Stéphane Grichting est l’une des figures de l’AJ Auxerre au début du XXIème siècle. Défenseur intraitable, l’international suisse nous raconte tout de ses belles années, des exploits européens à la descente de l’AJA en passant par la légende Guy Roux. Retour sur le roc de l’Abbé Deschamps.
Pendant ton adolescence, l’AJ Auxerre signe un doublé Coupe-Championnat en 1996 et atteint les quarts de finale de Ligue des Champions, où elle est éliminée par le Dortmund de ton futur sélectionneur Ottmar Hitzfeld, en 1997. Comment voyais-tu cette AJA, depuis la Suisse ?
En Suisse, on est un peu au carrefour de tous les championnats. La partie germanophone suit énormément la Bundesliga, la partie tessinoise suit un peu plus la Serie A et nous, les Romands, on est bercés par la Ligue 1. En plus, comme notre championnat est très moyen, on a les yeux rivés sur le grand Marseille, le grand Paris, l’école de formation à la Nantaise de Coco Suaudeau…
Je savais déjà quasiment tout de l’AJ Auxerre quand j’ai eu des contacts avec, j’avais déjà une grande connaissance du football français. Je connaissais déjà une bonne partie de l’histoire de l’AJA. En plus, quand un entraîneur comme Guy Roux t’appelle, ça amplifie encore le truc.
Du coup, pour toi, quelle est l’épopée la plus marquante ? Celle de 1993 en Coupe de l’UEFA ou plutôt le quart de finale de Ligue des Champions en 1997 ?
Pour moi : 1997. Ils étaient dans le groupe de l’Ajax, des Grasshoppers et des Rangers ! En tant que Suisse suivant le foot français, on avait pu déjà les voir dans la vitrine européenne mais en allant aussi loin, ils m’ont marqué.
Tu dis que tu t’y intéresses encore plus quand l’AJA vient te chercher, avec cette fameuse anecdote de Guy Roux qui entend parler de toi dans un bar valaisan …
(il coupe) L’anecdote de Guy Roux, je pense qu’il y a eu un petit coup d’Alzheimer entre deux (il rigole). J’étais en fin de contrat au FC Sion, en 2002, j’avais plus de 100 matchs de Super League et j’avais été élu meilleur espoir suisse en 96-97 donc j’avais déjà pas mal fait de choses, gagné un titre, une Coupe de Suisse, disputé quelques matchs de Coupe UEFA … J’ai commencé jeune, à 17 ans, donc j’avais pas mal roulé ma bosse avant d’arriver à Auxerre. En 2002, je joue l’Euro Espoirs avec la Suisse qui organisait le tournoi. On avait dans notre groupe l’Angleterre, le Portugal et l’Italie, où on termine second avant de jouer une demi-finale contre la France (la Suisse perdra 2-0 en jouant à 10 plus de la moitié de la rencontre ndlr). On avait affronté Mexès, Boumsong, Landreau, Reveillere, le tout sous les yeux de Daniel Rolland, qui avait pris la succession de Guy Roux pendant son problème au coeur avant de revenir à la formation. J’avais fait un super match. J’étais déjà dans les radars de l’AJA et quand Auxerre cherchait un défenseur central francophone libre, j’étais sur la liste de Rolland. Guy Roux était consultant pour la radio à l’occasion de la Coupe du Monde, il est rentré le samedi et j’ai commencé l’essai le lundi.
Et au retour du camp, qui se déroulait en Suisse, à 10 minutes de chez moi, il m’a dit qu’ils me signaient pour 4 ans. Voilà la version non-revisitée. Vu que j’étais connu à Anzère, où avait lieu le camp, il a dû demander aux personnes qu’il croisait au bar s’ils me connaissaient. J’avais tout connu en Valais, quiconque suivait le football me connaissait, ils ont dû parler de mes qualités. À partir de là, Guy Roux a fait comme si c’était l’alcoolique du coin qui m’a fait venir à Auxerre.
On connaît beaucoup le côté de Guy Roux “à la recherche de pépites aux quatre coins de la France” mais c’est une autre facette de son génie d’aller faire confiance à un jeune venu d’un championnat moins connu ?
