Entre les passionnés de football, ce genre de débat est éternel : qui est le meilleur joueur de l’histoire ? La meilleure équipe ? Le plus beau but ? Concernant les Coupes du monde, les différences d’opinion sont cependant en général moins tranchées. De l’avis de beaucoup, le Mundial 1970 au Mexique est en effet considéré comme la plus belle Coupe du monde de l’histoire. Remportée par le légendaire Brésil de Pelé, elle a marqué les esprits et les cœurs de milliards de fans du ballon rond. Retour sur les raisons qui font de ce Mondial 1970 le plus magnifique de tous.
1970. Le Mexique accueille la neuvième édition de la Coupe du monde de football. Une compétition plébiscitée, par tous les passionnés qui l’ont vécu et beaucoup des suivants, comme la plus belle de l’histoire.
Si cette édition a laissé une telle trace, c’est d’abord parce qu’elle est le symbole d’un football qui, à l’époque, entre de plain-pied dans la modernité. Au niveau des règles du jeu tout d’abord avec l’autorisation des remplacements. Celle-ci est en fait née dès 1958. Toutefois, à l’époque, ce remplacement ne peut intervenir qu’en cas de blessure. Depuis 1967, un deuxième remplacement sans motif impérieux devient possible pour les seize équipes engagées au Mexique.
Celles-ci découvrent également une nouvelle règle qui, comme les changements, fait aujourd’hui pleinement partie de l’univers d’un match de football : l’instauration des cartons. C’est en effet lors de la Coupe du monde 1970 que les arbitres obtiennent le droit de distribuer des cartons jaunes (avertissements) et rouges (exclusions). Le souvenir des mondiaux précédents, rugueux et durs, sont en fait encore dans toutes les mémoires. En 1966, Pelé avait effectivement été découpé par les défenseurs bulgares puis portugais, au cours d’une compétition remportée par l’Angleterre à la maison.
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La FIFA souhaite donc davantage protéger les joueurs en 1970… enfin dans un sens. Car si l’édition mexicaine fait basculer le sport-roi dans une nouvelle ère, c’est aussi parce que c’est le premier mondial retransmis en direct en mondovision ! Avec cette innovation, la FIFA et les diffuseurs souhaitent toutefois d’abord s’assurer l’audimat le plus élevé possible (avec les recettes qui vont avec). Il faut donc programmer les matchs aux heures où le plus de téléspectateurs peuvent se trouver devant leur écran. Ainsi, pour que le public européen, après sa journée de travail, puisse regarder son match à 20 heures, les parties sont programmées en conséquence au Mexique.
Résultats : au détriment de la santé des joueurs, les matchs se déroulent à midi, sous le redoutable cagnard centraméricain… Cela n’empêche pourtant pas le spectacle d’être au rendez-vous, et les téléspectateurs du monde entier n’en perdent pas une miette. Ils profitent, en plus, de matchs en couleur, une révolution ! Pour la finale, le 17 juin 1970, un milliard de téléspectateurs à travers le monde suit cet événement à ne rater sous aucun prétexte. Grâce au petit écran, le Mundial 1970 s’est mué en symbole d’un sport devenu universel, rassemblant les passionnés du monde entier dans une communion planétaire.
Le joueur du siècle pour la plus belle Coupe du monde de l’histoire
Si le Mondial 1970 reste le préféré de tant de supporters à travers la planète, c’est parce qu’il forme en fait une apothéose. Celle de la carrière du meilleur joueur de football de tous les temps : Pelé.
De son vrai nom Edson Arantes do Nascimento, le regretté Pelé est en effet considéré par beaucoup comme le meilleur footballeur de l’histoire. Déjà champion du monde en 1958, à 17 ans, puis en 1962, il est en 1970 à l’apogée de sa carrière. Star planétaire auteur de plus de 1 000 buts, il est l’image même du jeu et de tout ce que ses adeptes aiment : la créativité, l’explosivité, la technique, la puissance, le sens collectif, l’état d’esprit irréprochable. C’est simple : le numéro 10 brésilien a tout. Il est « le Roi Pelé ».
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Après le Mondial 1966 où le Brésil, double tenant du titre, avait été piteusement éliminé au premier tour, Pelé avait décidé de prendre sa retraite internationale. Mais deux ans plus tard, il revient sous la tunique auriverde, avec une mission : remporter de nouveau la Coupe du monde. « Je devais finir sur une victoire » dira plus tard Pelé. En cet été 1970, il est en mission, au sommet de son art. Devant le monde entier, il laisse une trace indélébile qui explique l’aura du Mondial mexicain. Pelé ne se contente en fait pas de jouer au football. Il le réinvente, l’érige au rang d’art.
