Légende du football aux États-Unis, Michelle Akers a été l’une des principales actrices du développement du football féminin dans les années 1990. De ses exploits sur les pelouses de la Coupe du monde à son engagement pour l’égalité salariale, retour sur la carrière d’une brillante footballeuse.
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Le 30 novembre 1991, les 63 000 spectateurs du stade Tianhe de Guangzhou assistent à la première finale de la Coupe du monde féminine. Sur les bords de la Rivière des Perles, la Norvège et les États-Unis se disputent le titre mondial. Au bout de vingt minutes de jeu, une attaquante à la crinière dorée s’envole plus haut que tout le monde, du haut de son mètre 78, Mufasa – son surnom qui fait écho à sa coupe de cheveux – fait trembler les filets. Malgré l’égalisation des Norvégiennes, la redoutable buteuse de Team USA remet le couvert une seconde et dernière fois, profitant d’une mésentente de la défense adverse. Les États-Unis triomphe et peuvent remercier leur star : Michelle Akers.
« Michelle Akers était l’incarnation de l’athlète guerrière. Elle était prête à mourir sur le terrain. Crois-moi, je n’ai jamais vu personne tout donner sur le terrain comme Michelle Akers, j’ai énormément de respect pour Michelle. » Tony DiCicco, sélectionneur des États-Unis entre 1994 et 1999.
Au cours des deux semaines de compétition, la native de Santa Clara, en Californie, va écraser la concurrence. Auteur d’un doublé contre la Suède au premier tour, son chef-d’œuvre en quart de finale restera dans les mémoires. Elle se charge d’humilier Taïwan, signant un quintuplé historique, pour permettre aux Américaines de s’imposer 7 à 0. Il faudra attendre le Mondial 2019, pour voir sa compatriote, Alex Morgan, réitérer pareille performance contre la Thaïlande. En 1991, Michelle Akers inscrit 10 buts lors de ce Mondial, un record qui cette fois-ci n’a pas encore été dépassé.
Des débuts prometteurs
Avant de connaître le succès avec la sélection américaine, Michelle va se construire une solide réputation au pays de l’oncle Sam. Née le 1er février 1965, à Santa Clara, la jeune californienne va déménager au nord de Seattle, dans la banlieue de Shoreline. Ses talents de footballeuses se révèlent sur les bancs du lycée de Shorecrest. Nommée trois fois dans le meilleur onze du pays, elle remporte le titre de l’État de Washington avec les Thunderbirds de Shorecrest. Toutes les universités du pays se l’arrachent. Désireuse de rester sur la côte ouest, elle doit se résoudre à traverser les États-Unis, faute d’équipe universitaire compétitive à l’ouest. Le choix est vaste pour la jeune attaquante qui choisit finalement de suivre son intuition. En 1984, elle rejoint le soleil de la Floride et l’Université de Floride Centrale, à Orlando.
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Avec les Golden Knights, elle découvre le circuit universitaire NCAA. Michelle Akers se démarque rapidement parmi la fine fleur de la future génération de footballeuses américaines. Elle remporte le tout premier trophée Hermann – prix décerné à la meilleure joueuse du pays -, et apparaît à quatre reprises dans la meilleure équipe du pays. Cette jolie collection de titres individuels fait d’elle une légende du programme de football féminin de l’université. Meilleure buteuse de l’histoire de la fac floridienne, son numéro 10 est retiré depuis son intronisation au Hall of Fame de l’université en 1998.
Un an après ses débuts universitaires, Michelle Akers est appelée pour faire partie de la première sélection américaine. Lors du Mundialito 1985 – un des tournois internationaux non officiels qui préfigure les futures Coupes du monde féminines – elle marque dès sa première apparition contre le Danemark. La première de ses 105 réalisations avec les Stars and Stripes, dont 39 buts rien qu’en 1991.
Un combat pour l’égalité
L’année 1995 marque un tournant pour Akers et la sélection américaine. Battues par les Norvégiennes en demi-finale du Mondial, elles cèdent leur couronne à la sélection nordique qui prend sa revanche quatre ans plus tard. La désillusion est immense pour les Américaines. Mais il y a peu de place pour la déception. Aussitôt rentrée au pays, la sélection américaine doit préparer le prochain objectif : les Jeux Olympiques 1996. La tâche s’annonce immense pour les coéquipières d’Akers, attendues au tournant chez elles, à Atlanta. Un rassemblement est organisé, en décembre 1995, par la fédération pour s’entraîner en vue des JO. Mais l’ambiance est morose au camp d’entraînement. Plusieurs cadres de l’équipe manquent à l’appel : Mia Hamm ; Kristine Lilly, Joy Fawcett, et Michelle Akers.
La fédération et les joueuses sont en désaccords autour des primes de matchs. Contrairement à leurs homologues masculins, l’équipe féminine peut toucher une prime uniquement en cas de médaille d’or à Atlanta. Là où l’équipe masculine bénéficie d’une prime pour l’or, l’argent et le bronze. Une différence de traitement, injuste aux yeux de Michelle Akers et ses coéquipières, mais elles peuvent compter sur un soutien de poids : l’avocate Ellen Zavian.