Je pense que le gros point fort de Guy Roux – et c’était propre à Auxerre – était qu’il préparait les remplaçants pour ses futures ventes. Moi, il m’a fait venir en prévision des ventes de Boumsong et Mexès par exemple. Il a déjà le remplaçant de Cissé avant sa vente à 20 millions chez Liverpool. Il avait toujours un coup d’avance et il savait mettre les joueurs dans les meilleures dispositions. Il me disait : “Tu as une année pour t’adapter, ne te mets pas la pression, monte en puissance et termine de te former”. Et ça, les clubs d’aujourd’hui ne le font plus forcément en France : ils vendent, ils vendent, ils vendent et puis ils vont acheter 5 joueurs avant de se rendre compte que ça ne colle pas forcément, l’année qui suit ils en remettent 2 sur le banc, ils en reprennent 3… Ils n’anticipent jamais.
Tout ça, c’était la force de Guy Roux. Bien sûr qu’on a la pression, quand on est jeune et qu’on découvre le championnat, mais il avait toujours ce coup d’avance et ça faisait la plus-value de l’AJA de l’époque.
En 2004-2005, vous atteignez les quarts de finale de Coupe UEFA en sortant l’Ajax de Sneijder, de Maxwell mais aussi le LOSC. Qu’est ce qui apporte plus de satisfaction à ce moment là, un grand d’Europe ou un concurrent français ?
La satisfaction provient du parcours en général. Jusqu’au moment où on perd 4-0 contre le CSKA (en quart de finale, le club russe finira par remporter la compétition, ndlr) et je ne joue pas le match car j’étais blessé. On fait un super match au retour où on mène 2-0 chez nous rapidement et juste avant la mi-temps un pénalty n’est pas sifflé. Un 3-0 à ce moment, ça pouvait tout changer, surtout qu’on les avait bien bousculés… Je ne retiens pas un moment particulier, mais la campagne ! On était formatés pour cette Europe, on allait deux ou trois jours avant dans le Morvan, il n’y avait pas de réseau donc on courait tous dans les cabines pour appeler nos familles, il faisait aussi froid dans les chambres que dehors … C’était vraiment des opérations commando, et pas une mise-au-vert dans un hôtel 5 étoiles comme le font certains clubs aujourd’hui. Ça nous a forgé et on a fait des campagnes fantastiques avec un vécu fou où on rééditait nos exploits alors que chaque année on nous donnait perdants !
Le championnat c’est ton pain quotidien, tu y penses tous les jours mais l’Europe… Tu dois te mettre dans des dispositions spécifiques ! Un entraîneur qui fait tourner l’effectif en disant “j’ai un match difficile en Ligue 1 le week-end prochain”, il n’a rien compris ! Tu fais 38 matchs ou des matchs de Coupe pour être en Champions League ou en Europa mais quand tu y es tu brades les matchs ? C’est pas possible… Soit tu bâtis ton contingent pour jouer les premiers rôles soit tu joues la dixième place, tu fais pas de matchs super excitants sauf quand tu joues Marseille ou Paris et point barre ! Nous, l’Europe, c’était l’Abbé Deschamps plein et des ambiances extraordinaires.
Toujours dans cette saison 2004-2005, vous gagnez la 5ème Coupe de France du club et tu marques, en quart-de-finale, à la dernière seconde pour envoyer l’AJA en prolongations…
(il coupe) C’était à Lens contre Boulogne ! Ils étaient quasiment promus en Ligue 2 donc c’était une équipe super performante, ils étaient en pleine bourre et en confiance. Le match était bizarre, super ouvert, on ne maîtrisait pas notre sujet et on prend un coup-franc, avec une frappe assez sèche. On essayait de revenir au score et le tout dernier corner; où tout le monde monte, la balle revient en cloche et je tente pied droit. J’arrive à marquer juste avant que l’arbitre ne siffle la fin du match. Luigi (Pieroni, ndlr) marque ensuite et ça nous envoie en demi-finale. C’était un but super important, à un corner près on ne jouait pas contre Sedan. Ca fait partie des petits moments qui forment les grandes joies.
En 2005, vous tombez au premier tour et en 2006-2007 vous allez en phase de groupe mais ça ne se passe pas bien. Est-ce que c’est la Coupe UEFA qui lance les années plus difficiles en championnat ou l’inverse, l’équipe étant moins forte, les prestations européennes deviennent plus compliquées ?
