France-Brésil : une affiche de rêve qui rappelle de merveilleux souvenirs à tous les passionnés de football et des Bleus. Évidemment, le match de la première étoile, un soir de juillet 1998, est inoubliable. La démonstration de Zidane face à Ronaldo et compagnie en 2006 est aussi entrée dans la légende. Pourtant, et si le plus beau France-Brésil de l’histoire datait plutôt de la Coupe du Monde 1986 au Mexique ? Remontons le temps pour revivre un quart de finale exaltant qui fut parfois qualifié de « match du siècle ».
« Vas-y mon petit bonhomme !!! » Cette exclamation d’encouragement basculant aussitôt dans la joie et l’allégresse, signée du regretté Thierry Roland, a marqué des générations d’amoureux du football français. 21 juin 1986 à Guadalajara. Dans un stade Jalisco tout en jaune en fusion, Luis Fernandez vient d’offrir la qualification et un bonheur inouï à des milliers de Français. Comme un retour d’enfer après le drame de Séville en 1982, les Bleus ont cette fois dompté le destin pour sortir vainqueurs d’un match absolument invraisemblable. Cette année-là, ils terminent la compétition à la troisième place, égalant leur performance de 1958.
Alors, ce Brésil-France n’est certes qu’un quart de finale de Coupe du Monde. Mais, pour beaucoup, c’est déjà « la finale avant l’heure ». À cette époque, la bande à Platini est au sommet de son art. Après une quatrième place à la Coupe du Monde 1982, les Français ont en effet remporté, à domicile, l’Euro 1984. En 1986, après trois Ballons d’Or successifs remportés, Michel Platini est le meilleur joueur du monde, placé sur un pied d’égalité avec Diego Maradona. La France fait donc logiquement partie des favorites à la victoire finale.
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Pour arriver jusqu’en quart de finale, les Bleus se sont sortis avec maîtrise d’un groupe à leur portée. Après une victoire étriquée contre le Canada (1-0) puis un nul contre l’ogre soviétique (1-1), les hommes d’Henri Michel ont facilement disposé de la Hongrie (3-0).
En huitième de finale, c’est un choc qui attend déjà l’équipe de France, avec un duel contre l’Italie, championne du monde en titre. La Squadra Azzura ne résiste pas à la force du collectif bleu qui se qualifie sans aucune discussion possible (2-0).
C’est alors le Brésil qui se dresse. Le Brésil, c’est toujours une montagne. Mais encore plus en 1986. À cette époque, une génération dorée court après un sacre mondial qu’elle ne parviendra jamais à décrocher. Ces Auriverde là n’en restent pas moins légendaires : Socrates, le frère aîné de Raï, Zico, surnommé « Le Pelé blanc », Careca, Muller, Junior, Josimar… Quelle équipe ! Son premier tour se conclut par trois victoires, face à l’Espagne (1-0), l’Algérie (1-0) et l’Irlande du Nord (3-0). En huitième, la Pologne, pourtant troisième du Mondial 1982, est balayée (4-0). C’est simple, en quatre matchs, les Brésiliens n’ont donc encaissé aucun but…
Le « Joga Bonito » contre le « carré magique »
Ce quart de finale se déroule sous les yeux de 65 000 spectateurs presque tous acquis à la cause du Brésil. Il est vrai que le Mexique est tout proche de l’ancienne colonie portugaise. De plus, les onze Brésiliens ont joué leurs quatre premiers matchs dans ce même stade, à Guadalajara. Ils évoluent donc réellement à domicile.
Et cette Seleçao du sélectionneur Tele Santana porte encore, à l’époque, le « Joga Bonito », le beau jeu, comme emblème national. Il ne s’agit pas que de gagner, mais de développer un football attractif, offensif, emballant, presque romantique.
