11 juillet 2021, 23h55, Wembley : l’Italie est sacrée championne d’Europe, trois ans après la terrible déconvenue de San Siro contre la Suède, privant la Squadra de Coupe du monde en Russie. Cependant, ce n’est pas l’image de Chiellini soulevant la coupe qui marquera les esprits, mais bel est bien celle de l’accolade, l’abbraccio, entre Gianluca Vialli et Roberto Mancini, tous deux en larmes suite à l’arrêt décisif de Donnarumma sacrant l’Italie aux dépens des Anglais.
De leur Scudetto gagné avec la Sampdoria lors de la saison 1990-1991, à la désillusion de Wembley en 1992 jusqu’à leur plus beau succès en cet été 2021, l’amitié et la complicité entre Gianluca Vialli et Roberto Mancini résistent au temps et aux aléas de la vie.
Des débuts précoces et prometteurs
La saison 1981-1982 est une saison noire pour Bologne, à l’issue de laquelle résultera une relégation en Serie B. Seul point positif : l’éclosion d’une pépite, pur produit de la formation bolognaise, Roberto Mancini. Un gamin de 16 ans, qui éblouira de ses éclats la saison du club d’Emilie Romagne. En faisant ses débuts en Serie A le 6 septembre 1981 face à Cagliari, il devient le 6e plus jeune joueur à fouler les pelouses du football transalpin. Son bilan à l’issue de cette première saison chez les professionnels est très encourageant : 30 matchs de Serie A et 9 buts. C’est pourquoi l’été suivant, le président de la Sampdoria, Paolo Mantovani, décide de débourser 4 milliards de lire – soit un peu plus de 2 millions d’euros – et 4 autres joueurs en échange, pour acquérir le jeune attaquant d’à peine 18 ans.
En parallèle, Gianluca Vialli fait ses débuts en Serie B sous les couleurs de la Cremonese en septembre 1981. Lors de ses trois saisons dans l’antichambre de la Serie A, Vialli sera en constante progression. Après ses 5 buts lors de sa première saison débuts, il en marquera 8 la saison suivante, puis 10 lors de la saison 83-84. Des performances qui lui permettent de devenir le meilleur buteur de son club qu’il réussira à faire monter en Serie A. L’attaquant est désormais considéré comme un des futurs grands joueurs du football italien et son nom attire tous les grands clubs de la Botte. A la fin de la saison 83-84, la Juventus, son club de cœur depuis toujours lui fait les yeux doux pour l’attirer.
Malgré les appels de Trapattoni, alors entraineur des Bianconeri, Vialli se fera convaincre par un joueur de la Sampdoria de seulement 20 ans qu’il a rencontré en équipe nationale U-21. Un jeune avec qui il se lie tout de suite d’amitié et qui, lors de chaque rassemblement de l’équipe espoir, tente de le convaincre de le rejoindre chez les Blucerchiati en lui vantant la beauté de la ville et leur beau projet de reconstruction après les années de pénitence en Serie B. Ce jeune homme n’est autre que Roberto Mancini. Même si le choix de refuser la Juventus est difficile, Vialli décide de rejoindre la Sampdoria à l’été 1984 et de faire équipe avec son ami qui lui distribue déjà passes décisives sur passes décisives chez les jeunes italiens.
Les deux hommes, bien que très complémentaires sur le terrain, ne se ressemblent pourtant en rien en dehors. Ils n’ont comme point commun que l’âge, la rage de vaincre et le talent. Pour tout le reste, rien. Vialli est extraverti et Mancini réservé. Le premier arrive à l’entrainement en pyjama pour contester la décision de Boskov, entraineur de la Doria, d’anticiper l’entrainement à 11h. Alors que le second arrive en équipement complet à 10h30 déjà. C’est sur ces différences de caractères que se bâtit leur relation, encore plus forte que jamais plus de trente ans plus tard.