C’est l’année post-Guy Roux, où il est remplacé par Jacques Santini et où on est éliminés bêtement par le Levski Sofia. C’est des choses qui arrivent, aussi sur un fait de jeu qui était ridicule et anodin mais qui nous plombe. Il y a eu un moment aussi où on était à la limite des ventes, on venait de perdre Cissé, Mexès, Boumsong et Fadiga, qui était faussement parti à l’Inter. On a eu de bons joueurs qui sont arrivés mais ça a quand même moins bien pris. Et on changeait de standing, les joueurs déjà formés étaient d’un tel standing que lorsqu’on les perd, c’est difficile de les remplacer par des achats à 3, 5 ou 10 millions, Auxerre ne pouvait pas se le permettre. On a compensé ça par des joueurs “paris”, le club casse sa tirelire pour Pedretti, on récupère Akalé, Pieroni… On a juste eu une période plus creuse, on voit les périodes suivantes que le niveau est remonté. C’est quand même assez cyclique, quand tu n’as une grande puissance financière, tu dépends de beaucoup de paramètres et tu ne peux pas tous les maîtriser.
Le niveau est remonté, comme on le voit avec cette année 2010 où vous terminez 3èmes à un point de Lyon, en battant Sochaux à la dernière journée. À quel moment débute le cycle qui aboutit sur cette 3eme place ?
Il débute l’année d’avant. On a tout gagné en fin de championnat, on a enchaîné je ne sais combien de victoires à la suite. On perd juste le dernier match face à Nantes, alors qu’on était assurés de finir 8èmes. Mais il y a eu de belles victoires, notamment contre Lyon… Le groupe était injouable, dès qu’il était formé. Dans ces moments-là, le meilleur transfert à faire, c’est de garder tout le monde. C’est ce qu’a fait l’AJA. Tu rajoutes un ou deux joueurs à gauche, à droite, mais tu gardes le même groupe qui va mûrir ensemble.
On recommence la championnat et, après 3 ou 4 journées, on est derniers. Franchement, on était vraiment bons malgré les défaites. Et un soir, j’ouvre le Canal Football Club et Pierre Ménès parlait. Je peux te dire que ça m’a marqué. On lui demande ce qu’il pense du championnat après la trêve des équipes nationales et il dit “Tel et tel c’est bien ils peuvent jouer l’Europe” et il ajoute “la seule chose que l’on sait c’est que Grenoble et Auxerre vont tomber. C’est tout ce que je peux vous dire”. Et le mec dit ça après 4 journées de championnat ! Tout ça pour dire que le match d’après, on va jouer à Boulogne en faisant 0-0 alors qu’on doit gagner 10 fois ! Et dès lors, on enchaîne 13 ou 14 matchs sans défaite. Au bout de cette série on bat Montpellier chez nous et on glane la première place. Dès lors, on a traversé le championnat en étant 2ème. Quelques journées avant la fin on perd contre Lyon alors qu’on ne doit jamais perdre (2-1, ndlr), eux et Lille nous passent devant. Avec notre victoire face à Sochaux on récupère notre 3ème place lors de la dernière journée. Après un début catastrophique, on a su avancer et c’est propre à ces équipes qui doivent lutter avec les moyens qu’ils ont, des fois c’est du bricolage mais ça passe mieux qu’une base saine quelques fois.
L’une des particularités de ces deux saisons c’est que vous réalisez l’exploit de terminer le championnat avec moins d’un but encaissé par match à chaque fois : 35 en 2008-2009 et 29 en 2009-2010.
On était de loin la meilleure défense, on était hyper performants. On jouait avec Olivier Sorin qui était excellent; Jean-Pascal Mignot et Adama Coulibaly dans l’axe. Moi je jouais comme troisième stoppeur, mais à gauche, et c’est pas anodin ce que je dis parce qu’on jouait avec 3 stoppeurs et Hengbart, à droite, qui jouait quasiment ailier. Et c’est lui qui fait la différence contre Sochaux d’ailleurs. Moi, je ne passais jamais la ligne médiane comme ça on évitait le déséquilibre, Coulibaly comblait le vide à droite et Mignot restait central. On était vraiment monstrueux, les équipes en face de nous étaient dégoûtées. Des fois, ils n’avaient pas eu une occasion et, dès qu’on avait le ballon, on le donnait rapidement à Pedretti et il lançait en profondeur d’un long ballon. On était à fond dans notre schéma, au point que s’il ne marchait pas on était emmerdés car on ne savait faire que ça mais on terminait à 0-0 parce qu’on ne prenait pas de but derrière.