Pourquoi cette rencontre face à la France a-t-elle tant marqué les esprits ? Car les Bleus, depuis 1982, sont également réputés pour la qualité du jeu qu’ils proposent. Surnommés « les Brésiliens de l’Europe », ils font rêver par l’élégance et la flamboyance de leur jeu offensif. Celui-ci est porté par un milieu de terrain d’exception, surnommé « le carré magique ». Des joueurs de légende le composent : Michel Platini, Alain Giresse, Jean Tigana et Luis Fernandez.
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C’est un hymne au beau jeu et au football qui se déroule alors dans le stade Jalisco baigné d’un éclatant soleil. Il n’y a que des stars sur la pelouse, même si Platini et Giresse jouent blessés la compétition. Côté brésilien, c’est le cas aussi pour Zico, qui débute chaque match sur le banc. Qu’importe. Les deux équipes vont se rendre coup pour coup et enchaîner les périodes de domination avec une multitude d’occasions à la clé.
Sur le terrain, le niveau de jeu est grandiose et la qualité technique phénoménale. Dès les premières minutes, Platini et Giresse réussissent un une-deux entre deux Brésiliens aux abords de la surface. Le ballon revient ensuite sur Manuel Amoros dont la frappe lourde flirte avec le poteau.
Puis les Auriverde ne tardent pas, non plus, à se mettre en évidence. Socrates est trouvé dans la surface mais Joël Bats, le portier français, bouche bien l’angle sur sa frappe. Les Sud-Américains accélèrent. Se lancent dans de merveilleux mouvements collectifs. Donnent naissance à un chef-d’œuvre.
On joue la 17e minute et les Français ne voient plus le ballon. Trouvés entre les défenseurs, Junior et Muller enchaînent un double une-deux qui déséquilibre la défense tricolore en une fraction de seconde. Aussitôt, d’une passe aveugle de l’extérieur, Careca se retrouve tout seul dans la surface. Sa frappe lourde sans contrôle en pleine lucarne ne donne aucune chance à Bats.
1-0. Après 20 secondes d’anthologie, c’est l’explosion dans les tribunes. Les artistes brésiliens ont pris l’ascendant. À la demi-heure de jeu, Careca est trouvé en profondeur sur une longue ouverture. Il fausse compagnie à Maxime Bossis puis centre à ras de terre au second poteau. Arrivant comme une bombe, Muller voit sa frappe heurter le montant, qui sauve l’équipe de France.
Les Bleus sont-ils alors au fond du trou ? Pas du tout. Car cette équipe a de la ressource. Et des certitudes. À la 40e minute, Giresse est servi au milieu de plusieurs adversaires par Amoros. Sans contrôle, il lance Dominique Rocheteau sur le côté droit. Celui-ci centre en première intention. Dans les six mètres, Yannick Stopyra se jette pour couper la trajectoire et ne parvient qu’à heurter de plein fouet le gardien carioca, Carlos. Michel Platini, au deuxième poteau, a bien suivi et égalise du plat du pied dans le but vide. 1-1. Platoche, le jour de son 31e anniversaire, marque son 41e (et dernier) but en équipe de France. Grâce à son jeu collectif et à son étoile, les Bleus reviennent à hauteur à la pause.
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Des rebondissements invraisemblables et une intensité folle
En seconde période, les vingt-deux acteurs haussent encore le rythme. Les Bleus mettent le pied sur le ballon. Devant la surface, Jean Tigana s’appuie sur Rocheteau qui lui remet aussitôt. D’une dévastatrice accélération, Tigana pénètre dans la surface, mais bute sur le gardien. Dans la foulée, les Brésiliens contre-attaquent. Junior décoche une frappe lourde que Bats repousse difficilement des poings.
Ça va dans tous les sens, à mille à l’heure. Et Zico, « le Pelé Blanc », fait alors son apparition sur la pelouse. Dans la foulée, à la 66e minute, Careca envoie une tête sur la transversale tricolore. Pas de chance pour les Cariocas.
« Cette impression que le ballon ne sortait jamais du terrain », Maxime Bossis.