Les belles heures de la Samp
Il y a quelques années, le défenseur central et international italien Moreno Mannini décrit, en caricaturant, le jeu des Blucerchiati comme une sorte de « trois passes et buts », soulignant l’importance que Boskov donnait au fait de relancer rapidement depuis la défense afin de trouver Mancini ou Vialli dos au but, pour décaler le second, qui finissait seul devant le gardien. La Sampdoria du technicien serbe était une équipe extrêmement verticale, peu axée sur la possession du ballon, et qui cherchait, dès que possible, ses deux attaquants, capables d’échanger leurs rôles en pointe du 4-4-2 tout au long du match.
Sur le papier, Vialli était l’homme de surface, capable tant de finir en renard des surfaces que de déclencher des appels tranchant dans la profondeur, l’homme étant très habile balle au pied. Mancini, lui, était considéré comme la seconda punta – le second attaquant, tournant autour de Vialli – tant en mesure de servir son compagnon d’attaque que d’armer des frappes puissantes et précises de l’extérieur de la surface. Les deux hommes étaient capables de recevoir le ballon dos au but et de le couvrir, pour gagner de précieux coups de pieds arrêtés afin de faire remonter leur équipe, ou simplement de permettre un décalage vers les latéraux. « Nous étions différents mais très soudés. Nous sommes devenus « i gemelli del gol » pour notre entente devant le but. » déclarera Mancini à la Rai avant l’Euro 2020.
Cette tactique, certes caricaturée, mais diablement efficace, permit à la Sampdoria durant les années 80-90, d’écrire la plus belle page de son histoire. Emmenée par le duo Mancini-Vialli et orchestrée par Vujadin Boskov, la Doria rafle 3 Coupes d’Italie (1985, 1988, 1989), le titre de champion d’Italie (1991), ainsi que 3 finales européennes (1989, 1990, 1992). Lors de la saison 1990-1991, celle du Scudetto couronnant la reconstruction parfaite de la Doria, le duo marque 31 des 55 buts de la Samp. 12 pour Mancini et 19 pour Vialli, ce dernier finissant d’ailleurs meilleur buteur du championnat. Un duo dévastateur et en harmonie : Il Mancio dans le rôle du Maestro et Gianluca Vialli dans celui du finisseur.
Les deux hommes développent une relation fraternelle et deviennent quasiment inséparables. Comme deux frères, ils avaient parfois eux aussi leurs désaccords. Comme raconté par Gianluca Pagliuca, gardien de la Sampdoria à l’époque, quand durant un match, Vialli reprochait à Mancini de ne pas l’avoir servi, se jugeant dans une meilleure position pour marquer. Alors, « ils ne se parlaient plus pendant une semaine, en s’appelant par leur nom de famille comme si ils ne se connaissaient pas. Puis, cela se résolvait tout seul, évidemment ».
Si un match devait illustrer la carrière et la relation des « gemelli del gol », au-delà de la terrible désillusion de Wembley en 1992 et cette défaite en finale de la Coupe des Clubs Champions contre le FC Barcelone, il s’agirait de la finale de la Coupe des Coupes – ancienne C2 – gagnée une année plus tôt contre le RSC Anderlecht, à Göteborg, par 2 buts à 0. L’équipe belge décide de jouer avec un bloc bas, regroupé dans ses 16 mètres et d’attendre les offensives des Blucerchiati. A tel point que ce soir là, sur le terrain, il n’existe qu’une seule équipe. Durant 90 minutes, le match est un assaut guidé par le numéro 10, Roberto Mancini. Cependant, Vialli ne fait pas preuve de réalisme et la finale est prolongée de deux fois quinze minutes. A la 105e minute, suite à une invention du Mancio, Salsano frappe sur le poteau. Le ballon reste dans les 5 mètres belges et se retrouve dans les pieds de Gianluca Vialli : 1-0 pour la Sampdoria. Juste après la pause, le festival de Mancini continue : débordement sur la droite et centre déposé sur la tête de son numéro 9 qui inscrit son doublé, 2-0 et match bouclé, la Sampdoria gagne son premier, et à ce jour seul, titre européen.