On revient sur la composition de cette défense : Mignot est là de longue date…
(il coupe) Mignot est déjà là au centre de formation bien longtemps avant mon arrivée, depuis ses 14 ans. En fait on était tous là depuis un bon moment. Il n’y a qu’un seul mot : complémentarité ! Chacun savait ce qu’il devait faire et ce que l’autre allait faire.
Il y avait un architecte de cette défense ?
Non, je ne pense pas. Si tu regardes bien, Jean-Pascal (Mignot, ndlr) c’est un aboyeur, Coulibaly on l’appelait “Popo la Police”, pas besoin de préciser pourquoi ! (il rit) Hengbart, il avait beaucoup d’expérience et une super capacité à se projeter vers l’avant sans pour autant être le gamin qui dit amen à tout. Et moi, j’avais 300 matchs de D1 entre la Suisse et la France, un Euro et une Coupe du Monde déjà… On avait Sorin qui nous canalisait énormément et Pedretti devant qui ne bougeait pas : c’était le triangle des Bermudes ! Le ballon arrivait vers l’attaquant et on ne le revoyait plus.
Comment s’est passée la transition entre Guy Roux et Jacques Santini ? La réaction du vestiaire a dû être spectaculaire.
La transition a été assez abrupte. Son annonce a eu lieu dans les vestiaires du Stade de France, pendant qu’on fêtait la Coupe de France remportée. Il est arrivé pendant qu’on faisait les cons en buvant du champagne et il a rassemblé tout le monde… Il a dit : “Voilà, j’arrête, je passe à autre chose”. C’est là qu’on l’a appris. Dans la foulée, il a nommé Santini avec Cuperly comme adjoint. C’est un sacré changement.
Guy Roux, c’est le mec qui chronomètre ses entraînements, très minutieux. On refait chaque jour l’exercice de la veille et, si on gagne le week-end, on recommence. Superstitieux et rigide, l’ancienne méthode, il parlait énormément, tout le temps même !
Et puis arrive Santini, qui n’arrivait pas à parler. On ne comprenait pas ses causeries d’avant match. Par contre, les entraînements sont hyper structurés, c’est toujours en relation avec l’adversaire, il y avait toujours un calcul par rapport à l’adversaire, à nos forces et à nos faiblesses. C’était hyper ludique et, personnellement, l’année 2006 est celle où j’ai le plus appris tactiquement. C’est d’ailleurs l’une de mes plus belles années en tant que footballeur : à chaque entraînement, je ne savais pas ce qu’on allait faire ! En fait, la transition est dans la lignée du club mais, niveau management, c’était le jour et la nuit. On s’en tire bien au final (l’AJA finira à la 6ème place mais 4ème ex-aequo au nombre de points, ndlr), on gagne tous les matchs à domicile.
Et la seconde transition, avec Jean Fernandez cette fois ?
Santini avait signé pour 3 ans mais ils l’ont remercié au bout d’une seule année, le fonctionnement différait trop de celui de Guy Roux et ce dernier a mis la pression pour qu’il parte. Ça n’allait pas au niveau de la communication, mais virer un entraîneur qui fait 6ème avec Auxerre, c’est culotté ! Avec Fernandez, on est revenus à un management à la Guy Roux, quelqu’un qui verrouille beaucoup et pour qui la meilleure attaque c’est la défense. Il est très pragmatique, pas de place pour la fantaisie avec lui ! Mais c’est quelqu’un d’hyper compétent et cohérent au niveau de son coaching. J’ai pu faire 5 ans avec lui, et ce n’aurait pas été possible si je n’avais pas adhéré. J’aimais la rigueur qu’il imposait, il y a eu des ratés mais on a toujours vécu une collaboration professionnelle et les résultats suivaient.
La campagne de Ligue des Champions en 2003 est mémorable mais quid de celle de 2010 ? Se qualifier, presque une décennie plus tard, pour un club comme Auxerre, c’est quelque chose !