De chance, il n’y en a pas besoin moins de dix minutes plus tard. C’est le moment où Zico voit Branco lancer un appel tranchant dans le dos de la défense française. D’une merveille d’extérieur du pied, celui dont le vrai nom est Arthur Antones Coimbra sert parfaitement son coéquipier dans la surface bleue, 25 mètres plus loin. Bats a déjà bondi, mais ne peut éviter l’accrochage avec le Brésilien. Pénalty incontestable pour les Sud-Américains.
On joue la 75e minute de jeu. Zico a l’occasion de redonner l’avantage aux siens, à un moment crucial de la partie. Il s’élance… mais Bats part du bon côté et repousse sa tentative. À dix minutes de la fin, un nouveau centre brésilien trouve le même Zico esseulé dans la surface. Mais son duel avec Bats tourne encore à l’avantage du Français qui repousse d’un arrêt réflexe génial la tête à bout-portant de la légende carioca.
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Ce jour-là, Joël Bats réalise le match de sa vie. Comme chaque grand gardien, il a tout : le talent et la réussite. Grâce à lui, alors que son équipe tangue face aux vagues brésiliennes, le score demeure inchangé. Les Français poussent leurs adversaires à disputer la prolongation.
« Tout est question d’intuition et de chance. Lorsqu’on a la baraka, on ne se pose pas de question et, contre le Brésil, je l’avais », Joël Bats.
France-Brésil 1986 : l’anti-Séville
Durant les prolongations, la France reprend le jeu à son compte. Rocheteau s’empare de la balle au milieu de terrain et percute dans l’axe. « L’Ange Vert » efface trois défenseurs avant de pénétrer dans la surface. Sa frappe puissante est contrée in extremis.
Seconde période de la prolongation, Platini est trouvé dans le rond central. Ce dernier a déjà vu Bruno Bellone, rentré en jeu depuis peu, lancer un appel tranchant en profondeur. Sans contrôle, le n°10 français sert parfaitement son avant-centre. Totalement seul, ce dernier se présente face au gardien brésilien qui s’élance hors de sa surface telle une furie. Le portier auriverde plonge alors sur Bellone qui a fait un crochet extérieur pour éviter sa sortie. Toutefois, l’attaquant français est heurté par Carlos dont le geste, volontaire, vise uniquement à le plaquer au sol. Déséquilibré, le Français reste sur ses jambes pour tenter de continuer à jouer le ballon, mais l’intervention du gardien laisse le temps aux défenseurs de dégager leur camp.
Coup franc pour la France ? Carton rouge pour Carlos, auteur d’une évidente faute d’antijeu en position de dernier défenseur ? Rien de tout cela. L’arbitre du match, M. Igna, ne siffle même pas faute. Comment alors ne pas repenser à l’attentat de Schumacher sur Battiston, en 1982, lors de la demi-finale de Séville entre la RFA et la France ? Heureusement pour Bellone, la tentative du Brésilien pour l’arrêter est bien moins rude et sauvage que celle employée par le gardien allemand quatre ans plus tôt…
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Après 120 minutes de jeu, le score est toujours de 1-1. Les deux équipes vont devoir jouer leur qualification pour les demi-finales aux tirs au but. Ce n’est que la deuxième fois de l’histoire de la Coupe du Monde qu’un match à élimination directe se termine ainsi. La première fois, c’était cette fameuse demi-finale de Séville de 1982, avec la France, déjà.
L’ambiance dans le stade est devenue irrespirable. Côté bleu, une seule hantise évidemment : que le drame de Séville, après que la victoire soit passée si près, se répète.
« Quatre ans auparavant, on avait été éliminés aux tirs au but. On avait peur que le même scénario se reproduise », Maxime Bossis.
