Le Torino, bien qu’aujourd’hui dans l’ombre de son voisin bianconero, possède une histoire glorieuse. Avant de jouer les seconds rôles en Série A, les grenats ont tutoyé les sommets. Dans les années 1940, le « Grande Torino » était considéré comme la plus grande équipe d’Italie. Un conte de fée auréolé de plusieurs scudetti consécutifs, stoppé net par un drame aérien, le 4 mai 1949.
A l’été 1939, alors qu’un conflit planétaire va bientôt voir le jour, un homme d’affaires italien décide d’investir dans son club de cœur : Le Torino F.C.
Ferrucio Novo, industriel et ex-joueur de football, prend les rênes de l’écurie Turinoise pour en faire un grand du football européen. Pour ce faire, le président du Toro décide de sortir des sentiers battus. Exit la gestion sportive des géants Intéristes, Juventini et consorts, Novo souhaite du neuf. Il se rapproche pour cela des écuries anglo-saxonnes. Les grandes manœuvres ainsi lancées, le club se marginalise de ses confrères nationaux. Dans ses rangs, une majorité de techniciens ayant été éduqués à l’école anglaise du football.
Dans les années 1930, cette école anglaise est symbolisée par un nom : Herbert Chapman. Entraîneur d’Arsenal, il met en place dès les années 20 une tactique basée sur une défense à 3, résolument défensive, mais qui fait ses preuves outre-manche. L’ancêtre du catenaccio s’exporte rapidement au Torino, avant de séduire toute la péninsule.
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En plus d’une révolution tactique, Feruccio Novo se donne les moyens de ses ambitions. Après avoir échoué en tant que joueur, il souhaite faire du Torino F.C le plus grand club d’Italie. Pour cela, il recrute à prix d’or les plus grands espoirs du football italien.
En seulement deux fenêtres de mercato, l’équipe Piémontaise voit arriver dans ses rangs plusieurs « cracks ». Parmi eux, une doublette d’attaquants emblématique. Valentino Mazzola (118 buts en 196 matchs) et Ezio Loik (70 buts en 176 matchs) viennent garnir les rangs des Tori.
Au début des années 1940, l’équipe rêvée et construite par l’architecte Feruccio Novo prend forme. Elle se hisse petit à petit comme une ombre menaçante dans le dos de sa voisine. L’avènement de cette génération dorée a lieu lors de la saison 1942-1943. En glanant un scudetto et une coupe d’Italie au nez et à la barbe de ses voisins du Nord. le Torino s’érige en véritable outsider et démontre qu’il faudra compter sur lui les années suivantes.
« Il Grande Torino »
Le 10 juin 1940, l’Italie s’engage dans le second conflit aux côtés des puissances de l’Axe. Benito Mussolini, comme bon nombre de dirigeants, prédit une « guerre éclair ». Il décide donc d’exempter du front tous les footballeurs professionnels, estimant qu’ils sont « déjà au service de l’armée du football ».
En 1944, le gouvernement italien, voyant son pays meurtri par les bombardements alliés, prend plusieurs mesures. Alors que les américains ont débarqué en Sicile et avancent vers le Nord de la péninsule, l’arrêt du championnat est décidé. Afin d’éviter de voir leurs joueurs partir servir à l’étranger, les clubs italiens font preuve de malice. Le Torino, sponsorisé par FIAT, fait par exemple employer ses joueurs dans les usines de la marque automobile, faisant ainsi participer les concernés à l’effort de guerre . Ce stratagème permet non seulement aux équipes de conserver leurs joueurs, mais aussi de faire naître, de façon éphémère, des championnats régionaux.
En 1945, le football reprend ses droits partout en Europe. Le championnat de guerre s’est soldé par le premier titre national de La Spezia, alors que de nombreuses équipes sont amputées d’une partie de leur effectif.
Le Torino, qui a réussi à conserver l’ensemble de ses joueurs, se présente comme le favori légitime pour le titre, à l’aube d’exercice 1946-1947. Avec une équipe rodée et un système de jeu avant-gardiste, le Toro marche littéralement sur le championnat en cette deuxième moitié de décennie. En remportant 4 scudetti consécutifs entre 1946 et 1949, le club grenat s’impose comme la plus grande équipe de l’après guerre en Europe. Il Grande Torino marque l’histoire de son sport en s’adjugeant au passage quelques records :
- Victoire la plus large de l’histoire de la série A : 10-0 face à Alessandria
- Record de matchs sans défaite : 88, entre 1943 et 1949
- Record de buts sur une saison : 125, en 40 matchs et durant la saison 1947-48
Oubliés sont la Juventus, l’Inter Milan ou le Milan AC durant cette période d’après-guerre. Le plus beau jeu est produit au Torino et les meilleurs joueurs s’y illustrent. Autre preuve de cette domination, lorsque l’Italie aligne son 11 aux Jeux Olympiques d’été 1948, ils sont 9 joueurs Tori inscrits sur la feuille de match, un record en la matière. Le sélectionneur de l’époque, Leslie Lievesley, déclarait : « ils n’ont pas besoin d’entraîneur. Ces garçons récitent le football à merveille ».
2 tacticiens : Ernest Erbstein / Leslie Lievesley
Peu avant la guerre, Feruccio Novo confie la direction sportive du club à un tacticien étranger : Ernest Erbstein. A sa prise de fonction, le hongrois s’attelle à bâtir une équipe ultra offensive, composée des talents de toute la Péninsule italienne. Au même moment, alors que la Seconde Guerre mondiale ne va plus tarder à éclater, Benito Mussolini promulgue les « Lois Raciales ».
