S’il ne fait aucun doute, aujourd’hui, que l’Europe est la terre natale du football et l’Amérique du Sud sa terre d’adoption, l’Asie de l’Est et l’Amérique du Nord demeurent encore en marge de cette vaste famille. On considère ces aires géographiques comme des zones arides du football, des espaces trop réduits pour son développement qui subit une concurrence féroce. Ces poncifs se vérifient largement dans les cas de la Chine, du Japon et des États-Unis, trois des plus grandes puissances des dernières décennies. Pourtant, ces trois États ont tous essayé ou essayent encore d’émerger en tant que puissance footballistique.
Les pionniers américains
De la Chine, des États-Unis et du Japon, c’est le football américain qui se développe et se professionnalise en premier. La North American Soccer League, première ligue de football professionnel d’Amérique du Nord, débute en 1968 et regroupe 17 franchises. La création de la NASL résulte d’une entame de processus d’acculturation des Américains au football. Cette popularisation commence avec la victoire de la Team USA contre l’Angleterre au Mondial 1954 puis avec la diffusion à la télé américaine de la Coupe du monde 1966. La NASL connaît son pic de popularité avec l’arrivée, en 1975, de Pelé au New York Cosmos, club iconique de cette génération.
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Dans le contexte de la fin des accords de Breton Woods et du premier choc pétrolier, les Etats-Unis ont besoin de développer de nouvelles façons d’influencer le monde, combattre l’adversaire soviétique et donc de diversifier leur soft power. On comprend alors comment la venue de Pelé, déclaré joyaux national, est rendue possible. Henry Kissinger facilite les négociations en faveur du Cosmos, bien conscient, car allemand de naissance, du pouvoir du football. Il faut comprendre que, jusqu’alors, les principaux consommateurs de soccer sont les immigrés européens, africains ou sud-américains. Le football possède donc un potentiel important de développement aux Etats-Unis si ce dernier se montre en mesure de concurrencer les trois sports américains traditionnels.
Après l’arrivée du « Roi » Pelé à New York, chaque franchise veut sa star. C’est connu, les Américains ont de l’argent. Assez d’argent pour attirer, entre autres, Best, Beckenbauer, Cruyff, Neskeens, Carlos Alberto et Eusebio qui débarquent dans le « nouveau monde » entre 1975 et 1980. Le public est d’ailleurs très réceptif et les affluences moyennes se stabilisent autour de 14 000 personnes à partir de la fin des années 1970. Le New York Cosmos joue pour sa part en moyenne devant plus de 40 000 personnes.
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Au-delà des affluences, le football commence à devenir un élément de la culture populaire aux Etats-Unis. Malgré un niveau en progression constante, le château de cartes s’effondre définitivement avec la disparition de la NASL en 1984, emportée dans sa chute par le déclin du New York Cosmos. Le principal problème du foot américain ? L’absence de rentabilité. Le championnat est tiré vers le haut par des stars vieillissantes, mais ne possède aucune base solide. La formation est balbutiante, les infrastructures limitées et les franchises mal gérées. Logiquement, donc, les franchises se ruinent pour des stars qui ne laisseront derrière elles qu’un tas de miettes. Pour couronner le tout, l’obtention de la Coupe du Monde 1986 échappe aux Américains. Un événement décisif qui aurait pu pérenniser le développement de la NASL.
Reculer pour mieux sauter
Le football japonais prend ses racines dans le lien singulier de l’archipel avec le Brésil. En effet, à la fin du XIXème siècle, de nombreux Japonais quittent leur île pour venir travailler au Brésil en manque de main d’œuvre depuis la fin de l’esclavage. Aujourd’hui encore, le Brésil accueille encore 2 millions de Japonais. En plus de cela, au début de l’intérêt nippon pour le football, Kazuyoshi Miura va parfaitement incarné le lien entre les deux pays. Arrivé au Brésil à 15 ans en 1982, il joue pour Santos et marche dans les pas de Yasuhiko Okudera, pionnier lui aussi et premier Japonais à devenir professionnel en Europe. En 1990, il revient adulé au Tokyo Verdy dont il défendra les couleurs pendant huit ans. La première partie de ces huit années s’effectue d’abord en amateur avant de passer en professionnel avec la création de la J League en 1993.
