de l’AS Monaco 1999/2000 était hors norme », So Foot
- Vincent Bregevin, « 15 avril 2000, l’AS Monaco rêvait d’un long règne, il n’a eu qu’une courte épopée », Eurosport
- Jérôme Dupuis, « Albert contre la vieille garde », L’Express
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