« Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que cela. » Aussi mythique que son auteur Bill Shankly, cette citation controversée semble avoir hanté bien trop longtemps le club anglais. Actuels champions d’Europe, un lien inextricable et inébranlable s’est noué au cours des années entre l’histoire de la ville, du club, de ses chants et de ses supporters car c’est dans un contexte bien particulier qu’est né l’emblématique You’ll Never Walk Alone des Reds.
Nous sommes à la fin du XIXe siècle et Liverpool « seconde ville de l’Empire » après Londres est prospère, riche, dynamique et au firmament de sa gloire. C’est ainsi, entre mouettes, chalutiers et dockers, que nait, en 1892, le célèbre club anglais. Les années 50, quant à elles, sont synonymes de musicalité. En effet, les airs enjoués des Beatles résonnent dans le port de la ville et l’emblématique You’ll Never Walk Alone voit le jour en 1945. Si initialement la chanson est composée pour la comédie musicale américaine Carousel de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, et semble porter un message de soutien aux familles des victimes de la Guerre, en 1963 Gerry and the Pacemakers, jeune groupe originaire de Liverpool, transforment le tube en hymne du Club. Depuis, la puissante rengaine résonne avec émotions dans les gradins d’Anfield.
Pour autant, de profondes mutations économiques touchent la ville entre 1970 et 1980 et le déclin de l’ère industrielle bouleverse son visage en profondeur. Le football devient un refuge pour oublier l’infortune.
YNWA : « un hymne à l’espoir », entre tragédie et solidarité
1960 – 1980 : Les années glorieuses
Si la ville s’est faite capitale de la misère, la club anglais connaît, quant à lui, de beaux jours.
L’arrivée de Bill Shankly, en 1959, transforme les Reds en champions européens.
Dès la saison 1961-1962, le légendaire manager permet au club de remporter, avec huit points d’avance, la seconde division et d’accéder dans l’élite. Le club monte alors rapidement en puissance. En 1964, puis en 1966, les Reds remportent le championnat anglais. Sur la scène européenne, Liverpool prend également du terrain, et remporte, en 1973, son premier trophée avec la Coupe de l’UEFA. En 1974, Bill Shankly rend les armes et son ancien assistant Bob Paisley est promu manager. Sa première saison sera l’unique sans trophée.
Dans les gradins, You’ll Never Walk Alone est définitivement adopté par les supporters et devient un symbole fort du club anglais. Les tempêtes, le vent et la pluie (« When you walk through a storm / Walk on through the wind / Walk on through the rain ») ne semblent nullement empêcher les supporters des Reds de les soutenir, dans les meilleurs moments, comme dans les pires, avec ardeur et passion. En 1971, pour la petite histoire, à l’ouverture du match l’hymne retentit dans les gradins, mais au bout de quelques secondes le lecteur de disque s’arrête brusquement à cause d’un problème technique. Nullement décontenancés et pensant là qu’il s’agit d’une initiative du speaker George Spehton, les supporters se donnent à coeur joie de terminer la chanson en playback.
Vous le comprenez, les années 1960 – 1980 sont de joyeuses et victorieuses années pour le club qui brille d’un éclat sans pareil aussi bien en Angleterre que sur la scène internationale.
Malheureusement, les années 1980 sonnent le glas de cette glorieuse période. En 1981, Bill Shankly meurt. Sa célèbre citation controversée, elle, restera et les plus superstitieux d’entre nous pourraient se demander si elle n’est pas le déclencheur des événements bien sombres que le club s’apprête à vivre.
De tragiques événements
Liverpool, alors encore au sommet de sa gloire, affronte en cette année 1985 la Juventus, au stade belge du Heysel. On pensait, à tort, qu’il s’agirait de la « finale du siècle ».
La vétusté du stade, le manque évident d’organisation et de sécurité de l’événement ainsi que la proximité des hooligans et des tifosi dans les gradins font rapidement virer la manifestation sportive au cauchemar. Les injures vont bon train du côté des hooligans britanniques et un fanatique va même jusqu’à bruler un drapeau italien. Bien que l’ambiance ne s’y prête point, l’hymne du club anglais résonne dans le stade donnant à cette journée un aspect encore plus funèbre.
Le simple grillage qui sépare les supporters est franchi par une dizaine d’anglais et alors que les deux camps s’affrontent à mains nues ou par lancées de pierres, la peur cède rapidement la place à la panique. Sous la pression, les grillages de séparation ainsi qu’un muret s’effondrent. Le drame est inévitable. Etouffées, piétinées, écrasées, 39 personnes périrent et plus de 450 sont blessées.
Ce lugubre événement fera prendre conscience de l’importance de lutter contre l’hooliganisme, sujet encore aujourd’hui au coeur des préoccupations. Suite à ça, tous les clubs anglais sont exclus de compétitions européennes pendant trois ans. Liverpool est doublement puni et est privé de coupes européennes pendant six saisons.
