Les affaires de racisme qui ébranlent régulièrement le monde du football et celui tous les jours, couplé à la récente (re)montée des partis d’extrêmes gauche ou droite nous rappellent sans cesse que personne n’est à l’abri de discriminations, de violences, ou de la haine d’une personne ou d’un groupe. Cela est d’autant plus vrai dans un stade de foot où des supporters peuvent se laisser influencer par un groupe idéologique plus ou moins nombreux. Dans un tel climat, le FC St. Pauli émerge donc comme un club aux antipodes de ces mouvements en s’affirmant comme ouvertement antifasciste et antiraciste. Retraçons l’histoire de ce club unique en son genre et riche en anecdotes.

Tribune et supporters du club au Millentor Stadion en mars 2013
Origines et fondation du club
Contrairement à ce que suggère son logo, la fondation de la section football du club date de 1907. Le club est alors la section football du Hamburg-St. Pauli Turnverein 1862, un club de gymnastique fondé en 1862 à Hambourg dans le quartier de St. Paul. En novembre 1906 le TV, comme le surnomme les locaux, tente alors de réunir une équipe de football, mais attendra le printemps 1907 avant de rassembler suffisamment de membres pour finaliser la création de la section football. Celle-ci joue alors une dizaine de matchs amicaux par saison avant de rejoindre la Norddeutscher Fußball-Verband (ou NFV), l’une des 5 grandes associations de football qui composent la Deutscher Fußball-Bund (ou DFB, la fédération allemande de football). Ces associations régionales organisent la majorité des ligues régionales, et le Hamburg-St. Pauli Turnverein 1862 en rejoint justement durant l’automne 1909. C’est aussi à cette date-là que le club adopte ses couleurs actuelles : le marron et le blanc.
Bien que le club dispute des matches dès l’automne 1909 dans la « 3a-class in district III (Hamburg/Altona) », la 3ème division du championnat local, l’admission officielle se fait en mai 1910, d’où la mention de l’année 1910 sur le logo. Celui-ci connait alors un certain succès sur le plan sportif jusqu’en 1920. En 1924, afin de se dissocier du Hamburg-St. Pauli Turnverein 1862, le club change de nom pour adopter le nom actuel, Fußball-Club Sankt Pauli von 1910 e.V. ou plus simplement FC Sankt Pauli. La décennie des années 20 est cependant celle de l’ascenseur entre la première division du championnat local et la seconde, ce jusqu’au début des années 30, décennie durant laquelle le club accède enfin au championnat régional. L’ascenseur reprend cependant très vite puisque le FC Sankt Pauli jongle alors à nouveau entre entre le championnat régional et local jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Logo du club depuis 1924
A la suite de la guerre, une grande partie de la ville de Hambourg est détruite et doit être reconstruite. Les travaux prennent un certain temps mais, à contrario, le club met très peu de temps à se restructurer et à attirer des talents venus de toute l’Elbe. Un nouveau terrain est construit sur le Heiligengeistfeld, le terrain historique. Le club joue alors en Stadtliga Hamburg et se partage le titre avec le rival local, le HSV Hambourg, pour les saisons 1945-1946 et 1946-1947. Les championnats régionaux reprennent en 1947 et le club évolue alors en Oberliga Nord dont il termine 2ème à plusieurs reprises (1948, 1950, 1951, 1954).
Débuts professionnels et création de l’identité du club
En 1960 le FC Sankt Pauli prépare alors la construction de son nouveau stade, le Millerntor, sur le terrain du Heiligengeistfeld et l’inaugurera en 1963. La Bundesliga est créée la même année mais les Marrons et Blancs s’en voient refuser l’accès et restent donc en Regionalliga-Nord. Il faudra attendre 1974 pour voir le club atteindre la nouvelle 2. Bundesliga, donc un statut professionnel, et 1977 pour qu’il atteigne la 1. Bundesliga, le gratin du football allemand. L’équipe ne fera qu’une saison dans l’élite avant d’être reléguée en 2nde division. Les hommes en marrons feront quelques allers-retours entre la 1. et 2. Bundesliga de la fin des années 70 à au début des années 2000. C’est cependant durant cette période que le club va acquérir une identité singulière, en grande partie à cause de la rivalité qui l’oppose au Hamburger SV.
A partir de la fin des années 80, des groupes d’hooligans d’extrême droite font leur apparition parmi les fans du HSV. Le quartier de St. Pauli étant habité par un certain nombre de punks et de partisans de gauche, eux-mêmes souvent fans des Marrons et Blancs, un contre-mouvement naît alors au sein des supporters du FC St. Pauli. Ceux-ci se positionnent ouvertement de gauche, antifascistes et antinazis afin de marquer leur opposition avec ces groupes de hooligans d’extrême droite. Le climat social est tel que de nombreux partisans de gauche fans du HSV décident alors de renier leur soutien aux Bleus et Blancs et de soutenir le FC St. Pauli afin de montrer leur positionnement politique et idéologique, et inversement. Le FC Sankt Pauli s’impose alors comme un symbole parmi les clubs ouvertement alignés sur des valeurs de gauche, de diversité d’antiracisme, et d’antifascisme à l’image de Livorno, l’AEK Athens, le Rayo Vallecano ou encore l’Union Berlin.