En 2003, on se qualifie contre Boavista avec une belle carte à jouer tandis que quand on voit le tirage avec le Zenith on se dit “qu’est ce que c’est que ça encore…”. On a analysé leurs matchs et après 5 matchs ils n’avaient que des victoires avec 18 buts marqués et très peu encaissés. L’avant-veille, à Saint-Pétersbourg, on regarde toujours une mi-temps comme on le fait d’habitude : ils gagnaient 2-0 et on se disait qu’on allait en prendre 5. Ils étaient dynamiques, explosifs, chaque ballon dangereux finissait au fond, ils avaient même un Portugais transféré pour 30 millions !
L’équipe était tétanisée par l’enjeu, on prend le premier but après 2 minutes sur un centre. On se dit tous qu’il faut se remotiver, qu’on n’est pas venus en Russie pour ça… On s’est serré les coudes, en deuxième mi-temps on termine mieux qu’eux et à 1-0, on avait notre carte à jouer. Ils nous prenaient de haut et si on était dans notre prochain match, on n’allait rien encaisser. Au retour, on marque deux fois sur coups de pieds arrêtés et on se qualifie. Par rapport aux forces en présence, c’était un sacré exploit ! Et ça nous ouvre la voie pour le groupe de la mort en Champions League (le groupe G sera composé du Milan AC, du Real Madrid et de l’Ajax Amsterdam ndlr).
Quelle a été votre réaction lors du tirage ? C’est la satisfaction de tirer des gros ou l’envie de passer qui était prédominante ?
Pour nous, la grande hantise c’est de tomber dans un groupe assez fort pour t’emmerder mais sans prestige. Si le groupe est abordable, tu vises la seconde place, sinon tu joues des matchs de gala. Là on joue le grand Real, le grand Milan et le plus grand club des Pays-Bas. On a joué dans des stades mythiques et on a affronté des joueurs légendaires ! On peut se dire qu’on a affronté ces mecs-là et qu’on a offert ça à nos supporters. Mourinho, quand il a vu notre vestiaire, il pensait que c’était pour entreposer les ballons et ranger les cônes ! On était qualifiés et on méritait de jouer avec eux mais il y avait trois mondes à part entre nous.
En tant que défenseur, qu’est ce qui est le plus traumatisant : affronter le trio Ibrahimovic-Ronaldinho-Pato ? La jeune garde Emanuelson-Eriksen-Suarez ? Ou les galactiques Ronaldo-Benzema-Di Maria ?
Celui qui m’a le plus fait souffrir, et c’est un secret de polichinelle, c’est Ibra. C’est quelqu’un qui est hyper grand, technique, puissant, il saute haut, il est bon de la tête, c’est le pro des amortis… Quand on l’affronte, il n’a vraiment aucun défaut, tu ne peux rien faire quand il est en pleine possession de ses moyens ! C’est clairement celui qui m’a le plus fait baisser mon chapeau. J’ai joué contre Benzema ou contre Higuain, qui ont énormément de qualités, mais qui ne sont pas hors-normes. Ibrahimovic, il l’est. Suarez aussi m’en a fait baver mais dans un autre domaine. Ca te casse les couilles, ça te marche 600 fois sur le talon avec les crampons, ça te pousse, ça simule, ça te tient le maillot. Il y avait trop de vice. Au Real tu avais Di Maria qui allait à 2000, Benzema toujours bien placé et Ronaldo qui a les mêmes caractéristiques qu’Ibra. C’est mieux quand tu es avec ta bière le mercredi soir et que tu te dis “les défenseurs vont morfler ce soir !” Mais là, c’est toi sur le terrain. J’étais personnellement assez content au final de mes prestations.
Pour le public, c’était important de ramener une victoire de ce groupe de la mort ?
On a ramené une performance très bonne de San Siro, où on perd 2-0 contre le cours du jeu. On a été très bons, meilleurs même. Contre le Real, on a de vraies occasions et contre l’Ajax on n’a pas été bons mais on aurait dû glaner un point. On n’a pas forcément ramené un ou trois points à chaque fois mais je pense que tout le monde était satisfait de ne pas prendre 5 buts à chaque match ou de finir avec 0 point comme certains clubs français l’ont fait après nous. Mais je ne dirais pas de nom (rires).
Le match contre l’Ajax c’est quand même un sacré ascenseur émotionnel ! Tu fais un double sauvetage sur ta ligne, vous encaissez sur le corner qui suit et vous marquez le 2-1 ! C’était une soirée de folie, non ?