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Afin de créer de l’engouement pour la première ligue professionnelle de football du Japon et développer le football, les clubs, cherchent à recruter des stars. Zico le premier, puis Lineker, Schillaci ou Stojkovic. Mais le Japon mise aussi sur la formation et le football devient l’un des sports les plus pratiqués dans les cours de récréation. En effet, le pays s’intéresse déjà au foot depuis quelques temps et il pénètre peu à peu la culture populaire que ce soit grâce à Captain Tsubasa, Miura ou des firmes comme Toyota qui organisent la Coupe intercontinentale au Japon à partir des années 1980.
Parallèlement, le football professionnel américain renaît avec la création de la MLS en 1996 suite à l’organisation du Mondial 1994. Les leçons du passé seront retenues : on mise désormais sur la formation davantage que sur les stars, de vrais emblèmes apparaissent d’ailleurs comme Landon Donovan, Clint Dempsey ou Alexi Lalas.
La MLS procède également à une régulation de la masse salariale des clubs, introduit un salaire minimum et maximum (atténué à partir de 2007) et limite le nombre de joueurs étrangers dans les clubs. Ces mesures permettent de professionnaliser les clubs en évitant la fuite des talents tout en se protégeant des dérives budgétaires du passé. Ainsi, à l’heure où le football européen attire tout à lui et tend à devenir l’unique centre footballistique mondial, la MLS fait le choix du protectionnisme.
L’exemple chinois met assez bien en perspective le cas américain. En effet, même si le premier championnat professionnel apparaît dès 1992 avec la Chinese Super League, la Chine commence réellement à s’intéresser au football à partir de 2010. En 2011, Dario Conca, inconnu du grand public, signe au Guangzhou Evergrande pour 10 millions d’euros par saison. Son seul fait d’arme ? Avoir fini meilleur joueur du championnat brésilien en 2010. Des noms plus prestigieux arrivent ensuite comme Anelka et Drogba à partir de 2012 avant de connaître un véritable pic entre 2015 et 2016 avec les arrivées de Witsel, Oscar ou Hulk pour des montants irrationnels.
Cependant, la fédération chinoise, consciente des risques inhérents à ce modèle, décide d’intervenir et de réguler les flux financiers. La fédération chinoise de football instaure une taxe de 100% sur les transferts des joueurs étrangers, plafonne les salaires et limite les clubs à trois joueurs étrangers par match. Pas question de passer pour le pigeon des transferts lorsque l’on entend développer une réelle politique footballistique.
Xi Jinping joue un rôle majeur dans la restructuration de la politique footballistique chinoise qu’il présente dans un « Plan de développement du football en Chine à Moyen et long terme (2016-2050) ». Ce plan mise principalement sur la formation et prévoit la création 50 000 écoles de foot. Volontairement, donc, la Chine a freiné le décollage de son football professionnel afin de pérenniser son développement. Une attitude logique au vu de ses ambitions. En effet, le projet sportif chinois entretient directement la vocation hégémonique de l’Empire Céleste, de plus en plus flagrante depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir.
La sélection nationale, un outil de développement du football
On touche alors au cœur des raisons de l’intérêt de ces puissances majeures pour un sport qui leur était auparavant étranger. La Chine qui se rêve comme la seule puissance majeure des décennies à venir aurait tort de négliger le football. Une Chine hégémonique mais incapable d’accéder à une phase finale de Coupe du Monde ne serait pas vraiment au goût du Parti communiste chinois. Le football est donc évidemment un outil d’influence majeur.
Ce soft power se traduit aussi par la revendication de la paternité du football. L’empire du milieu revendique la paternité du ballon rond à travers le Tsu Chu, une filiation reconnue par la FIFA qui contribue à légitimer les ambitions footballistiques chinoises. Une faible victoire cependant, car la République populaire doit encore faire éclore une génération de joueurs talentueux et surtout organiser une Coupe du Monde afin de réellement peser sur la scène footballistique internationale.
De son côté, comme nous l’explique le compte FC Geopolitics sur Twitter (@FCGeopolitics), le Japon intègre complètement le sport à sa stratégie d’influence culturelle à partir des années 2000. En effet, la sélection nationale est le reflet du pays à l’étranger, elle se doit de renvoyer une image positive. Ces préoccupations ont d’ailleurs mené à une restructuration du mode de formation japonais pour se rapprocher d’un modèle européen. La formation autrefois assurée par les écoles ou les universités aboutissait tardivement. La refonte du système de formation permet de rendre les joueurs de l’archipel attractifs pour les clubs européens et alimente ensuite la sélection en joueurs aguerries. Le meilleur moyen d’étendre son influence passe souvent par la sélection nationale. On peut faire, à ce titre, un certain nombre de parallèles entre le Japon et les États-Unis.