Au total, il marque quatre buts lors de l’épreuve. En finale contre l’Italie, c’est lui qui ouvre le score d’une formidable tête. Mais au-delà de ces statistiques, ce sont ses actions d’éclats et de génie qui témoignent de sa grandeur et rendent ce joueur hors-norme immortel. Qui le transformait en véritable panthère qui planait, volait sur un terrain, échappant avec tant d’aisance à ses défenseurs.
Avec un premier geste d’exception dès le match d’ouverture du Brésil. En face, la Tchécoslovaquie ne sert que de faire-valoir (4-1). Pelé marque certes une fois, d’une magnifique amortie-reprise de demi-volée en pleine surface, mais c’est une action ratée que l’on retient finalement de lui. En première mi-temps, les Tchécoslovaques sont contrés par la défense brésilienne. Le ballon se retrouve à rouler dans le rond central, à l’intérieur de la moitié de terrain sud-américaine. Pelé ne le contrôle même pas. Il a tout vu avant tout le monde, et surtout que le gardien adverse est avancé.
Surprenant l’ensemble des joueurs, il laisse agir son instinct et frappe de toutes ses forces. En catastrophe, le portier tchécoslovaque se rue vers son but, levant la tête pour apercevoir ce ballon qui s’est élevé et prend la direction de ses filets… Mais la tentative de lob du milieu de terrain du Roi échoue finalement à quelques centimètres de son poteau. Qu’importe. En 1970, Pelé réalise des gestes que personne n’avait jamais osé tenter sur un terrain. Il invente. Il crée. C’est pour cela que le football est beau.
« Je me suis dit : il est fait de chair et de sang, tout comme moi. J’avais tort. », Tarcisio Burgnich, défenseur de l’équipe d’Italie en 1970.
Lors du deuxième match face aux champions du monde anglais, sa fameuse tête piquée est aussi entrée dans la légende. Puissante, rebondissant devant la ligne au ras du poteau, elle ne laisse aucune chance au gardien adverse, Gordon Banks. Le Roi crie d’ailleurs déjà « Goal !! ». Mais Banks se déploie à une vitesse extraordinaire et sort la balle d’une parade prodigieuse. Cela fera plus tard dire à Pelé cette formule restée célèbre : « J’ai marqué un but, mais Banks l’a arrêté ».
C’est ensuite en demi-finale, contre l’Uruguay, que la formidable créativité de Pelé crève l’écran. Lancé en profondeur, le Brésilien se présente seul devant Mazurkiewicz, le portier adverse, qui sort comme une bombe à sa rencontre. Alors, en un quart de seconde, Pelé invente la feinte du siècle. Lancé à pleine vitesse, il décide de laisser passer le ballon au lieu de le contrôler. Totalement pris de court, Mazurkiewicz voit la balle filer à sa gauche tandis que le Brésilien le contourne par sa droite.
Le monde entier, assistant à ce grand pont de génie sans même que la balle ne soit touchée, retient sa respiration. Observe Pelé redresser sa course, sprinter vers le ballon qui s’éloigne du but, armer sa reprise en pivot sans contrôle. Les défenseurs uruguayens reviennent, désespérés. Mais le Roi a déjà croisé sa frappe… qui meurt au ras du poteau opposé. Encore une fois, Pelé n’a pas marqué. Mais tout au long de ce Mondial 1970 de légende, il n’a cessé d’inventer, d’émerveiller. Si c’est la plus belle Coupe du monde de l’histoire, c’est incontestablement car le meilleur joueur de ce sport y a déposé son inoubliable empreinte.
Une Coupe du monde de légende de par son football offensif et son spectacle de folie
Pour comprendre pourquoi 1970 est la plus belle Coupe du monde de l’histoire, il suffit de regarder le casting de rêve présent au début de la compétition. Certes, quelques grandes nations manquent à l’appel (Argentine, Portugal, France…). Malgré tout, les talents qui foulent les pelouses mexicaines sont, pour beaucoup, des légendes de ce sport.
En plus de Pelé et des artistes brésiliens, les stars sont innombrables. Pour l’Angleterre, tenante du titre : le Ballon d’Or 1968 Bobby Charlton, son capitaine Bobby Moore ou son formidable gardien Gordon Banks. Côté allemand règne Franz Beckenbauer, le meilleur défenseur de l’histoire qui joue encore alors au milieu. Avec lui brillent le grand gardien Sepp Maier ou encore Gerd Müller. Celui-ci terminera d’ailleurs meilleur buteur du Mundial avec dix réalisations, à seulement trois petites unités du record absolu de 1958 de Just Fontaine. C’est simple, depuis, personne n’a jamais fait mieux que lui sur une édition de la Coupe du monde.