Le 15 avril 1989, un deuxième drame se reproduit pour le club des Reds, à Sheffield. Lors du match opposant Liverpool à Nottingham Forest, une énorme bousculade coûte la vie à 96 personnes, compressées par le grillage. Encore une fois, le manque d’organisation et l’absence de places assises dans le stade sont les principales raisons du drame. Depuis 2012, le maillot des Reds leur rend hommage, puisqu’au niveau de la nuque vous pouvez apercevoir le chiffre 96, inscrit afin de rappeler aux familles des victimes qu’elles ne traversent pas cette épreuve seule. En effet, aujourd’hui encore l’émotion est vive à Liverpool quand le souvenir de cette tragédie refait surface.
Finalement, en 2012, le rapport final est rendu public et en 2016, les victimes et leurs proches, alors accusés pour le drame, sont exonérés de toute responsabilité. La police, quant à elle, est désormais incriminée. Pas moins de trente ans après, l’affaire n’est toujours pas close et l’ex-commissaire David Duckenfield devra faire face à un nouveau procès en octobre 2019.
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Suite à ce drame, toutes les épreuves semblent surmontables pour le club. Si YNWA est également connu pour être l’hymne d’autres clubs tels que Celtic Glasgow, Borussia Dortmund ou encore le Feyenoord Rotterdam, il a été pour Liverpool un véritable symbole de lutte, d’espoir et de persévérance. En effet, la chanson, presque prémonitoire a permis à l’équipe et à ses supporters de faire face aux vents les plus rudes et aux orages les plus sinistres. Cet amour sans limites qui lie les supporters à leur club semble avoir porté ses fruits, puisque le 1er juin 2019 c’est avec euphorie que les Reds et ses fans ont pu entonner l’hymne, à l’Estadio Metropolitano de Madrid, où Liverpool est devenu champion d’Europe pour la sixième fois de son histoire. La longue et lugubre tempête semble alors avoir laissé place au « Golden sky ».
« Allez Allez Allez » de Jamie Webster
L’épopée européenne
Saison 2018- 2019 : infortune ou fatalité qui perdure ? Ils en ont rêvé et l’ont touchée du bout des doigts : la première place du championnat anglais. Avec uniquement un point en moins derrière Manchester City (97 à 98), voilà déjà 30 ans – depuis la saison 1989-90 – que Liverpool n’a pas gagné de Premier League. Toutefois, si certains démons semblent encore causer un réel trouble à l’équipe anglaise en championnat, la malédiction est tombée sur la scène européenne. Une première fois en 2005, puis en 2019, années où les Reds ont obtenu leurs cinquième et sixième titres de champions d’Europe. Pour autant, nuançons nos propos car ce n’est pas sans se donner du fil à retordre.
Nous voilà en mai 2018 au coeur des gradins qui accueillent les Scousers du Stade Olympique de Kiev. Les « Kopites » sont euphoriques et chantent à tue tête un air gai et entrainant auquel nos oreilles ne sont pas encore très habituées : le Allez Allez Allez de Jamie Webster.
La joyeuse rengaine est composée spécialement pour l’événement sportif européen. Son auteur, originaire de Liverpool, aurait été inspiré par les fans de Porto juste avant les 8e de finales qui les opposaient à l’équipe des Reds – et se solda par une victoire 5-0 de Liverpool. Mais l’origine du son n’est toujours pas celle-ci. En effet, les Italiens, et notamment les tifosi napolitains semblent en être les précurseurs. Leur « Un giorno all’improvviso » (Un jour à l’improviste), lui même, inspiré d’un hit italien des années 1980, « L’Estate sta finendo » (L’été se termine) – même si après maintes écoutes j’avoue avoir encore du mal à en saisir la ressemblance – serait la plus grande source d’inspiration de ce nouvel hymne européen des Reds.
Quelques jours après sa première interprétation, le tour était joué. On parle très vite « d’infection » pour désigner le nouveau son qui accompagne l’équipe anglaise. Porto est finalement vaincu en huitième, Manchester City en quart et l’AS Roma en demi. Malheureusement pour les Reds, Karim Benzema à la 51e puis Gareth Bale aux 64e et 83e minutes stoppent de plein fouet les rêves européens. Toutefois, le nouvel hymne, symbole de l’épopée européenne des Reds est adopté par les supporters. Mais pas que ! Jürgen Klopp, mettant en émoi l’interprète, s’est invité en personne à un concert improvisé au Michigan lors de l’International Champions Cup. C’est avec une peinte de bière dans les mains que l’entraineur allemand chanta les paroles – à pleins poumons – au coeur d’un groupe de supporters euphoriques.
La chanson n’a pas encore fait ses preuves pour porter l’équipe en première place. Une seconde chance lui est laissée durant la saison 2018-2019 et, c’est sans surprise que je vous annonce que l’issue en sera toute autre.
Un hymne à la gloire
Il est temps d’en apprendre un peu plus sur les paroles de l’entêtante mélodie, qui nous invite, quelques secondes, au coeur des événements qui ont marqué l’histoire du club.
Les paroles sont courtes et particulièrement simples à retenir. L’air est entêtant, enivrant et, comme a pu l’être YNWA, porteur d’espoir.