Cette série de mesures interdit notamment à tout juif d’exercer nombre de professions sur le sol italien. Marqué par l’étoile jaune, Erbstein doit très rapidement quitter son poste et s’exiler en Hongrie. Capturé lors d’une rafle, il est par la suite interné dans un camp de travail proche de Budapest. Échappant aux premières vagues de déportation, il s’enfuit avant d’être conduit au camp d’Auschwitz-Birkenau. Il rejoint clandestinement l’Italie, grâce à l’aide de Ferruccio Novo. De retour à son poste à la fin de la guerre, Erbstein choisit l’anglais Leslie Lievesley, ex-sélectionneur de l’Italie, pour s’occuper de la formation turinoise. Éduqué à l’école anglo-saxonne, le technicien, passé par United et Crystal Palace, voit le football par le prisme de l’attaque.
Ensemble, le duo met fin au mythe du catenaccio, système basé sur une assise défensive solide, ancré dans le football italien. En jouant un football résolument plus offensif, le Torino pulvérise le record de buts inscrits sur une saison, marquant 125 fois en seulement 40 journées. Aujourd’hui, seul le Milan AC s’en est approché, atteignant 118 buts deux saisons plus tard.
Gala funeste
A la fin de la saison 1948-49, Francisco Ferrara, capitaine du Benfica et de la sélection portugaise, se retire des terrains. Il souhaite affronter une grande équipe avant de tirer sa révérence. Ami avec le capitaine turinois Valentino Mazolla, ils décident ensemble d’organiser une rencontre amicale à Lisbonne, pour célébrer les adieux du joueur portugais.
En partance pour la capitale portugaise : 18 joueurs du Torino, 6 dirigeants, 3 journalistes et 4 membres d’équipage. Seuls Feruccio Novo, le président, et deux joueurs, Renato Gandolfi et Sauro Tomà, blessés, ne font pas le voyage.
Programmé au stade olympique de Lisbonne, le jubilé rassemble près de 40 000 supporters lusitaniens. Sur le terrain, deux des meilleures équipes au monde et un match prolifique qui voit les locaux prendre le meilleur sur les turinois. Score final : 4-3.
Le jour suivant, les italiens prennent le chemin du retour, à bord d’un avion Fiat G-212. Au départ de Lisbonne, le soleil radieux ne laisse pas entrevoir les difficultés météorologiques à venir. A 16h55, Le soleil a laissé place à un épais brouillard et à des vents violents. L’avion s’apprête à atterrir à l’aéroport de Turin. Un échange avec la tour de contrôle enregistré à 16h59 indique : « Altitude 2000 mètres, prenez par Pino. Ensuite, coupez par la colline de Superga ». Puis, le néant. 1, 2, puis 3 et 4 minutes sans aucune réponse.
A 17h05, l’avion, qui volait à très basse altitude, sans aucune visibilité au-delà de 100 mètres, s’écrase contre la basilique de Superga, dans la périphérie de Turin. La colline, perchée à seulement 670 mètres de haut, voit voler en éclat le destin d’une génération dorée, qui aura marqué l’histoire du football italien. L’aumônier, présent au même moment dans la basilique, témoigne : « j’ai entendu un grondement, très proche. Puis un choc, comme un tremblement de terre. Ensuite, le silence. Jusqu’à ce qu’une voix crie « un appareil s’est écrasé ! ».
En cause : un altimètre défaillant quand l’avion perdait de l’altitude, une météo désastreuse et un pilote prisonnier d’éléments contraires à la bonne tenue d’un vol.
Les secours, rapidement dépêchés sur les lieux, ne peuvent que constater les dégâts. Au milieu des débris d’avion, les corps décédés des 31 personnes montées à bord.
« I caduti di Superga »
« Les tombés de Superga », voilà ce que titre la presse italienne au lendemain de la catastrophe. Dans une ville ayant perdu ses enfants, difficile de compter la masse populaire rassemblée pour les obsèques de ces héros. Officiellement, ils furent 500 000, certains disent un million, à se rassembler 2 jours plus tard devant le duomo de Turin, pour assister aux funérailles des 31 victimes.
Qu’ils furent supporters de la Juventus ou du Torino, fans de football ou non, italiens, anglais ou français, l’évènement frappa de plein fouet. Tous vécurent cet évènement comme une tragédie personnelle.
Dans un élan de solidarité, l’ensemble des équipes de Série A décide de terminer le championnat avec ses réservistes. Pour ne pas désavantager le Torino, solide leader du championnat avant le drame. Cette saison-là, les grenats remportèrent un 5ème titre de suite, dédié aux disparus du crash.
Cette catastrophe sonna la fin du « grande Torino ». Le club assista, impuissant, à la montée en puissance de son voisin juventino au cours des années 1950. Depuis, seule éclaircie dans la pénombre grenâte, un scudetto glané en 1976, avant un retour dans le ventre mou du championnat italien.
Aujourd’hui, les Italiens n’ont pas oublié. En 2008, à l’occasion du 59ème anniversaire de la tragédie, s’est ouvert à Turin le musée du « Grande Torino et des légendes grenâtes ». Entre ses murs sont exposés des restes de l’avion, mais aussi les effets personnels des joueurs. Nombreux sont ceux à venir s’y recueillir. L’histoire, quelque peu oubliée en France, demeure ancrée dans la mémoire collective italienne.
Sources :
- Papirus, « Il grande Torino e la tragedia di Superga : storia del calcio », YouTube, 4 octobre 2016
- Alex bourouf, « Le Gran Torino et la tragédie de Superga », Old School Panini
- Sacha dahan, « Egri Erbstein, le professeur divin », Les Cahiers du football, 18 décembre 2014
- Benoit Taix, « Retour sur la tragédie de Superga et le mythe du Grande Torino » La Grinta, 22 avril 2018
Crédits photos : Icon Sport