Spécialisée dans les droits de sportifs, elle est la première avocate à se faire une place dans le monde très masculin de la NFL – la ligue de football américain. Elle s’engage auprès des joueuses en occupant un rôle prépondérant dans la négociation de leurs nouveaux contrats. « Je voulais vraiment un lock-out, parce que le public considère les grèves comme des pleurnicheries, explique-t-elle. Et j’avais traversé une grève en 1987 avec des joueurs de la NFL où il y avait des briseurs de grève. Donc, à partir de cette expérience, j’ai réalisé qu’un lock-out – Ndlr : une grève partielle – apportait en fait aux médias et aux fans beaucoup plus de soutien aux joueurs. »
Grâce aux soutiens d’Ellen Zavian, les joueuses obtiennent gain de cause. L’équipe féminine pourra toucher une prime même si elle termine à la deuxième, ou la troisième marche du podium – les joueuses obtiennent aussi un congé de maternité payé, une indemnité de départ, et des nounous payées pour les joueuses qui avaient des enfants en bas-âges. Une petite victoire pour les cadres qui réintègrent l’équipe avant les Jeux Olympiques.
« Je veux représenter les femmes qui n’ont pas de voix. Le sport féminin et le point de vue des femmes ont beaucoup changé. Cependant, nous avons encore du chemin à parcourir. La bataille n’est pas terminée. Nous sommes toujours victimes de discrimination. » Michelle Akers
Le premier tournoi féminin de football de l’histoire des olympiades se déroulent sans accrocs pour les locales. Revanchardes face à la Norvège, elles s’imposent au bout des prolongations en demi-finale, un match dans lequel Akers inscrit son seul but du tournoi sur penalty. Les Américaines ravissent l’or, le 1er août 1996, contre la Chine. Une victoire historique qui permet au football féminin de se faire une place durable dans le paysage sportif américain.
« Elle était prête à mourir sur le terrain. »
Légende de la sélection américaine, Mufasa n’a pas connue le même succès en club. La faute à l’absence de ligue professionnelle structurée dans les années 1990 dans son pays, elle décide de s’exiler en Europe. Recrue phare du Tyresö FF, elle évolue en Suède de 1990 à 1994. Dans ce championnat professionnel, elle peut s’épanouir pleinement grâce à son sport, mais les blessures vont vite la rattraper.
Son corps va lui poser de sérieux problèmes dès le début de sa carrière. En 1991 elle découvre qu’elle souffre du Syndrome de fatigue chronique. Constamment fatiguée par l’effort physique à répétition, elle se voit obligée de mettre un masque à oxygène après certains matchs. Malheureusement, elle est aussi victime de plusieurs blessures. Elle expliquera plus tard qu’elle a fait « plus de quarante [opérations] », ce qui l’empêche aujourd’hui d’être aussi sportive que par le passé. « Je ne peux plus courir, c’est sûr, mais je peux toujours être active ».
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La Coupe du monde 1999 aux États-Unis sera la dernière fois que l’attaquante américaine foulera les pelouses internationales. Du haut de ses 33 ans, Akers va jeter ses dernières forces pour aider son pays à conquérir un deuxième sacre mondial. Repositionné au milieu de terrain, elle est la colonne vertébrale de cette équipe. Buteuse en demi-finale contre le Brésil de Marta – son douzième et dernier but en Coupe du monde – elle emmène les États-Unis au Rose Bowl Stadium de Pasadena pour son ultime défi. Dans un match accroché, les Américaines butent contre des Chinoises bien organisées. Toujours au coude à coude après la fin du temps réglementaire, les deux sélections vont se départager aux tirs au but.
Privées d’Akers, sorti sur blessure en prolongations, les Stars and Stripes s’offrent le Graal devant une foule en délire. Michelle Akers savoure une dernière fois, malgré la fatigue. « Je ne saurai jamais comment j’ai atteint le podium pour la remise du trophée, mais je suis content de l’avoir fait, explique-t-elle. Être là avec l’équipe a été un moment tellement intense, tout comme la scène qui a suivi lorsque j’ai vacillé hors de la scène et que la foule a commencé à scander ‘Akers ! Akers ! Akers ! ». Ce succès à domicile va définitivement propulser le football féminin dans une autre dimension aux États-Unis. Mais il marque aussi la fin d’une carrière riche en succès pour la Californienne qui raccroche les crampons un an plus tard. Son corps a dit stop.
Le sélectionneur américain, Tony DiCicco, encensera sa joueuse après la finale, un ultime hommage qui définit l’impact de la serial buteuse américaine sur son sport. « Les fans ont eu le plaisir d’être témoin aujourd’hui de l’une des plus grandes athlètes féminines de l’histoire. (…) Michelle Akers m’inspire, et je sais qu’elle fait la même chose pour tous les autres membres de l’équipe« . Élue joueuse du siècle aux côtés de la Chinoise Sun Wen, en 2002 par la FIFA, elle est pour beaucoup l’une des plus grandes légendes du football féminin. En 2007, elle a donné un nouvel élan à sa retraite en créant un refuge pour chevaux maltraités, au nord d’Atlanta, où elle profite pleinement de sa nouvelle vie loin des terrains de football.
Sources :
- Charlie Carmichael, Michelle Akers: The “warrior” who changed the face of U.S. soccer, Givemesport
- Ken Shulman, ‘Let’s Move On This’: The ’99 U.S. Women’s National Team’s Fight For Equality, WBUR News
- Scott Hanson, She was America’s first women’s soccer star. Now, Michelle Akers has gone from goals to foals, The Seattle Times
- Mark Connoly, Akers the straw that stirred U.S., ESPN
Crédits photos : Icon Sport