Edito. Entre les récents exploits de Liverpool face à Barcelone et de Tottenham face à l’Ajax, la remontada est désormais devenue monnaie courante. Mais est-ce si grave ?
Le 25 mai 2005, j’avais 9 ans. Et tel un garçon de 9 ans qui a école le lendemain, je suis allé me coucher aux alentours de 21h30. Logique, me direz-vous. C’était un soir de finale de Ligue des champions et j’avais été autorisé à voir le match. Mais à la mi-temps, Liverpool était mené 3-0 par le Milan AC. « Bon Sam tu vois bien que c’est terminé, ça ne vaut pas le coup de te coucher si tard pour un match qui n’a plus d’enjeu », m’a alors dit mon père. Terrible. Le lendemain matin, au petit-déjeuner, mon papa, se sentant un peu coupable, m’a décrit dans les moindres détails ce que j’avais manqué. La réduction de l’écart de Gerrard, le but de Smicer, et l’égalisation de Xabi Alonso. La séance de tirs-au-but ? J’avais l’impression d’y être. Grâce aux mots de mon père, j’ai pu visualiser l’arrêt de Dudek sur la tentative de Chevtchenko. J’ai alors ressenti ne serait-ce qu’un dixième de ce que j’aurais pu ressentir si je n’étais pas allé dormir. Je me suis juré de ne plus jamais aller me coucher en plein match. C’était l’une des premières « remontada ». Oui il y en avait eu avant. Juventus-Manchester United en 1999, Milan AC-La Corogne en 2004, par exemple. Mais je ne les ai pas vécues. Et nous voilà le 9 mai 2019, au lendemain d’un énième retournement de situation historique, en finalement peu de saisons.
Oui, quelque chose a changé, et selon moi depuis le 8 mars 2017. Depuis que Neymar, face au PSG, a montré que l’issue d’un match ne devenait inchangeable qu’au coup de sifflet final, une chose a changé : ces scénarios que nous n’aurions pas pu imaginer, hantent désormais nos pensées. Pas seulement les nôtres, mais aussi celles des joueurs. Et c’est peut-être ce qui explique qu’il y ait eu tant de remontées similaires au 6-1 en l’espace de deux saisons. En 2012, jamais je n’aurais pu envisager que Liverpool infligerait 4-0 à Messi et Suarez après avoir perdu le match aller 3-0. Jamais. A 2-0 pour l’Ajax hier soir, je visualisais déjà les duels entre Mané et De Ligt ou entre Ziyech et Robertson. Mais dans un coin de ma tête, une petite voix raisonnait et disait « Attention ». Forcément, ce qui devait arriver arriva.
La remontada peut perdre de sa valeur tant elle arrive de plus en plus souvent. Mais pour moi, non. La preuve en est cette saison européenne. Qui s’est dit « Oh non, encore ? » après la qualification de Tottenham hier soir ? Je n’ai pas vu de telle réaction. Et pourtant, avant ça, il y a déjà eu l’Ajax à Madrid, l’Ajax à Turin, Ronaldo contre l’Atletico, Manchester United contre le PSG… Moi je l’aime cette nouvelle tendance, ce temps des remontadas.
Divock Origi a marqué un doublé en demi-finale de ligue des champions alors que l’année dernière il luttait pour le maintien de Wolfsbourg en Bundesliga. Cette phrase a-t-elle besoin d’être commentée ? C’est juste fabuleux.
Un courant de pensée émerge en ce moment selon lequel la saison que nous vivons est loin d’être la plus qualitative et qu’il n’y a pas de raison de s’enflammer. Nous avons tous une philosophie favorite. Il y a évidemment des équipes qui sont bien plus agréables à regarder jouer que d’autres. Mais je ne comprends pas que certains se privent de certaines émotions par pessimisme. Ne regardons-nous pas le football pour être chamboulé ? Ne regardons-nous pas le football pour être témoin de scénarios que nous n’aurions jamais osé imaginer ? Je suis fan d’Arsenal, je vous laisse déduire mon taux de compassion et d’attachement pour le club de Tottenham. Et pourtant ce soir, après la qualification des Spurs, une partie de moi n’était pas triste ou jalouse. Pourquoi ? J’ai été témoin de l’écriture d’une page de l’histoire de notre sport favori. Et c’est cette sensation qui a pris le dessus. Peu importe la manière. Lucas Moura a inscrit un triplé du pied gauche en demi-finale de Ligue des champions pour éliminer l’équipe qui pratiquait sûrement le plus beau football cette édition 2018/2019. Et j’en fus émerveillé ! C’est ça le football. Il est cruel, mais imprévisible.
« Mais que se passe-t-il ? », me suis-je demandé à voix haute au moins 50 fois entre mardi et mercredi devant ma télé. Voyez-vous, ce sentiment qui me parcourt le corps quand je prononce cette phrase est mon émotion préférée dans le football. Il n’y a, selon moi, rien au-dessus de ça. Finalement, je pense être avant tout un supporter du football plus que de mes équipes favorites. Mais je suis persuadé que nous le sommes tous quelque part.