Et là aussi, le scénario de cette séance de tirs au but va faire entrer ce France-Brésil dans la légende. Dans les cages, Joël Bats prend une place phénoménale. Pourtant, le premier tireur qui s’élance face à lui, c’est Socrates, un spécialiste. Le Brésilien ne prend que deux pas de recul, s’élance lentement, place une frappe forte à mi-hauteur sur le côté gauche. Un pénalty imparable… que Bats, dans un état de grâce, repousse malgré tout ! Rien ne peut arrêter les Français. Yannick Stopyra, l’un des plus jeunes de l’équipe, ne tremble pas : les Bleus prennent les devants (1-0).
Zico, Platini… et Fernandez
Puis, montrant à nouveau le grand joueur qu’il est, Zico se présente devant ce gardien à qui tout réussit et transforme son pénalty. À ce moment, la France mène la séance 2-1, car si Alemao a transformé sa tentative, Amoros s’est également montré costaud.
Voilà le tour de Bruno Bellone… qui personnifie à lui tout seul la réussite française du match. Les Brésiliens ont frappé deux fois les montants tricolores pendant la partie, Bats a fait des miracles… Bellone, lui, frappe en force en bas à droite. Le ballon heurte le poteau pour rebondir contre la tête de Carlos, parti du bon côté, avant de rentrer. Ce jour-là, les dieux du foot semblent avoir choisi leur camp !
Quoique… Quelques instants plus tard, après que Branco ait transformé son pénalty (3-3), c’est Platini qui se présente dans la surface. Le Français est l’un des joueurs les plus expérimentés, les plus doués balle au pied. Il mettrait 9 coups francs à vingt-cinq mètres sur 10 en lucarne… Pourtant, ce jour-là, son ballon tiré des onze mètres s’envole dans les gradins ! Même les légendes restent des hommes, capables de rater à tout moment.
Grâce à l’échec du joueur de la Juventus, le Brésil revient à hauteur. Le puissant défenseur Julio César est le dernier tireur de son équipe, qu’il peut placer en tête de nouveau…Mais sa frappe en force, déviée peut-être par le regard de Bats parti dans la bonne direction, s’écrase contre le poteau avant de sortir du cadre ! Nouveau retournement de situation dans un match de légende qu’aucune des deux équipes ne mérite de perdre.
Reste que c’est Luis Fernandez qui se présente devant Carlos pour le pénalty décisif. S’il marque, le joueur du PSG envoie la France en demi-finale. Thierry Roland, dans sa cabine de commentateur, retient son souffle, à l’instar de milliers de Français. « Allez mon petit bonhomme… Ouiiiii !!!! » D’un contre-pied parfait, Fernandez envoie tous les siens au paradis.
Quatre ans après la désillusion de Séville, la France plonge dans l’ivresse après cette victoire et ce match d’anthologie entre deux des plus belles formations de l’histoire du jeu. Platini peut prendre Fernandez dans ses bras pour une étreinte restée célèbre. Selon certains, dont le roi Pelé, France-Brésil 1986 est même « le match du siècle ». Si ce n’est pas certain, on n’en est pas très loin.
Un niveau de jeu incroyable, des joueurs de légende, un football offensif et collectif magnifique, une intensité folle et des retournements de situation incessants… Les arguments ne manquent pas pour qualifier ce match de 1986 de plus beau France-Brésil de l’histoire. Les Bleus de Platini finiront finalement troisièmes du Mondial mexicain, après avoir de nouveau buté sur la RFA en demi-finale.
Sources :
- « Rétro : France-Brésil (Coupe du Monde 1986), le match du siècle ! », lequotidiendusport.fr
- Laurent Vergne, « 21 juin 1986 : le temps s’est arrêté à Guadalajara », eurosport.fr
- Frédéric Hervé, « RÉTRO. Le jour où la France a remporté le « match du siècle » », ouest-france.fr
- Fiche officielle du match Brésil-France du Mondial 1986, fifa.com
- « La Symphonie Inachevée – Maxime Bossis », Lepodcastdeslegendes.com
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