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A la fin du match, tous les flashs et micros sont adressés à Gianluca Vialli, désigné – injustement – homme du match, malgré sa prestation décevante à l’exception de ses deux buts marqués. Un journaliste du Guerin Sportivo s’approche de Mancini et lui dit : « Je pensais que Boskov avait sorti Luca (Vialli) ». Mancini rigole et rétorque : « Luca est le numéro 1, il est toujours là où il faut quand il faut, la preuve aujourd’hui. Pour moi, délivrer une passe décisive c’est comme marquer ». Encore aujourd’hui en regardant les almanachs, la seule statistique visible est le doublé de Vialli ; mais Mancini et tous les amateurs de football savent que la vérité est bien souvent oubliée des statistiques. C’est pourquoi dans la conscience collective et malgré les 204 buts en carrière du Mancio, Il Bomber sera toujours son grand ami Gianluca Vialli.
La Nazionale : Acte I
En équipe nationale, Mancini est lancé par Bearzot en 1984 à seulement 19 ans. Mais, suite à des problèmes disciplinaires il ne sera plus rappelé avec la Squadra jusqu’en 1986 et la reprise du flambeau par Azeglio Vicini. Il marque son premier but en sélection lors de l’Euro 1988, auquel il a risqué de ne pas participer pour des déclarations tumultueuses envers le corps arbitral en cours de saison avec la Samp. Son but contre l’Allemagne en phase de groupe marque certainement le sommet de sa carrière internationale. En effet, bien que convoqué pour la Coupe du Monde 1990, il ne joue pas une seule minute ; Giuseppe Giannini, maitre à jouer de la Roma, lui étant préféré. Même sort sous la tutelle d’Arrigo Sacchi : Baggio lui est préféré en rôle de numéro 10, cantonnant Mancini à un rôle d’avant centre auquel il n’est pas habitué. Ses sous-performances lui vaudront une exclusion de la liste pour la Coupe du Monde 1994, aux dépens de Gianfranco Zola.
Pour ce qui est de Vialli, sa carrière en Azzurro est faite de hauts et de bas. Comme Mancini, il fait ses débuts sous la houlette de Bearzot, en 1985, alors âgé de 21 ans. Il sera sélectionné pour la Coupe du Monde 1986, comme étant le remplaçant de Bruno Conti sur le côté droit de l’attaque. Malgré 4 entrées en jeu, il ne marquera pas le mondial mexicain de son empreinte. Avec l’Italie de Vicini, il devient un incontournable de l’attaque italienne, qui lui vaudra d’être dans l’équipe-type de l’Euro 1988 malgré l’élimination en demi-finale contre l’Union Soviétique. Cependant, suite à une Coupe du Monde à domicile ratée en 1990, durant laquelle il est freiné par des pépins physiques, il restera écarté du groupe pendant près d’une année. Il décide alors de mettre un terme à sa carrière internationale suite à sa non-sélection pour le mondial américain de 1994, où il est dépassé dans la hiérarchie par Giuseppe Signori et Pierluigi Casiraghi.
L’absence de trophées avec la Squadra Azzurra est probablement le plus grand regret des deux amis. Le Mondial à domicile en 90 est encore un événement difficile à accepter, particulièrement pour Mancini sur le plan individuel : « A la veille du premier match, Vicini vient me voir et me dit que je serai la surprise, la révélation du mondial. Ce n’était que des mots en l’air : sur 7 matchs, je n’en ai joué aucun, même pas 10 minutes, même pas la finale pour la 3e place. » Paroles auxquels il ajoute, plein de rancœur concernant le choix de faire jouer Baggio à sa place : « Vicini a fait ça juste parce que je jouais à la Sampdoria et pas dans un club politiquement plus fort (en l’occurrence la Juventus) et Vicini n’a jamais été un homme courageux ».
Si les Gemelli del gol ont marqué les années 80-90 de leur empreinte, il est étonnant de noter qu’aucun sélectionneur de la Nazionale n’aura compté sur la complémentarité et le succès du duo de la Sampdoria, pourtant si performant en club. Après la défaite à Wembley en 1992 contre le FC Barcelone, la Sampdoria entre dans une longue phase déclin. Le départ de Vialli l’année suivante à la Juventus – où il gagnera sa première Ligue des Champions – celui de Boskov à la Roma et celui de Mancini à la Lazio en 1997 marquent la triste chute du club jusqu’à sa relégation en 1999.