Ouais, clairement, c’était beau. On peut dire que ce n’est que contre l’Ajax mais ce sont des souvenirs en tant de défenseur qui marquent. Puis mine de rien, tu gagnes un match de Champions League, contre l’Ajax à l’Abbé Deschamps, à Auxerre, qui n’est pas une grande périphérie. Quand tu arrives à rendre un peu d’émotions sur un match comme ça, c’est vrai que ça te remplit doublement de joie ! J’ai voulu faire ce métier pour donner le meilleur de moi-même et puis pour, en étant à 100%, donner du bonheur aux gens qui viennent au stade, qui paient des abonnements pour nous voir.
J’ai aucun regret par rapport à mes performances, parce que j’ai toujours donné le 100% de ce que je pouvais donner. Des fois, ça ne suffisait pas. Des fois, j’ai été nul. Même très nul. Mais j’ai au moins essayé de donner le maximum de la nullité que j’étais à ce moment-là. De ce côté-là, je suis notamment fier parce que je suis parti d’Auxerre dans des conditions difficiles – le club fait tout faux la dernière année et tu descends – ça te met une espèce de cicatrice dans le cœur qui ne s’est toujours pas fermée, mais quand tu pars sur ça, que tous les joueurs de l’effectif se sont fait siffler et que les personnes viennent te voir, toi, pour te féliciter et t’embrasser, ça fait chaud au cœur.
Comment est-ce que tu expliques cette descente un peu curieuse, un an après la Ligue des Champions ?
Cette descente n’est pas curieuse. Dans le sport, et pas seulement dans le football, quand tu manques d’humilité, ça te revient comme un boomerang. Plus tu tires fort, c’est-à-dire moins tu es humble, et plus le retour est tonitruant et douloureux. Quand on a commencé le championnat, il y a tout de même eu – et je n’avais jamais entendu ça dans le foot français – un putsch pour qu’on destitue le président et que notre ancien président Bourgoin reprenne le club. C’est quand même mal engagé, quand tu dois faire un putsch pour reprendre un club et t’adonner à ce genre de pratiques.
La dernière année, des choses ont été très mal faites, beaucoup de joueurs ont été prolongés à prix d’or dans une optique de business, pour peut-être pouvoir les vendre. Du coup, de l’autre côté, ils n’avaient plus beaucoup de masse salariale disponible, donc ils allaient chercher des joueurs de Ligue 2 et de National. Si, avant, on parlait de seconds couteaux européens, quand un (Kanga) Akalé ou un Benjani arrivaient, là, il faut parler de troisièmes couteaux du championnat français. On est descendus de trois étages en standing. Je le disais toujours en rigolant, jusqu’à ce que ça se retourne contre nous : recruter majoritairement en Ligue 2 est le meilleur moyen d’y aller.
On assiste un peu à des destins croisés, puisqu’un autre club débrouillard est sacré champion lors de votre dernier match de Ligue 1. Est-ce qu’il y a une saison, parmi ton aventure auxerroise, où tu as rêvé de faire le coup qu’ils ont fait à Montpellier, d’aller surprendre tout le monde et arracher le titre ?
On a eu un match, un fameux match, où on a joué le titre, lors de l’année 2009-2010. On perd à Lyon, alors que juste avant on avait fait 0-0 contre Marseille qui était premier. Si on avait battu Lyon à Gerland, on serait revenus à un ou deux points de l’OM, et là, pour la première fois, dans la semaine qui précédait le match, on s’est mis la pression pour le titre : “Les gars, il reste quelques journées, on joue le titre !”
Du coup, on n’a pas gagné, après ça s’est mal enchaîné, mais après on finit 3èmes à six ou sept points de Marseille. C’est la seule fois où on y a pensé, parce qu’à part ça on était toujours super bien placés mais on n’a jamais été trop proche du premier. Il ne faut surtout pas oublier que, sur 10 ans, j’ai eu 7 fois Lyon champion ! C’étaient des extra-terrestres, ils achetaient tout le monde, ils avaient un budget de fou… ils étaient tout simplement au-dessus. On se battait pour la deuxième place.