Ce positionnement provoque donc des clashs très violents face à des clubs aux valeurs opposés, à l’image du derby contre le Hansa Rostock. Rostock est une ville de l’ex RDA (Allemagne de l’Est), une ville qui a souffert de la chute du mur de Berlin et de la réunification de l’Allemagne. En effet, son port qui était alors la porte d’entrée vers l’Allemagne de l’Est depuis la Baltique jouissait d’une certaine prospérité, à l’image de son passé glorieux à l’époque de la ligue Hanséatique (ou la Hanse), une alliance commerciale entre villes du nord de l’Europe autour de la mer Baltique et de la mer du Nord. Toutefois, depuis la réunification, la ville subit la concurrence de ports plus modernes, plus grands et prospères comme Brème ou encore Hambourg, où siège le FC Sankt Pauli. Rostock connait, de ce fait, une montée de l’extrême droite à l’image de nombreuses régions d’Allemagne de l’Est qui n’ont pas le sentiment d’avoir bénéficié de la réunification, ou tout du moins qui ont vu leur économie s’écrouler face aux villes et industries de l’ouest.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le derby le plus policé au monde avec un policier pour 20 supporters en moyenne. Les rencontres sont souvent violentes sur et en dehors du terrain, ce qui vaudra à cette rencontre le surnom du « derby de la peur ».
Difficultés financières et renaissance
Cette forte identité n’empêchera cependant pas le FC Sankt Pauli de connaître de grosses difficultés financières au début des années 2000, dont le point le plus bas reste la descente en Regionalliga (4ème division) en 2003. Le club aurait même pu tomber en Oberliga (5ème Division) sans le soutien financier de ses fans, de ses sponsors et d’autres donateurs.
Les Marrons et Blancs mettent alors 7 ans à retrouver le plus haut niveau du football allemand avec la Bundesliga mais seront relégués en 2. Bundesliga dès 2011. L’équipe évolue aujourd’hui toujours en 2. Bundesliga mais les difficultés financières ont profondément marqué son modèle économique.

Ryo Miyaichi (FC St. Pauli) et Goutoku Sakai (Hambourg) lors du match de Bundesliga entre St Pauli et Hamburger SV le 10 mars 2019.
En effet, si l’équipe est aussi connue pour son positionnement idéologique, nombre de ses détracteurs voient en lui un symbole du football business moderne avec un club qui est plus que cela, car il incarne aussi une marque. Il n’est en effet pas rare de croiser des habitants du quartier et touristes avec des objets et vêtements à l’effigie du FC Sankt Pauli. Celui-ci a, en effet, compris que pour garantir son avenir, il devait devenir une marque tout en assumant son identité. Ce dernier utilise sans modération le symbole des fans, une tête de mort croisée par des os, symbole de la piraterie, de l’anarchie mais aussi avant tout d’une idéologie punk toujours très présente au sein du club. En 2009, les Braun Weiss adoptent même une charte de principes qui guide le club et marque son idéologie. Une première pour une équipe professionnelle en Allemagne.
C’est en se basant sur cette charte que le FC Sankt Pauli a décidé en octobre 2019 de se séparer de Cenk Sahin, un joueur turc ayant affirmé publiquement sur Instagram son soutien à l’intervention militaire turque dans le nord de la Syrie. La charte de principes mentionne, entre autres, l’opposition du club a toutes formes de guerre ou de conflit et tous ses membres y sont soumis. Le club démontre par cet acte que même si sous certains aspects il a dû se plier aux exigences du football moderne en termes de branding et de financement, il n’en est pas moins réellement à l’image de son quartier, St. Pauli, où vit toujours une communauté punk très implantée, et donc très fière de ses valeurs et principes.
Si Saint-Paul est le saint patron des gentils, le FC Sankt Pauli est très certainement un club fidèle à ses principes, bien que revisité par une idéologie punk qui encore aujourd’hui l’anime et attire de nombreux fans. Les Hambourgeois ne sont peut-être pas les seuls à être animés de valeurs antifascistes, antiracistes, ou pro LGBTQI+ en Europe ; ils demeurent néanmoins les symboles d’une culture punk, ouverte, anarchiste, et surtout engagée. Dans un climat aussi délétère qu’en Allemagne ou en Europe avec une recrudescence des mouvements fascistes, racistes ou xénophobes, les Marrons et Blancs apportent un vent de fraîcheur en nous rappelant que le football peut aussi être l’expression de valeurs porteuses d’espoir, de tolérance et d’ouverture.
Crédit Photos: Iconsports
Sources:
- Site officiel du club du FC Sankt Pauli
- Worldsoccer – Hansa Rostock v St Pauli contest the fear-derby
- Page Wikipédia du club
- Blog indépendant Between Distances, Live Fast, Travel Slow – Away Days: Never Mind the Bollocks, here’s the FC St. Pauli!
- Documentaire de la ZDF sur la police du derby contre Rostock