Les retrouvailles
La route des deux amis est restée séparée depuis lors. Vialli, après son aventure bianconera, s’en va en Angleterre, à Chelsea, où il termine sa carrière de joueur et commence sa brève carrière d’entraineur, jusqu’en 2002. Mancini de son coté, après une pige de 3 saisons à la Lazio, prendra sa retraite à Leicester lors de la saison 2000-2001, lors de laquelle il ne jouera que 4 pauvres matchs. Puis, sa deuxième carrière commence, celle d’entraineur où il brille et enchaîne les plus grands clubs européens : la Fiorentina, la Lazio, l’Inter, Manchester City, Galatasaray, un bref retour à l’Inter, avant de filer au Zenit. Le 14 mai 2018 marque son retour en l’équipe nationale, mais cette fois-ci en tant que sélectionneur.
De son côté Gianluca Vialli n’est pas au mieux et la maladie a failli les séparer en 2018, quand l’ex buteur raconte dans un live qu’il souffre d’une tumeur au pancréas. Suite à quoi, il disparait des radars durant une année et demie afin de se soigner. A son retour, Vialli annonce, fortement amaigri, qu’aucun signe de rechute n’apparaît, cependant la bataille est encore longue. Dans un documentaire sur la Rai, il déclare : « Je ne me bats pas contre le cancer, parce que je ne pense pas que je serais capable de le gagner, c’est un adversaire beaucoup plus fort que moi. Le cancer est un compagnon de voyage indésirable, mais je ne peux rien y faire. Il est monté dans le train avec moi et je dois continuer, voyager la tête basse, ne jamais abandonner, en espérant qu’un jour cet hôte indésirable se lassera et me laissera vivre en paix pendant de nombreuses années encore, car il y a encore beaucoup de choses que je veux faire ».
C’est alors que son ami de toujours, Roberto Mancini, lui propose de mener la longue reconstruction de l’équipe italienne à ses côtés. Plus de 20 ans plus tard, les deux compères se retrouvent enfin, sur le même banc et avec une seule ambition : remporter une compétition avec la Squadra, ensemble. « On n’a pas grandi ensemble, mais quasiment. C’est une entente qui va au-delà de l’amitié. Il est comme un frère ».
Wembley, Acte II. 29 ans plus tard, les deux frères l’ont fait. Après 34 matchs sans défaite, la Squadra Azzurra remporte l’Euro 2020 et est de retour sur le devant de la scène européenne. Dans cette accolade larmoyante, il y a plus qu’une simple victoire ; il y a 40 ans d’amitié et un combat contre la maladie. Au-delà de cette reconstruction, ce sont les retrouvailles de deux anciens coéquipiers, deux amis, deux frères, qui ont enfin atteint leur objectif : ramener un trophée à l’équipe d’Italie. De Wembley 1992 à Wembley 2021, du mondial raté en 1990 à celui en perspective l’année prochaine, il n’y a qu’un pas. Un pas que les deux amis tenteront de franchir, encore une fois, ensemble.
Sources :
- Minuti di recupero, « Mancini e Vialli, dalla Samp alla Nazionale: storia di un’amicizia ultradecennale« , 2021.
- Montanari Marco, « Tutto in un abbraccio », Guerin sportivo, numéro 9, septembre 2021.
- Pérèz Jean-François & Delomez Gauthier, « Euro: Gianluca Vialli et Roberto Mancini, deux inséparables en finale« , Europe 1, 2021.
- Storiedicalcio, « 1990 – Mancini: « Vicini? Un cieco in panchina« , 2015.
- Tossani Michele, « Come eravamo: la Samp di Vialli e Mancini« , la Gabbia di Orico, 2020.
- Zara Furio, « Vialli e Mancini: storia di un’amicizia tra gol, trionfi e dolori« , GQ Italia, 2019.
Crédit photos : Icon Sport