Parmi les autres stars, le Péruvien Cubillas ou le légendaire gardien soviétique Lev Yachine. L’Italie, championne d’Europe 1968, est également portée par une génération exceptionnelle, symbolisée par Sandro Mazzola, Gigi Riva ou encore Gianni Rivera. Alors, avec autant de talents sur le terrain, le spectacle ne peut être qu’au rendez-vous !
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Offensive, pleine d’allant et d’envie de jeu, cette édition 1970 rompt en fait avec l’époque, où les tactiques défensives sont déjà répandues. En 32 matchs, 95 buts sont inscrits, soit une moyenne record de 2,97 buts par match, la plus élevée depuis 1962 et encore depuis. La majorité des équipes joue avec 2 voire 3 ou 4 attaquants, sans parler des milieux offensifs. C’est le cas par exemple du surprenant Pérou, entraîné par la légende brésilienne Didi, double champion du monde 1958 et 1962.
Pour tous les fans de football, le show proposé est donc de toute beauté. Le hasard du tirage au sort a placé dans le même groupe le grand favori, le Brésil, et le tenant du titre, l’Angleterre. Le 7 juin 1970, les deux équipes se retrouvent donc pour leur deuxième match dans le magnifique Stade Jalisco, à Guadalajara. Chacune d’entre elle a remporté sa première rencontre.
Ce match, une finale avant l’heure, tient toutes ses promesses. Banks répond à Pelé en réalisant « la parade du siècle ». Mais c’est finalement le Brésil qui l’emporte malgré tout 1-0, grâce à un but de Jaïrzinho inscrit à l’heure de jeu. Le Brésilien réussira d’ailleurs un exploit jamais réédité depuis : en six rencontres, il marque six buts. Il est encore aujourd’hui le seul joueur à avoir scoré lors de tous les matchs d’un même mondial. Certains de ses buts, comme son coup du sombrero sur le gardien contre la Tchécoslovaquie, sont restés dans la légende de la compétition.
La plus belle Coupe du monde de l’histoire, symbolisée par « le match du siècle »
Dès les quarts de finale, c’est une pluie de buts qui déferle sur le Mexique. Ce dernier est d’ailleurs balayé par l’Italie 4-1, grâce à un doublé de Riva et un but de Rivera. Le Brésil n’est pas en reste et inflige presque le même score aux Péruviens (4-2). Entraînée par Mario Zagallo, champion du monde 1958 puis 1962, l’équipe auriverde est tout simplement sublime. Aux côtés de Pelé et de Jaïrzinho, c’est l’une des plus formidable génération de joueurs brésiliens qui s’exprime à 100 % de son potentiel.
Le capitaine et arrière, Carlos Alberto, est rapide et offensif. Dans l’entre-jeu, Gerson est l’un des premiers milieux modernes. Polyvalent, il est doté d’une qualité de passe rare et d’une frappe de balle surpuissante. À ses côtés, Clodoaldo et Rivelino émerveillent par leur technique. C’est d’ailleurs ce dernier qui ouvre le score dès la 11e minute face au Pérou. Devant, Tostão est une vraie perle, le complément parfait du Roi Pelé et de Jaïrzinho. Il inscrit un doublé face au Pérou et permet au Brésil de filer en demi-finale. C’est simple : la Seleçao remporte en réalité tous ses matchs lors de la compétition. Elle l’avait déjà fait pendant les éliminatoires du Mundial. Pour beaucoup, elle est tout simplement « l’équipe du siècle ».
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Toutefois, dans ce tour final, c’est l’équipe de RFA qui vit les matchs les plus dingues de la compétition. Son quart l’oppose à l’Angleterre, dans un remake de la finale de la précédente édition qui tient toutes ses promesses. Pendant une heure, ce sont les Anglais, guidés par le génial Bobby Charlton, qui font la loi. Ils mènent tranquillement 2-0 et le sélectionneur britannique décide alors de faire sortir son maître à jouer pour le reposer. Fatidique erreur. D’autant plus que Gordon Banks, victime d’une intoxication alimentaire, n’est pas là et que Bonetti, son remplaçant, n’est pas à la hauteur. Beckenbauer redonne ainsi l’espoir aux siens avant qu’Uwe Seeler, d’une improbable tête retournée lobant Bonetti, n’arrache la prolongation. Durant celle-ci, l’inévitable Gerd Müller, d’une reprise de volée à bout portant, offre la victoire à l’Allemagne (3-2).