La sélection américaine connaît un vrai renouveau à partir de 1990, elle arrive d’abord à se qualifier pour la Coupe du monde pour la première fois depuis 1950 et remporte la Gold Cup en 1991. Ces succès, couplés à l’organisation de la Coupe du monde 1994 et la création de la MLS, renouvellent l’engouement pour le football aux États-Unis, bien aidé, il faut le dire, par Alexi Lalas, véritable porte drapeau et icône de la Team USA dans les années 1990.
La World Cup est un vrai succès pour les États-Unis qui sortent dignement en huitième de finale contre le Brésil après un match disputé, le 4 juillet 1994. La Team USA poursuit sur sa lancée, décroche plusieurs succès continentaux et se qualifie même pour les quarts de finale de la Coupe du monde 2002 après avoir disposé du rival mexicain grâce à un but du tout jeune Donovan. Après ça, les Stars and Stripes réalisent deux très belles campagnes en 2010 et 2014 ou ils s’extraient de groupes difficiles mais échouent aux prolongations.
La progression de la sélection américaine est fulgurante et se fait ressentir au sein de la population américaine qui affectionne de plus en plus le ballon rond. Le chemin japonais est relativement similaire et le succès nippon se forge autour des mêmes éléments : des joueurs iconiques et l’organisation d’une Coupe du monde. La sélection émerge réellement dans les années 1990 sous l’impulsion de Miura et remporte notamment la Coupe d’Asie en 1992 puis participe à son premier mondial en 1998.
Les « samurais bleus » en sont à leurs débuts, mais ils s’imposent déjà comme une des puissances asiatiques en terme de football. C’est donc logiquement que le Japon accueille en 2002, conjointement avec la Corée du Sud, la première Coupe du monde en Asie. Les Japonais échouent en huitièmes de finale, mais achèvent la conversion de leur public au football. Portés par des joueurs talentueux et expatriés en Europe comme Nakata ou Keisuke Honda « les samurais bleus » enchaînent les prestations continentales et mondiales tout en exportant un nombre croissant de joueurs vers l’Europe. En 2010, ils échouent aux tirs au but face au Paraguay en huitième après une phase poule plus que convaincante. Quatre ans plus tard, les Nippons sont proches de créer l’exploit du mondial russe avant que Chadli n’en décide autrement dans les dernières secondes d’un huitième de finale à rebondissements (défaite 3-2 contre la Belgique).
Une ascension continue qui pourrait bien rebattre les cartes du football mondial et voir émerger les États-Unis et le Japon comme de réelles puissances footballistiques. Moins avancée dans sa démarche, la Chine essaye elle aussi de booster son équipe nationale. Elle a régulièrement fait appel à des sélectionneurs étrangers avec notamment Marcelo Lippi entre 2016 et 2019. Sans succès, puisque la Chine n’a participé, à l’heure actuelle, qu’à la Coupe du monde 2002.
Le football est aujourd’hui devenu indispensable pour n’importe quelle grande puissance. Il est un vecteur d’influences desquelles personne ne peut se passer. À ce titre, on identifie certaines constantes qui permettent l’apparition d’une passion populaire pour le foot : une sélection performante, l’arrivée de stars et l’organisation d’une Coupe du monde. Attention à ne pas se brûler les ailes comme la NASL ou comme la Chinese Super League qui était sur le point de le faire. La régulation paraît indispensable dans un premier temps et démontre bien la volonté politique derrière le développement du football. Un développement uniquement possible sur le long terme.
Sources:
- « Comment le football s’intègre dans la stratégie d’influence culturelle du Japon ? » Kévin Veyssière
- « Et si l’avenir du foot était au Japon ? » Lucarne Opposée
- « Economie du football, la fin de l’eldorado chinois » Confluences.fr
- « La Chine et le football: le « grand bond » en avant global » Footpol.fr
- « Once in a Lifetime » de Paul Crowder et John Dower, 2006
- « Japon do Brasil, Une longue histoire » Le Temps
Crédits photos : Icon Sport