Avec un petit budget dix fois plus petit que le premier, c’est difficile de régater pendant toute une saison. Pendant 6 mois, ça se fait, c’est une lancée, mais pendant tout le championnat, dès que tu as 2-3 blessés et 2-3 suspendus, c’est très dur de garder le niveau. Dans le football récent, les seuls à être partis d’aussi loin pour chercher le titre, c’est Leicester et Montpellier. Plus les journées passaient, plus on se disait “ils vont s’écrouler, oh tiens ils ont fait un nul, ils vont s’écrouler”… quand tu as le rouleau compresseur derrière et que tu as les arbitres contre toi, ça te fait vite sentir que tu n’es pas à ta place.
Autre chose qui se perd, c’est le fait que l’AJA est un club très apprécié, par toute une génération, ça fait partie du folklore.
Exactement, parce que c’est des belles histoires. Quand tu as David contre Goliath, à la base, tu es toujours pour David parce qu’il est toujours plus sympathique que le grand ogre. On a toujours eu ce “capital sympathie”, on a toujours eu plein de supporters qui venaient nous voir à l’extérieur, qui nous suivaient. C’était l’Auxerre que tout le monde aimait voir, parce qu’ils n’avaient pas ça dans leur club. Ils habitaient peut-être à 5 km de Lille, et ils aimaient venir nous voir à Lens, Boulogne, Metz, Nancy ou Lille parce qu’ils n’avaient pas ça avec leur club. Ils étaient Auxerrois dans l’âme, parce que c’était le modèle qui marchait, et qu’ils se disaient : “oh ouais, cette équipe me fait vraiment rêver, et ils ont pas de budget, ils ont rien, ils sont toujours à fond, ils sont toujours un peu atypiques donc c’est beau à voir jouer, comme quand Guy Roux a fait le 4-3-3 avec marquage à l’homme”. C’est des choses qui ne se voyaient plus à part en ex-URSS.
Stephane Grichting (Auxerre)
Guy Roux, aussi, avait cette aura…
Bien sûr ! Il y a toujours eu un effet Guy Roux. C’est tous ces mythes, avec le mec “un franc c’est un franc”, qui va gueuler sur le supporter qui rend pas le ballon, qui font que tu deviens sympathique pour l’opinion publique. Et ça, il faut qu’ils y reviennent, parce que si t’as un Chinois qui met 30 millions et que tu fais trois années comme ils viennent de faire, je pense qu’il va finir par couper le robinet et, déjà qu’avec ce qu’ils ont ça ne se passe pas bien, si en plus ils n’ont plus rien, ils vont finir par aller jouer contre Carpentras et je ne sais pas qui en National 1, 2 ou 3 ! Je parais négatif, mais à l’heure actuelle, on est plus près de ça que de l’AJ Auxerre au Stade de France soulever une Coupe ou de l’AJ Auxerre contre les Rangers en Coupe UEFA (sic).
Souvent, les antichambres ne pardonnent pas et des clubs passés à quelques points de la montée se retrouvent avec deux descentes d’affilée parce que les joueurs partent, les sponsors aussi et tout s’effondre…
C’est ça, et ça vient aussi d’un équilibre très précaire dans les petites équipes. Il suffit que ça marche bien, et tu finis à six points de la montée, tu perds ton attaquant parce qu’il a mis 18 buts, ton défenseur central parce qu’un club à côté met 500 000€ dessus, tu as deux joueurs qui faisaient la diff’ et qui ne la font plus, et t’es à la rue. Puis tu n’as pas de marge de manoeuvre, parce que c’est les petits clubs, tout le temps sur le fil du rasoir. Un équilibre, dans le football, c’est des déclics, six mois dans la galère pour tout à coup avoir l’étincelle, mais ça peut s’éteindre pour un rien : un entraîneur qui pète un câble, trois joueurs qui se mettent à dos l’entraîneur, et c’est déjà parti. Il y a beaucoup de paramètres que vous, de l’extérieur, vous voyez avec vos yeux, mais il y a surtout beaucoup de choses qui ne finissent jamais dans L’Équipe mais qui sont très négatives pour le groupe. On a vu un groupe s’entredéchirer pour des conneries. À ce niveau, tu essaies de tout mettre bien en place, mais il n’y a pas de garanties : c’est soit déclic, soit des claques.
Propos recueillis par Jonathan Tunik et Thomas Rodriguez