En premier lieu, les paroles nous informent sur les champs de batailles où les Reds ont pu être victorieux. À l’image de vaillants soldats partis en croisade, le club – nous dit-on – a conquis toute l’Europe : de Paris à la Turquie (« From Paris Down To Turkey »). Si l’emploi de « Paris » au troisième vers fait sûrement, mais sans certitude, écho à leur victoire en finale de la Coupe des clubs champions européens, en 1981, au Parc des Princes, face au Real Madrid, c’est avec assurance que la chanson fait référence à leur succès à Istanbul en 2005.
L’événement est inoubliable. Après avoir été menés en première mi-temps 3-0 par l’AC Milan, en deuxième mi-temps, les pleurs de désespoirs des Reds se transforment rapidement en larmes de joies et d’incrédulité. Liverpool marque trois buts en l’espace de six minutes (le mythique Steven Gerrard à la 54e (1:15), Vladimir Smicer à la 55e (1:25) et Xabi Alonso à la 60e (1:40) minute, dans la foulée d’un pénalty manqué). L’incompréhension est générale. Finalement, à l’issue d’une séance de tirs, où stress et l’espoir sont en parfaite symbiose, Liverpool triomphe en Turquie. Cette fois, la finale du siècle a bien eu lieu, si bien que l’événement est surnommé le « Miracle d’Istanbul ».
En outre, la chanson fait également référence à deux des plus emblématiques managers du Club : « Bob Paisley and Bill Shankly ». Leurs palmarès combinés au coeur de l’équipe paraissent irréels. En effet, entre l’arrivée de Bill Shankly en 1959 et le départ de Paisley en 1983 Liverpool gagne neuf Championnats d’Angleterre, deux coupes d’Angleterre et trois Ligues des Champions et divers autres trophées. Les deux entraineurs furent les roues motrices d’un club alors en pleine expansion. Leur rendre hommage à travers cette cantate rythmée paraît alors tout à fait légitime.
Enfin, un dernier point peut encore être abordé : la référence à l’emblématique stade de 1884 qui accueille les Reds : Anfield ou Anfield Road. Pour l’anecdote, Everton occupait jusqu’en 1892 le terrain. Après une hausse considérable du loyer, l’équipe décide de quitter les lieux. Quelque peu désespéré dans un premier temps, le propriétaire John Houlding ne se laisse pas abattre et – dira t-on, à tort ou à raison – lors d’une soirée placée sous le signe de l’alcool, décide avec un groupe de dockers du coin de créer Liverpool FC. Depuis ce jour, les Reds en sont les heureux propriétaires.
Ainsi, symbole de l’ère Klopp et Ode aux gloires du passé, ces quelques vers vantent les succès européens des Reds. Si l’air est particulièrement familier, les paroles sont personnalisées et nous éclairent sur l’histoire singulièrement riche du club en passant par ses exploits de club anglais le plus titré en Ligue des Champions (six trophées), ses légendes et l’amour que lui porte ses supporters, presque aveuglement.
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Des joueurs mis à l’honneur
Des chants de supporters des Reds, il y en a. Beaucoup ? À foison. Une des leurs particularités est que nombre d’entre eux mettent en avant les exploits d’un joueur à travers une mélodie. Pendant quelques instants, ce dernier devient protagoniste d’une épopée dont il est le héros.
Prenons tout d’abord l’exemple de Jerzy Dudek, « l’ange gardien d’Istanbul » de 2005. Son double arrêt en séance de tirs au but face à l’AC Milan permet aux Reds d’accéder à la victoire. Suite à son exploit, une chanson – dont la chorégraphie laisse à désirer – est composée spécialement en son honneur. Intitulé “Do the Dudek” le hit se placera même au top 40 britannique.
S’il y a bien un joueur légendaire du club il s’appelle Steven. Steven Gerrard. Avec plus de quatre chants à sa gloire, il est décrit par ces derniers comme étant « Too good to be true », (trop bon pour être vrai), un capitaine exceptionnel dont les passes font « plus de 40 mètres ». Difficile pour moi de résumer ses exploits en quelques lignes, un article entier pourrait lui être consacré.
Plus récemment, Mohamed Salah « The Egyptian King », Sadio Mané (meilleurs buteurs du Championnat d’Angleterre en saison 2018/19) et Roberto Firmino (« Si Señor »), ainsi que Virgil Van Dijk ont également été honorés par des chants composés, la plupart par Jamie Webster, pour leur rendre hommage.
Vous l’aurez compris. Impossible pour moi de vous faire un résumé détaillé de tous les chants qui habitent les tribunes d’Anfield car il en existe bien plus de 280. Tout comme ces derniers, l’histoire du club est vaste, riche et pleine d’émotions. Ces récits mis en musiques servent à construire la légende du club. Comme au coeur d’ouvrages d’aventures médiévales, à connotation presque mystique, les héros enchainent les péripéties sans jamais se laisser abattre. À l’image du club, éléments perturbateurs et obstacles sont surmontés par des personnages vaillants, accompagnés de leurs fidèles compagnons qui chantent leurs exploits.
Crédits photos : Icon Sport