Après cette « remontada » fantastique, la demi-finale sera encore plus dingue pour l’équipe de RFA. En face, l’Italie ouvre rapidement le score puis ferme le jeu, catenaccio oblige. À ce moment, aucun des acteurs ni des spectateurs ne savent qu’ils vivent là le « match du siècle ». L’intensité émotionnelle et dramatique de cette rencontre, élue comme telle en 1997, sera pourtant inouïe.
« Le match le plus haletant de l’histoire du football », pour le journal France-Soir, en 1970
Car, alors que l’Italie s’apprête à fêter sa qualification pour la finale, l’Allemagne arrache de nouveau la prolongation à la dernière seconde (92e) ! Dans la foulée, Müller donne même l’avantage à la Mannschaft (2-1, 94e). Mais ce n’est là que le premier retournement de situation d’une prolongation de folie. Blessé et souffrant d’une luxation à l’épaule alors que tous les changements ont été effectués, Beckenbauer refuse de sortir. L’image du « Kaiser » jouant avec son épaule strappée restera dans la légende de la Coupe du monde.
Tout le monde croit l’équipe italienne anéantie par le come-back allemand. Pourtant, elle égalise quatre minutes plus tard (2-2, 98e). Avant de reprendre l’avantage cinq minutes après grâce à une frappe de Gigi Riva (2-3, 104e) ! Puis, sur un corner, Müller, encore lui, prolonge une tête de Seeler et égalise de nouveau (3-3, 110e). C’est la fièvre dans les tribunes… Encore plus lorsque, dans la minute suivante, Gianni Rivera offre finalement la victoire aux siens (3-4, 111e) ! Le football est fou, le football est beau.
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Un grandiose sommet
Reste alors cette finale d’anthologie entre le Brésil et l’Italie, tous deux doubles-champions du monde. Chacun sait que l’équipe qui remportera ce match aura l’honneur de conserver pour toujours le Trophée Jules-Rimet. La finale n’est en fait que l’apothéose du magnifique jeu que les Brésiliens ont déployé tout au long de l’épreuve.
Car, si après l’ouverture du score de Pelé, les Italiens égalisent par Boninsegna, c’est bien à l’irrésistible envol des Auriverde auquel les 110 000 spectateurs du Stade Aztèque assistent. Il faut pourtant attendre la 66e minute pour que Gerson, d’une frappe imparable, ne libère les siens. Cinq minutes plus tard, c’est encore lui qui, d’une longue ouverture, trouve Pelé dans la surface. Ce dernier remise alors astucieusement le ballon de la tête. À la réception, Jaïrzinho pousse le cuir au fond des cages (3-1). Dès lors, le succès ne peut plus échapper aux Sud-Américains. Ne manque alors plus que l’apothéose d’un sacre incontesté et incontestable.
Celui-ci intervient à la 87e. S’amorce une action de légende qui donne naissance à l’un des plus beaux buts de l’histoire. Au milieu de terrain, Gerson passe à Clodoaldo qui, grâce à sa formidable technique chaloupée, dribble quatre joueurs italiens. Puis le ballon s’envole sur l’aile, trouve Jaïrzinho. Ce dernier percute, repique dans l’axe, trouve Pelé devant la surface. Devant lui, Tostão attire trois défenseurs. L’aile gauche est totalement libre. Alors, le Roi sent venir Carlos Alberto qui déboule de son couloir. Lui offre, comme une offrande, une merveilleuse passe aveugle. Le capitaine sud-américain ne se fait pas prier. D’une frappe croisée limpide et dévastatrice, il parachève le chef d’œuvre brésilien (4-1).
Alors, pourquoi l’édition 1970 est-elle la plus belle Coupe du monde de l’histoire ? Les raisons ne manquent en fait pas : les performances inoubliables de Pelé et du Brésil victorieux, la parade du siècle de Banks, les buts à la pelle, le match du siècle Italie-RFA… Faites votre choix. Le Mundial 1970 restera à tout jamais le symbole d’un football que tous les passionnés aiment : coloré, festif, offensif et source de mille émotions.
Sources :
- Chérif Ghemmour, « Pourquoi la Coupe du monde 1970 est la plus belle de l’histoire », Sofoot.com
- Alexandre Borde, « Mondial 1970 : la légende du siècle », Lepoint.fr
- Team Mouv’, « Brésil 1970 : retour sur l’épopée de la plus belle équipe de tous les temps », RadioFrance.fr
- Pelé, l’histoire de ma vie, Photographies et souvenirs du plus grand joueur de football, E/P/A, 2010
- Olivier Margot (sous la direction de), L’Equipe, la Coupe du Monde 1930-1970 (Livre I), édité par l’Equipe, 1997.
Crédits photos : Icon Sport